« Un crew de babtous qui délirent » : rencontre bordélique avec Le 77
Oubliez la Seine-et-Marne, le 77 est un pur produit belge. Quatre garçons qui concoctent depuis leur home-studio des plâtrées de morceaux pour ravager les festivals. Ou plutôt, comme ils le disent eux-même dans l’intro de leur dernier disque : « Une bande de copains qui sont vraiment très copains et qui font les paroles des chansons ensemble. Des tempéraments très différents, qui bombardent, mais alors qui boivent des bières comme jamais j’ai vu. »
Il y a maintenant quelques années, Peet, Félé Flingue, Morgan et Rayan se sont rassemblés afin de concrétiser un projet musical commun. De cette colocation est né un nom de groupe (ou plutôt un double-chiffre, celui de leur numéro de palier), puis trois albums : C’est le 77 en 2017 (ça fait beaucoup de 7), Bawlers en 2018 et ULTIM en juin dernier. Un rap foufou où les flows déjantés s’entrechoquent, parvenant à rester cohérent grâce à une patte artistique identifiable et un vocabulaire unique. Rencontre bordélique avec toute la clique, par appel-vidéo sur IPhone : « Alors par contre désolé frangin mais on va bientôt devoir aller à l’aéroport, on part à Genève. Du coup c’est possible que ça ne dure pas plus de 20 minutes ? » On s’est débrouillé.
« Je ne pourrais pas te dire quelles sont nos influences, parce qu’on est tous inspirés par plein de trucs différents », commence Félé Flingue, à l’évocation des sonorités jazz qui cimentent leurs différents disques. Impossible pourtant de ne pas y penser : le 77 fut notamment créé à la suite d’un transfert de L’Or du Commun, autre figure du rap bruxellois. Les deux groupes partagent un goût pour des sons smooth, boostés par des batteries pêchues, typiques du hip-hop. « Mais c’est vrai qu’il nous arrive de puiser là-dedans : on va sur des playlists YouTube et tombe sur des morceaux, des samples qu’on ne connaît pas. Ça peut être des playlists de funk ou de jazz. Et dès qu’on tombe sur une boucle qui nous plaît, on la prend, on la sample, on la retravaille et on emmagasine comme ça tout un stock d’instrus. Puis en fonction de l’humeur du jour, on pioche dedans pour écrire dessus. »
Après les samples viennent les instrus, puis les textes, puis les clips. Tous les membres du crew se complètent pour créer un circuit complètement autonome. Un côté artisanal qui fait leur indépendance et leur identité : « On a la chance d’avoir tout ce qu’il nous faut. Morgan et moi sommes beatmakers, tandis que Félé a une vision artistique de l’image vraiment poussée. On n’a pas besoin d’aller chercher ailleurs », explique Peet. « Quand tu sais tout faire toi-même, c’est tellement kiffant de faire un disque uniquement à quatre. Ça va se ressentir dans tout un projet ; quand tu prends des instrus à droite à gauche, il n’y a plus de cohérence, ton album devient une mixtape. »
Au-delà de la cohérence, ce mode de fonctionnement permet une émulation créatrice constante. Dans le son comme l’image : « Une fois, je me promenais dans une brocante et je suis tombé sur une petite paire de lunettes, je les ai ramenées à la maison et tout le monde a tripé dessus. Le fait que ce soient des lunettes d’enfants, ça donne tout de suite un faciès vraiment débile ; c’était un bon délire entre potes. » Délire qui a notamment donné « Lunetz », clip issu de leur dernier album, où les rappeurs enfilent des « lunettes de skills » qui leur donnent des super-pouvoirs.
De nombreux internautes se sont alors permis un rapprochement qui semble logique, les Beastie Boys. « Rien de volontaire. Personnellement, je ne les ai jamais vraiment écoutés – même si je voyais quelques clips d’eux quand j’étais petit – mais je comprends le parallèle. Pas sur le plan musical, mais c’est sûr qu’il y a vraiment le côté « crew de babtous qui délirent » « s’amuse Peet. Du côté de l’audio justement, c’est une véritable explosion vocale ; les intonations nasillardes et les anglicismes s’enchaînent à la vitesse de l’éclair, à presque prendre les Belges… pour des Québécois.
« On a une connexion avec le Canada : il y a un groupe de là-bas qui s’appelle Alaclair Ensemble, qu’on écoute et qu’on respecte, et avec qui on a fait une petite tournée. On a quand même du public au Québec, on reçoit pas mal de retours. Mais on fait surtout partie de la famille du hip-hop francophone, pas de nationalité là-dessus. On s’était branchés avec des gars de Suisse, comme La Base ; on adore l’énergie scénique des XTRM Boys. On vient de Belgique, un pays bilingue, donc ça ouvre forcément des horizons. Par exemple, après avoir fait du son ensemble, on est devenus potes avec Zwangere Guy, qui rappe en flamand. »
Au 77, tout se fait à l’instinct : leurs morceaux ont été conçus dans la cave de la coloc’, avant d’être gardés et sélectionnés. Ainsi émergea une jolie discographie. « La prochaine étape, ce sont les projets solo de Morgan et de moi-même », conclut Peet. « Mais d’ici-là, on a encore plein de morceaux qui traînent dans nos disques durs et qui ne sont jamais sortis. » Les Bruxellois nous réservent encore bien des surprises…