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© Philippe Levy pour Tsugi
21 septembre 2020

Underworld : notre entretien exclusif en version intégrale

par Alix Odorico

À l’occasion de la réédition de Drift Series 1, retour sur le duo Underworld, lors d’une interview parue dans le numéro 126 de Tsugi.

L’infatigable duo synthpop et père du tube électronique « Born Slippy », s’était lancé l’année dernière sur un tout nouveau projet : Drift Series 1. Un an passé à publier des tracks épisodiques chaque semaine, en streaming et en téléchargement. Avec un total de 50 titres et 30 vidéos, le projet était pharaonique. Suite à l’annulation de leur tournée nord-américaine prévue au printemps dernier, les deux acolytes Rick Smith et Karl Hyde viennent de sortir la réédition de Drift Series 1 en une compilation, comprenant huit CDs avec en bonus, un enregistrement live de l’avant-concert de Rick Smith au Ziggodome d’Amsterdam en novembre 2019, ainsi qu’un livre de 50 pages. Retour sur l’interview de Tsugi publiée dans le Tsugi 126 (octobre 2019), qui était allé discuter avec eux dans leur base secrète, en pleine campagne anglaise.

À noter que le groupe sera sur Reddit vendredi prochain à 9h pour une interview avec le public, et lanceront à cette occasion leur nouveau site web avec des produits exclusifs. Les fonds récoltés iront à des associations de charité.

En se lançant dans le projet tentaculaire Drift Series 1, le duo sexagénaire Rick Smith et Karl Hyde renoue avec la folie de sa jeunesse. Loin d’être un dinosaure en voie d’extinction, Underworld, plus de 30 ans après ses premiers pas, marche encore sur la Lune. Rencontre quelque part dans l’Essex avec deux charming men.

Texte par Patrice Bardot, photos par Philippe Levy pour Tsugi

Comme nous avons signé une clause de confidentialité, nous n’allons pas vous révéler où se situe l’antre de Underworld. Gigantesque capharnaüm, courant sur plusieurs bâtiments, à la fois studio d’enregistrement, bureau et lieu de stockage d’éléments du live, qui donne à l’endroit, perdu dans la campagne, une allure hésitante entre scintillante caverne d’Ali Baba et brocante vintage un peu poussiéreuse. En cette journée de septembre un soleil radieux règne sur l’Essex, ce qui permet à Karl Hyde, 62 ans, vocaliste et principalement guitariste d’Underworld, de nous accueillir avec une de ces blagues sur la météo dont nos amis anglais ont le secret : “Vous avez vu ce temps ? Vous savez qu’il y a vraiment un microclimat uniquement au-dessus de cet endroit ? Eh bien, c’est parce qu’on paye tous nos impôts ici.” Funny, isn’t it ?

Avec son complice Rick Smith, 60 ans, l’homme-machine du groupe, il forme une paire qui règne sur la musique électronique depuis 1994 et la sortie de leur premier album, le fameux Dubnobasswithmyheadman. Un classique où la voix de Hyde, entre rap et chant, ensorcelle les savants beats techno, gonflés de basses, produits par Smith. Un disque qui pose vraiment les jalons d’une carrière qui n’en était pourtant pas à son coup d’essai, les deux hommes ayant déjà sévi dans les eighties sous pseudo Freur, responsable même d’un tube (“ Doot Doot ”). Mais loin de cette synth-pop un peu niaise, Underworld va au fil des albums enfoncer le clou d’une musique électronique à l’énergie brute, à la tension mélancolique certaine, mais aussi habitée d’un indéniable sens mélodique. La preuve avec le hit “ Born Slippy .NUXX ” (1996) dont la présence sur la bande originale du film de Danny Boyle Trainspotting allait pousser des générations entières à gueuler, comme Karl Hyde, le fameux “Lager, lager, lager, lager shouting, lager, lager, lager, lager shouting”.

