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14 mai 2018

Un track joué en club, combien ça rapporte à son auteur ?

par Olivier Pellerin

Le 23 avril dernier marquait la journée mondiale du droit d’auteur. L’occasion rêvée de se livrer à une étude de cas significative : résumer schématiquement combien rapporte en droits à son auteur un titre joué en set. Nous espérions pouvoir exposer quelque chose comme : « pour une soirée de x entrées à y euros lors de laquelle vous avez joué un de vos tracks sur un set de 2h, il vous reviendra z euros en droits d’auteur ». CQFD. Fin de l’article. Sauf que non. Beaucoup trop de paramètres et de cas particuliers entrent en ligne de compte pour pouvoir systématiser une règle de calcul. Nous avons donc consulté divers acteurs et spécialistes en la matière. Voici finalement nos explications, qu’on espère le plus lisibles possible, de la cascade complexe que suivent les droits d’auteurs de l’exécution d’un track à la répartition des droits qu’il génère.

La Sacem (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de musique), qui perçoit et répartit les droits d’auteurs, se garde bien de fournir une réponse unique : « donner des chiffres précis ne serait pas significatif, tant la valorisation de l’usage des œuvres dépend de nombreux paramètres : taille de l’audience, durée du set, durée de l’œuvre, type d’établissement qui reçoit le DJ, statut légal de l’œuvre (selon le nombre de compositeurs/auteurs/éditeurs), nombre de titres joués au cours de la soirée, économie de la soirée… »

Alors qu’est-ce qu’on fait ?
On plonge les mains dans le cambouis !

Sur quelle base sont calculés les droits ?

A priori, il s’agît du chiffre d’affaires généré par le lieu en billetterie et en bar. Tous les lieux qui diffusent de la musique payent des forfaits à la Sacem au titre des droits d’auteurs, selon un barème que la Sacem expose ainsi : « pour les établissements de danse et de spectacle vivant, les taux de base sont de 5,39% sur la billetterie et de 2,34% sur les autres recettes (bar/restauration). Toutefois, la plupart des ‘clubs électro’ sont encore traités sous le tarif établissements de danse et de spectacles proposant des animations à caractère dansant, dont le principe tarifaire est d’un taux de base de 2,65% sur la totalité du CA Billetterie ». Le premier type d’établissement correspond aux clubs qui programment des plateaux (ceux qui nous intéressent), le second rassemble les discothèques à l’ancienne, auxquelles s’applique un barème de droits en fonction du chiffre d’affaires (disponible en page 3 de ce document).

Prenons un cas pratique !

Par exemple un DJ set au Rex, qu’on supposera bien rempli, disons 800 places à 15€.

Recettes de billetterie =800 x 15 € = 12000 €
Recettes de bar = 800 x 20€ = 16000 € (20€ de boisson dans la soirée en moyenne par personne nous semble crédible – voire sous-évalué, mais bon, on vous sait raisonnables).
Ce qui nous donne :
Montant des droits sur la billetterie = 12000 x 5,39% = 647 €
Montant des droits sur le bar = 16000 x 2,34% = 374 €

TOTAL DU MONTANT DES DROITS D’AUTEUR = 1021 €
Ce qui n’est quand même pas négligeable.

Comment se répartissent les droits d’auteur ?

Dans l’hypothèse où l’artiste est le seul programmé et n’a joué que des titres dont il est auteur compositeur (un live par exemple) et dont il détient l’intégralité des éditions,100% des droits lui reviennent, moins la commission de la Sacem pour rémunérer ses services.

  • C’est une hypothèse rare, déjà parce qu’il y a souvent plusieurs DJs au line-up.
  • Ensuite, l’artiste peut avoir un éditeur, auquel cas 1/3 des droits reviennent à l’éditeur selon les statuts de la Sacem, les 2/3 restant allant à l’auteur – compositeur (un.e artiste de techno ou de house étant en général auteur et compositeur).
  • Enfin, il est fort probable que lors d’un DJ set l’artiste joue plusieurs morceaux d’autres artistes. Il existe pour cela un statut de DJ remixeur, créé en 1997 par la Sacem. Il garantit au DJ 1/12 des droits des œuvres qu’il joue (même celles des autres), si le DJ se livre réellement à une interprétation distincte, sans se contenter d’enchaîner des disques. Il est alors assimilé à un arrangeur, un peu comme un jazzman qui improvise. C’est évidemment très subjectif et la notoriété du DJ entre en ligne de compte dans l’acquisition de ce statut, finalement peu connu et donc peu voire pas du tout utilisé.

Reprenons notre cas pratique !

