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4 septembre 2023

Une nuit avec Franky Gogo

par Benoît Carretier

Pendant le premier confinement, les rues étaient désespérément vides et tristes. Pas pour Franky Gogo, qui les arpentait en solitaire. L’auteur de l’hymne disco queer « Yeah » nous raconte une nuit de promenade, où le hasard, facétieux, a guidé ses pas d’amie en amis.

Cet article est issu du Tsugi 162 : Hymnes, anthems, bangers…Hits parade : où sont les tubes ?

 

« Premier confinement. La France entière est coincée chez elle, et moi, un peu comme tout le monde, je ne sors que pour aller faire mes courses – ou celles de mes voisins les plus vulnérables. Le reste du temps, je reste chez moi à travailler, à lire, à faire quelques exercices de respiration. Il m’arrive de me promener, la nuit, pour ne croiser personne.

21h: Je décide de partir un peu au hasard, comme j’aime le faire. Mes pas me mènent pas très loin de chez ma meilleure amie, L. Je lui envoie un petit message en lui disant que je suis en bas de chez elle. Elle me propose de monter. Elle est en train de dîner, d’une bonne soupe, qu’elle me propose de partager avec elle. On passe un moment assez agréable, on rigole, on parle de la situation, de la pandémie, on mange cette petite soupe.

23h30: Je lui emprunte un livre, et puis je repars. Je réalise qu’elle n’habite pas très loin de chez un ami, M., à qui j’envoie à tout hasard un message. Il est là, évidemment, puisque tout le monde est chez soi à ce moment-là. Je passe le voir. Il a une petite voix et une petite tête. J’apprends qu’il est en pleine séparation. Il vit un enfer et il ressemble à un fantôme. Il est grisâtre, beige. Je voudrais lui faire un câlin, mais bon, on ne peut pas, parce qu’on a des masques et il est assez affolé par tout ça. Alors je lui demande de s’asseoir et je lui propose de lui faire un câlin mental. Je m’assieds face à lui et je lui raconte le câlin. Ça dure un petit moment, il se détend. En parlant, je vois que son appartement est en désordre, le désordre de quelqu’un qui va mal et qui se néglige. Je lui demande s’il veut que je lui range son appartement. Il répond juste avec les yeux, je comprends que c’est oui. Je mets un petit peu de musique, je range son appart, on fait la causette. Quand j’ai fini, je lui dis que ce qu’il a de mieux à faire, c’est d’aller se coucher. Je lui lis quelques pages du premier chapitre du livre que j’ai emprunté à L. et je le laisse dormir.

 

 

1h: Je repars, je marche dans la nuit. C’est agréable, il n’y a personne. C’est très rare de voir Paris dans cet état. Le son n’est plus le même. Il n’y a pas de voitures, personne dans les cafés. En marchant, je pense à mon ami P. J’ai envie de lui dire que je pense à lui, donc je lui envoie un petit message. Évidemment il est chez lui. Je me dirige vers son domicile, ça prend un peu de temps, parce que c’est plus loin. Je me souviens qu’il vit en colocation avec deux filles très sympathiques. Je monte ses escaliers, et plus je me rapproche de l’étage, plus j’entends de la musique. Ils m’ouvrent et tous les trois sont en train de danser. Une fête! La musique est assez forte mais ça n’a l’air de déranger personne. On se salue comme on peut, on ne sait pas trop s’il faut se prendre dans les bras, se faire un “check”… On se fait des signes de la main. Je jette ma veste par terre et je me mets à danser. On passe de la musique chacun notre tour, on me propose des bières fraîches. On est dans une espèce de petite boîte de nuit et on rit beaucoup. Tout le monde a son masque et ce moment devient encore plus absurde.

3h30: J’ai envie qu’on se déguise. Mais ils n’ont pas de déguisements. Alors on échange nos habits. Je me retrouve avec un haut d’une fille, le pantalon d’une autre et les chaussures de mon pote, qui doit faire du 45. Ça me fait des pieds de clown, c’est assez marrant. On discute, on envoie des photos de nos têtes à V., une amie commune que l’on n’a pas vue depuis longtemps et qui nous manque. Elle nous répond. On décide de partir tous ensemble chez elle, mes chaussures taille 45 aux pieds. C’est une tannée de marcher avec, mais c’est assez rigolo.

5h: Au bout de vingt minutes, on arrive à destination. On est un peu ivres et elle nous ouvre, parfaitement réveillée. Elle n’arrivait pas à dormir, et s’est lancée dans l’intégrale de Stranger Things. Elle nous invite à regarder un épisode avec elle. Mais elle a un tout petit appartement, la seule solution c’est qu’on aille tous dans son lit. C’est très mignon, on est tous allongés comme des ados, à regarder un truc d’ados. C’est parfait. Je commence à entendre les oiseaux qui chantent. Je vois que mes camarades commencent à sombrer peu à peu dans le sommeil, je décide de les laisser. Je fais à chacun un petit bisou sur le front, et je pars. Le jour se lève, c’est agréable. Je rentre chez moi, je marche sur du 45. C’est quand même une sacrée galère. Je regarde mon trajet sur le GPS: une heure de marche.

9h: Peu de temps avant d’arriver chez moi, j’entends une femme dans la rue, elle chante “Qui a tué grand’maman?”, un morceau de Michel Polnareff que j’adore. Je la rattrape et chante avec elle. On s’arrête, on se regarde dans les yeux, c’est une dame qui a peut-être 60 ans. Au moment où on finit la chanson, passe un camion de livraison sur lequel il y a de grands autocollants avec des photos représentant des médecins, des infirmières en blouse blanche nommés “Les Héros”. Ça nous fait sourire et elle me dit “c’est vous mon héroïne” et je lui réponds que non, c’est elle la mienne. Il me reste cent mètres, je rentre chez moi. Et voilà, cette nuit-là, je n’ai vu que des gens, les uns après les autres, de façon inattendue, comme j’aime. La nuit était poétique, amusante, belle, généreuse, et tout ça pour finir par chanter avec une dame inconnue. Tout ce que j’aime. »

 

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