Certains groupes auraient tout arrêté là, incapables d’enchaîner après un tel succès. Cela n’a pas été le cas du duo, dont la verve inspirationnelle ne s’est jamais vraiment tarie, même si, on doit bien avouer qu’au fil des années, on avait un peu perdu de vue sa discographie longue comme le bras entre albums studios et live, bandes originales de films, musiques pour pièce de théâtre, ou expérimentations diverses avec Iggy Pop ou Brian Eno. Jusqu’à ce que l’on soit intrigué, il y a un an, pour le drôle de défi que ces récents sexagénaires se sont lancé : sortir pendant un an, chaque semaine, des titres inédits accompagnés de vidéos. Tour de force un peu dément, les passionnantes pièces de ce Drift Series 1 sont rassemblées aujourd’hui dans un copieux coffret, dont est extrait un album sampler qui démontre magnifiquement, entre dancefloor poisseux et expérimentations solaires, que la capacité créative toute personnelle de Smith & Hyde n’a rien perdu de sa puissance. Le travail, c’est donc bien la santé ? En discutant avec ces deux géniaux workaholics, on aurait tendance à le penser. “Tendance”, on a dit.

Quand on produit de la musique depuis plusieurs dizaines d’années, est-ce nécessaire de s’embarquer dans un projet fou comme Drift Series 1 pour échapper à une certaine routine ?

Underworld

Karl : (il applaudit) Fantastique ! Merci de nous dire que c’est un projet fou. Tu es le premier journaliste à le faire.

Rick : C’est tout à fait vrai. Plus on avance dans la vie, plus on perd la fraîcheur au profit de l’expérience. Mais pourquoi cela devrait être obligatoirement le cas ? Non, il faut au contraire agir pour empêcher cela.

Pendant un an vous avez sorti chaque semaine des nouvelles chansons et des nouvelles vidéos, plus que dans toute votre carrière ? Quel a été le point de départ de cette frénétique créativité ?

Karl : Je crois que nous avions envie de nous lancer dans un projet différent. Et on s’est aussi rendu compte qu’il y avait beaucoup de talents et de compétences autour de nous que nous pouvions utiliser, nous compris, et Drift Series 1 était un bel outil pour mobiliser tout ça.

Vous vous êtes aussi collé une sacrée pression…

Rick : C’était une bonne pression que de sortir ces morceaux toutes les semaines. D’accord, on a souffert de manque de sommeil, ou on a connu des moments de blues, mais notre motivation était telle qu’elle nous permettait de dépasser tout ça et le projet en lui-même nous redonnait de l’énergie pour aller de l’avant. Il fallait continuer à avancer.

Karl : Dès que le morceau sortait le jeudi, nous avions déjà la tête à ce que nous allions sortir la semaine suivante.

Rick : Même si c’était des sorties hebdomadaires, certains morceaux étaient commencés depuis un, voire deux ans.
On avait enregistré des premières idées sur un téléphone pendant des voyages en voiture par exemple. Mais parfois, le jeudi arrivait, on pensait que nous avions fini le morceau, mais ça ne fonctionnait pas, alors on se demandait si on devait continuer à bosser dessus ou bien laisser tomber pour le moment et ne l’utiliser que la semaine suivante. Nous étions en ébullition permanente.

Karl : Rick est vraiment un super producteur. Il garde toujours un œil avisé sur la qualité du travail et il sait toujours si un morceau doit sortir ou pas. Quand on fonctionne en équipe, c’est très facile de tomber dans le confort, de se dire : “ OK, on a pris cette décision, super, on peut se relaxer maintenant. ” Mais lorsque tu te lances dans un projet comme Drift Series 1 avec Rick aux manettes, pas question, tu dois être toujours en alerte, il fallait travailler en permanence sur les morceaux pour les finaliser.

Underworld

Karl Hyde par Philippe Levy pour Tsugi

J’ai lu qu’un certain Haydn Cruickshank a été important dans toute cette histoire…

Rick : Ah oui, c’est notre responsable lumière depuis 25 ans. C’est un mec étonnant, et il pratique un sport automobile qui s’appelle le drift (discipline au départ japonaise où il s’agit de faire patiner la voiture avec les roues arrière dans des virages, ndr).