En considérant que 3 artistes étaient à l’affiche de la soirée au Rex, chacun a droit à 1021 ÷ 3 = 340 €.
Si vous n’avez pas d’éditeur, c’est ce qui vous revient en droits d’auteur. Attention : à la condition sine qua non que vous soyez inscrit à la Sacem et que les œuvres soient déposées !
Si vous avez un éditeur, il vous revient 2/3 des 340 €, soit 225 €.
Et encore, ce dernier calcul est valable si vous n’avez qu’un seul éditeur (on parle de pacte de préférence, c’est-à-dire que vous avez cédé à l’éditeur l’intégralité des droits sur tout votre répertoire pendant une durée déterminée). Il est possible d’avoir plusieurs éditeurs, en fonction des différentes utilisations que vous souhaitez faire de vos différents morceaux. Dans ce cas, la répartition des droits de votre set entre vos éditeurs et vous, va nécessiter de faire la calcul sur chaque titre en fonction de son propre contrat…

Vous êtes encore là ?!

 

Maître Alexandra Jouclard, avocate spécialisée en droits d’auteur, constate que les artistes de musique électronique sont souvent bien conseillés et appliquent des stratégies de diversification éditoriale, garantes de leur indépendance : « une grande partie des DJ/producteurs signent des contrats d’édition titre par titre, rarement des pactes de préférence éditoriaux. Ils choisissent en fonction du potentiel escompté du titre, notamment de ses possibilités de synchronisation, qui décidera à collaborer avec un éditeur (de préférence fort de bonnes sous-éditions à l’étranger) pour augmenter ses chances, ou non. D’autant qu’en musiques électroniques, les artistes sont souvent leurs propres labels, conservant ainsi leurs droits d’éditions. »

La déclaration

On vous l’a dit plus haut, tout cela n’est valable que si vous êtes inscrit à la Sacem, que vos morceaux sont déposés… et que vous déclarez ce que vous avez joué dans votre set.

Pour cela, trois possibilités :

  • Le programme jaune, est une feuille… jaune, sur laquelle vous devez noter les titres que vous avez joué, ainsi que leur auteur. Vous me direz, à 5h du mat après 2h de set, vous avez peut-être plus envie d’un verre que de remplir une déclaration. D’ailleurs Julie Ways, responsable de la production et des Relations Presse pour le groupe Noctis (AAA – Alexandre III, Yoyo, La Clairière, le RooftopR2, T7 Paris…) reconnait n’avoir vu qu’une ou deux fois un artiste remplir une feuille jaune en 5 ans de club. Fabrice Gadeau, qui dirige le Rex, confirme : « beaucoup trop peu d’artistes déposent leur programme. Les quelques gros DJ français oui, mais pour les petits DJ, c’était trop compliqué et peu de revenus étaient escomptés ». C’est une pratique plus courante en festival, où les équipes de production relancent plusieurs fois les artistes en fin de set pour obtenir le programme rempli. La DJ/productrice Chloé confirme : « je ne dépose pas vraiment mes feuillets, je suis sur le point de m’en occuper. Les seules fois où je remplis mes feuilles c’est quand je suis en live et en festival et qu’on me les mets sous le nez. » Bon et puis on ne répétera surtout pas ce qu’on a entendu, à savoir que souvent ceux qui prennent la peine de remplir un programme jaune n’y font figurer que leurs morceaux et ceux de leur potes… oups, on l’a répété.
  • Le programme type permet lui de simplifier tout ça en définissant une fois pour toute le set que vous jouez en tournée, auquel est attribué un numéro que vous n’avez qu’à rappeler à chaque date. Problème, ce qui est valable en variété l’est moins en techno/house où les sets varient par essence. Chloé encore : « Je n’ai pas de playlist type, mon set dépend du lieu, du public, du système son… Je collecte sans cesse de nouveaux morceaux, c’est un peu un truc de digger. »
  • Reste le monitoring. La Sacem a annoncé lors du dernier ADE en octobre 2017 un partenariat avec les hollandais de DJ Monitor pour équiper les clubs de boîtiers qui fonctionnent sur une technologie de fingerprint. Le boîtier est branché sur le système son, de manière sécurisée et confidentielle, il reconnaît les morceaux joués et alloue directement les droits. Plus besoin de déclarer vos sets. Le taux de reconnaissance des morceaux est supérieur à 80%… des morceaux déposés à la Sacem et dans la base DJ Monitor. C’est une des limites qu’y voit Chloé : « la mise en place de boîtiers dans les clubs est une bonne initiative bien sûr, mais qui reste limitée : je joue régulièrement des titres, de moi ou d’autres, qui ne sont même pas sortis, des edits que j’ai fait… »