Karl : Certaines choses peuvent être des catalyseurs : des scènes que l’on voit dans la rue, des amis qui nous parlent de quelque chose. Je me souviens que Rick avait une idée générale du projet, mais nous n’avions pas de nom, et quand on en a parlé à Haydn, il nous a parlé de “drift” (dériver en anglais, ndr) et on s’est dit : “ Ah, c’est un mot intéressant. ” Dans sa bouche, c’était un sport, mais c’est devenu pour nous quelque chose avec un sens beaucoup plus large. Une sorte d’état esprit, une manière d’être ouvert aux influences les plus variées, d’être là où on ne nous attend pas.

Dès le départ, vous aviez l’idée de réunir tous ces morceaux dans ce coffret Drift Series 1 ?

Karl : On sort également le Drift Series 1 Sampler Edition, une sorte de compilation qui donne un exemple de l’ensemble du projet. Mais le véritable album c’est bien le coffret où Rick a retravaillé tous les titres publiés précédemment. Au départ, l’idée était d’envisager ce coffret comme la saison d’une série télé. Rick me racontait souvent la manière dont il les regarde. Il peut démarrer directement par l’épisode 5 de la saison 7 de Games Of Throne par exemple. Si tu ne comprends pas tout, ce n’est pas grave, tu peux revenir en arrière. Drift Series 1 doit s’envisager de la même façon. C’est vraiment différent de la sortie d’un album classique où tu as juste une fenêtre d’exposition de trois semaines maximum, où on va te marteler “ écoute ce disque c’est important ”, puis c’est fini et on ne t’en parle plus. Là, c’est un nouveau regard, une nouvelle expérience.

Est-ce que la sortie de Drift Series 1 marque la fin du projet ?

Karl : Non pas du tout, c’est la fin d’une saison, et elle prépare à Drift Series 2. On veut continuer dans cette veine.

Rick : Je vais citer cette jolie pensée d’un ami : “ La musique n’est jamais finie, il faut juste qu’elle soit prête. ”

Le projet est au final plus proche de l’art contemporain que de l’univers musical, non ?

Rick : En fait, oui. Je dirais que Drift Series 1 est proche, non pas de l’art contemporain, mais de la vie contemporaine… plus que du business de la musique. Aujourd’hui il y a des choses qui nous ennuient. Avant, passer deux ans à créer un album nous semblait quelque chose de magnifique. Nous n’avions pas eu cette chance quand nous étions jeunes, nous n’avions même pas les moyens d’acheter une guitare. C’était donc super d’avoir cette opportunité, on encourgeait les artistes à faire cela, et pendant des décennies, il y a eu des formidables albums. Mais cela ne se passe plus comme ça aujourd’hui. La musique se produit et se consomme différemment. Je crois aussi que nous sommes devenus incoryablement  privés dans notre démarche. La majorité de ce que nous faisons est cachée. Nous faisons des shows, des disques, mais cela ne nous représente pas tellement. Drift Series 1 est finalement comme un journal intime

Underworld

© Philippe Levy pour Tsugi

Même dans vos morceaux les plus dancefloor, il y a toujours de la mélancolie…

Rick : Je dis toujours que c’est de la belle mélancolie, de la tristesse qui brille comme une lumière. Pour moi, c’est quelque chose qui correspond à ce que je ressentais enfant au Pays de Galles en écoutant les chants des mineurs ou de la musique sacrée. Cela vient du cœur.

Karl : Oui, tu as raison, c’est très gallois en fait ce sentiment. La musique des mineurs qui reviennent des puits, c’était comme si on entendait chanter des anges. À la fois de la grande joie et de la tristesse. C’est un peu comme lorsque je quitte mes enfants qui vont retourner chez eux, et je sais que je ne vais plus les voir pendant un certain temps. Pendant une demi-heure, je vais donc être très abattu, puis je vais être euphorique parce que je vais me dire que c’est génial d’aimer quelqu’un autant que cela !

Rick : C’est un peu ça l’idée de Drift Series 1 : l’expression d’une ambivalence, qui n’est pas un mot forcément positif en anglais. Je ne suis pas un grand lecteur mais il y a ce philosophe grec Héraclite qui a dit que pour chaque vérité, il y a également une vérité contraire. Et bien, je suis fasciné de constater la réalité de cela dans ce que nous faisons. La vie est complexe, elle mélange toutes les émotions. Ce n’est pas “ je suis joyeux tout le temps ou je suis désespéré en permanence ”.

Quand vous produisez de la musique, vous avez toujours le dancefloor en point de mire ?

Rick : Pas du tout. Même si on peut trouver un esprit très dancefloor au Drift Series 1 Sampler Edition, mais ce serait alors pour un club très étrange. Je ne sais pas où il se trouve. (rires)

Karl : Mon goût de la musique ne vient pas du dancefloor. C’est Rick qui m’a introduit à la musique électronique, et physiquement je me suis pris une claque. Mais nous sommes très éclectiques dans nos goûts. Quand je vois un ami comme Haydn justement qui pendant 20 ans a écouté uniquement de l’acid house comme si c’était de l’easy listening, mais comment a-t-il fait ? (rires)

“Quand j’étais plus jeune, la dance music me semblait peu profonde, notamment au niveau des textes. Depuis que je travaille avec Karl, je me rends compte que ce n’est pas le cas.” – Rick Smith

Rick : J’ai découvert la dance music très tard dans ma vie, j’étais plus fan de rock alternatif. La première fois que j’en ai écouté, c’était Kraftwerk en marchant dans les rues de Cardiff avec mon premier walkman, j’avais 21 ans, j’étais étudiant et j’ai vécu une épiphanie. C’est comme la première fois où j’ai rencontré ma femme, elle m’a passé un morceau de Gil Scott-Heron “ B-Movie ”. C’est une chanson étonnante, la version que la plupart des gens connaissent dure cinq minutes avant de s’arrêter doucement. Mais en fait, ça dure douze minutes, et il se met à rapper d’une manière incroyable, et ça part comme dans une boucle. On adore Steve Reich aussi, la musique de film, la musique classique, John Martyn et quand j’ai entendu l’acid house, j’ai senti qu’il y avait la possibilité de mettre toutes ces influences dedans. L’acte de danser sur cette musique étant comme une sorte d’ancre très solide sur laquelle tu pouvais accrocher des idées. La manière de chanter peut ainsi être plus cinématographique que (il chante) “ da dou da dou la la la I love You I Love You ”. Quand j’étais plus jeune, la dance music me semblait peu profonde, notamment au niveau des textes. Depuis je travaille avec Karl, je me rends compte que ce n’est pas le cas.

Karl, d’où vient ta manière de chanter ?

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© Philippe Levy pour Tsugi

Karl : C’est Rick qui m’a inspiré, il m’a encouragé. On trouvait que ce n’était pas une bonne idée de chanter de la même manière tout le temps. Pourquoi ne pas faire autre chose : parler, crier, chuchoter ou faire des harmonies ? Pourtant, pendant dix ans à peu près, on s’y est mal pris. On a sorti quatre albums dans les années 80, et ils étaient banals. C’était genre “ voilà c’est ma voix, je chante comme ça parce que c’est ce que les gens veulent ”. Plus tard, avec la dance music, on a utilisé ma voix comme s’il s’agissait d’un synthétiseur. Ma chance avec Rick, c’est d’aller dans cette direction où je sors du rôle traditionnel du chanteur bloqué face au public. Rick se sert de ma voix comme un peintre utiliserait une couleur.

Rick : Je suis juste fasciné par la manière dont il chante, et surtout Karl est très ouvert à l’idée de déconstruire sa voix. Ça fait toute la différence. On sort du schéma traditionnel où même si tu produis une musique très complexe, dès l’instant où il y a une voix qui arrive, elle va dominer l’ensemble. On essaie de changer ces habitudes.