Je ne pourrai jamais te dire tout ça
Je voudrais tant mais je n’oserai pas
J’aime mieux mettre dans ma chanson
Une déclaration
Ma déclaration

Du cercle vicieux au cercle vertueux, le chemin est donc encore long. Chloé regrette un manque d’informations : « ce que je critique à la Sacem, c’est que c’est flou. Le statut de DJ, les programmes types, on m’en a parlé une fois, mais personne ne le faisait autour de moi, donc j’ai un peu abandonné, même s’il faut le faire… » Si on ajoute à ça une certaine « phobie administrative » face aux nombreuses démarches, ainsi que la crainte diffuse que, dans le futur, des marques décident d’utiliser les « datas » des boîtiers comme ça se fait avec toutes les datas du monde, on comprend que nombreux soient ceux qui préfèrent ne pas mettre les mains dans le cambouis. Pourtant, Chloé est sociétaire de la Sacem depuis longtemps : « je me suis inscrite avant tout pour protéger mes morceaux en les déposant. »

Fabrice Gadeau constate que la situation a bien évolué ces dix dernières années : « Pendant des années ça a été un système injuste où les artistes ne touchaient rien et où nous payions très cher. La Sacem a fait d’énormes efforts, dont le premier a été la reconnaissance du DJ en tant qu’artiste. Le dernier pas est le monitoring. Le boîtier est installé au Rex, nous sommes en phase de test : les sets sont enregistrés et décortiqués. Le but est de redistribuer aux artistes une part de plus en plus juste de ce que nous payons à la Sacem ». Julie Ways abonde en ce sens et certains établissements du groupe Noctis vont également tester les boîtiers DJ Monitor, comme La Clairière, le Yoyo et en septembre AAA (le Showcase) et le RooftopR2 à Marseille.

La répartition

Mettons que toutes ces conditions sont remplies, pour le meilleur… quand serez-vous payé ? La Sacem énonce cette règle calendaire : les répartitions sont réalisées en janvier de chaque année pour les œuvres dont les droits ont été acquittés par les lieux au premier semestre de l’année antérieure, puis en juillet pour les droits acquittés au second semestre de l’année antérieure. Pour notre exemple du Rex ce mois-ci, vous serez-donc payés en janvier 2019.

Guillaume Heintzmann, qui dirige la société d’éditions Alter-K, l’avoue : « en pratique, c’est compliqué ! Déjà il y a la déclaration, le boulet de l’éditeur ! Puis il faut être pointilleux, voire agressif dans les relances. Nous avons deux personnes à temps plein là-dessus : déclaration aux délégations régionales, analyse des relevés Sacem, réclamations si nécessaires, qui peuvent prendre jusqu’à 4 ou 5 ans… Pour cela il existe des logiciels, comme le français Le Sage, qui compulse les données de répertoire et sans lequel les relevés Sacem sont illisibles. Il requiert cependant un apprentissage et un savoir faire, même s’il présente l’avantage d’être évolutif et d’offrir un dialogue avec les développeurs pour améliorer les fonctionnalités. Il en coûte 5.000 € à l’achat puis 520 € d’abonnement annuel. » Un vrai investissement. Néanmoins, Guillaume Heintzmann reconnaît que sur des grosses jauges, les droits d’auteurs peuvent être significatifs, surtout si le DJ joue beaucoup.

Il semble donc judicieux de s’inscrire à la Sacem et de signer avec un éditeur… pour peu que vous commenciez à jouer régulièrement dans des salles d’une jauge respectable. Et que vous soyez dans une logique de développement, avec direction artistique, promo, etc. Si vous n’en êtes pas encore là, mais que les montants théorisés ci-dessus vous titillent quand même et que vous ne rechignez pas à un peu de travail administratif, rien ne vous empêche de déposer vos œuvres, de déposer un programme type et de faire un peu de suivi en notant vos dates… quitte à prendre rendez-vous à la Sacem et à y passer 1h pour vérifier si les droits paraissent conformes aux sets que vous avez joués. Quitte aussi à monter votre propre structure d’édition et à vous adresser à un gestionnaire éditorial pour établir avec lui un contrat de prestation de services, selon lequel il s’occupera pour votre compte des démarches de suivi et de récupération des droits. On vous fera un tuto sur le montage de sa propre boîte d’édition la prochaine fois, chaque chose en son temps !

En attendant on vous laisse reprendre l’exercice du Rex à l’échelle d’un festival comme Astropolis, le N.A.M.E. ou Peacock Society par exemple… vous nous direz combien vous trouvez, nous on va danser !

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