Vous avez été les premiers à vendre votre musique directement sur Internet, pourtant aujourd’hui vous utilisez quand même une maison de disques…

Karl : Il y a beaucoup de compétences dans l’industrie du disque et on a de la chance de travailler avec Caroline, qui fait partie d’Universal, donc cela nous ouvre les portes d’un réseau énorme. Si tu veux toucher les gens, les réseaux sont très importants. D’accord, nous possédons le nôtre, mais un seul canal ne suffit pas pour parler au public. Nous avons donc fait ce choix de nous connecter à d’autres. Cela donne plus d’opportunités aux gens d’entendre ce que nous faisons.

Rick : C’est important de ne pas rester dans notre bulle, de travailler avec d’autres personnes. Et nous apprenons beaucoup des gens avec qui nous collaborons, même si nous ne sommes pas toujours d’accord avec eux. Cela nous ouvre des perspectives.

Karl : Quand on a présenté ce projet à Caroline l’an dernier, on s’est un peu survendu, en affirmant qu’on allait sortir
52 morceaux pendant 52 semaines, alors qu’on ne savait pas trop si on allait y arriver. (rires) Ils ont été tout de suite très excités, puis on a rajouté qu’on allait donner ces titres. Que Dieu les en remercie, ils ont continué à être très excités ! Je crois qu’ils ont compris que c’était une sorte de jeu pour nous, et aussi pour eux, une sorte de pari du genre : “ Suivons-les, on verra bien où cela nous mènera.

Il n’y a que le travail qui vous apporte du plaisir ?

Rick : Non. Mais heureusement le travail m’a apporté beaucoup de plaisir. C’est une conséquence. Nous avons souvent le témoignage de personnes qui ont été remuées par les disques que nous avons fait, qui se sont rencontrés, ont fait l’amour, ont eu des enfants en écoutant notre musique. Ça, c’est vraiment important. Et je viens d’une famille au Pays de Galles où on était supposé mettre de la nourriture sur la table pour tout le monde. Si je regarde mes enfants, ma famille, je crois que j’ai réussi à le faire, donc c’est une satisfaction. J’ai aussi toujours autant de plaisir (il mime le geste de tourner de boutons) à faire ses drôles de bruits sur des machines. Et quand pour mon soixantième anniversaire, on a joué à Ibiza, à l’Ushuaia, et je me suis dit que c’était quand même pas mal ce boulot !

Karl : On continue à vivre des expériences de dingues, comme lorsque l’on a joué quatre soirs avec chaque fois un show différent à l’Opéra de Sydney. Je n’avais pas les mots pour exprimer ce que je ressentais. Est-ce qu’il y a de la place pour une vie à côté de Underworld ?

Rick : Il devrait y en avoir une, et on y travaille. Blague à part, oui il y en a une. Mais c’est vrai que l’on a vécu une année spéciale avec ce planning dément que nous devions suivre.

Karl : Mais on adore travailler ensemble. Si on me demande si je suis heureux au travail, je réponds que je suis vraiment heureux.

Vous êtes les meilleurs amis au monde ?

Karl : Oui, sans hésiter.

Rick : Nous le sommes, mais nous ne l’avons pas toujours été.

Vous étiez amis avant de faire de la musique ensemble ?

Karl : Non, on ne se connaissait pas.

Rick : L’un de mes amis jouait dans le même groupe que Karl et me l’a présenté. Ils avaient besoin d’un branleur comme moi pour s’occuper du matériel et jouer des claviers. Un mois après, je me suis dit que Karl était l’une des personnes les plus désagréables que je n’avais jamais rencontrées ! (rires) Bon, ça fait presque 40 ans que l’on est ensemble maintenant.

Underworld

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C’est quoi le secret de la longévité de votre duo ?

Karl : Tout bêtement que l’on ne se soit jamais séparé. J’ai vu tellement de grands groupes se séparer parce qu’il y avait des divergences entre leurs membres. Mais c’est stupide, c’est justement ces différences qui font que vous êtes spéciaux ! Prends les Beatles, c’est peut-être parce qu’ils ne s’aimaient pas entre eux qu’ils ont produit une musique si fantastique. The Police c’est pareil ! Tu n’as pas besoin de t’aimer pour faire de la musique ensemble ! Bon, nous, on s’aime maintenant, notre problème c’est que nous sommes amis. (rires)

Rick : Donc, maintenant on risque de faire des putains de chansons niaises. (Il chante) “ C’est si bien d’être avec toi. ”

Karl : (Il enchaîne en chantant) “ Oui c’est super, parce que tu es mon ami adoré. ” (rires)

Vous vous êtes déjà cachés quelque chose ?

Karl : Mon Dieu, ne me demande pas ça ! (rires) Non, je ne crois pas.

Rick : Je ne suis pas sûr…

Karl : Rick me connaît depuis tellement longtemps, et honnêtement je suis vraiment la personne qu’il a en face de lui. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Dans une relation, c’est très positif de croire en quelqu’un sans se poser des questions sur sa sincérité.

Rick : J’ai un problème avec le mensonge. Je ne mens pas alors que je devrais parfois. Je me souviens qu’il y a 20 ans, le mec de la redevance télé a frappé à ma porte, il m’a demandé : “ Est-ce que vous avez la télé ? ” Je lui ai répondu “ bien sûr, mais entrez donc ” et je lui ai offert une tasse de thé. (rires) J’ai été élevé dans la croyance que mentir te conduit du mauvais côté de la route. Donc j’essaie de ne pas le faire. Après ma vie privée ne regarde que moi.

“Quand on joue ‘Born Slippy’ en concert, c’est fou ce qui se passe dans le regard des gens. On dirait qu’ils vivent une expérience religieuse.” – Rick Smith

Underworld aujourd’hui rassemble plusieurs générations, que ressentez- vous ?

Rick : On éprouve une très belle mélancolie, parce qu’on peut la relier à nos propres vies. Lorsque par exemple tu vois un père avec son fils au concert, tu es vraiment heureux de partager ce moment avec eux. C’est merveilleux parce que nous avons aussi des enfants. Mon fils a 17 ans et il aime King Gizzard, Parcels mais aussi Crosby, Stills Nash & Young, James Brown et les Beatles. Il ne porte pas de jugement, je crois que c’est ce qui est intéressant.

Karl : Mes enfants réagissent de la même manière. Ma plus jeune fille me met parfois des morceaux d’Ella Fitzgerald ou Sun Kil Moon puis de la pop tape-à-l’œil donc je suis surpris. Je lui demande pourquoi elle aime quelque chose d’aussi naze, mais elle me répond : “ Tu es fou, tout est bien, ça correspond juste à différents moments de la journée. ”

Vos enfants sont vos premiers fans ?

Karl : Ce sont nos premiers critiques et ils sont bons dans cet exercice. C’est très utile.

Rick : Ma fille est chanteuse d’opéra. Elle me connaît bien et c’est une muse fantastique. J’ai des conversations incroyables avec elle sur la manière dont elle ressent la musique et bien sûr celle d’Underworld si je lui demande. J’apprends vraiment beaucoup au contact de mes enfants. C’est fou si tu y réfléchis, tu passes d’abord la moitié de ta vie à leur apprendre des choses, et ensuite c’est toi qui reçois beaucoup d’eux, mais sans que tu ne t’en aperçoives vraiment.

Avec le temps vous avez fini par haïr “ Born Slippy ”?

Rick : Pas encore, mais il ne faut jamais dire jamais. (rires) Quand on joue cette chanson en concert, c’est fou ce qui se passe dans le regard des gens, comment ils explosent. On dirait qu’ils vivent une expérience religieuse et je me sens privilégié de diriger cette cérémonie.

Karl : Chaque nouvelle génération découvre ce titre et l’aime. C’est vraiment incroyable de voir des teenagers devenir fous en l’entendant. C’est quelque chose qui est super avec les jeunes générations, quand elles aiment quelque chose, elles s’en fichent de savoir que c’est un vieux morceau.

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