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14 mars 2014

« Un bon film sur Johnny Hallyday plutôt qu’un mauvais film sur les Ramones »

par rédaction Tsugi

L’interruption du festival Filmer la Musique a fait bien des orphelins. Sans réels moyens mais avec beaucoup de passion et de goût, ses cinq éditions chaotiques auront permis d’attirer l’attention sur de nombreux documentaires musicaux, aux formes flottantes et aux qualités inégales, mais toujours originaux et intrigants. Malgré l’existence de quelques initiatives salutaires, notamment les programmations organisées par Benoit Hické à la Gaité Lyrique, cette fenêtre sur un cinéma tournant le dos aux biopic formatés dont Hollywood nous abreuve, manquait cruellement. C’est donc avec joie que Tsugi salue la naissance d’une nouvelle manifestation dédiée au cinéma et à la musique sous toutes leurs formes. Le F.A.M.E, pour Film And Music Experience (belle déclaration d’intention), débute ce soir à la Gaîté Lyrique. Derrière cette première édition on retrouve Olivier Forest, l’un des animateurs de Filmer la Musique (et par ailleurs collaborateur de Tsugi), et Benoît Hické, connu lui aussi pour ses programmations tout azimut, chaleureusement soutenues par Jérôme Delormas, le directeur de la Gaîté Lyrique. Parmi la quinzaine de films en avant-première à découvrir jusqu’à dimanche, on notera Le Projet Sextoy, portrait intime de la regrettée Delphine Palatsi, figure marquante et tourmentée du Pulp. Mais aussi Big Star : Nothing Can Hurt Me, sur le plus grand groupe de losers dépressifs du monde, Silk qui suit le quotidien en tournée des divas house du label de Los Angeles, 100% Silk, Teenage, un film sur l’invention de la culture jeune basé l’essai de Jon Savage ou encore You’re gonna miss me, un (beau) portrait du rocker psychopathe Rocky Erickson. Mais notre film d’ores et déjà favori reste Naked Opera, sorte d’auto-biopic d’un (très) riche et (très) gay amateur d’opéra Luxembourgeois, Marc Rollinger, qui traîne ses névroses et son ennui existentiel d’une représentation de Don Giovanni a une autre, à travers le monde et les escort boys. Le film, déconseillé au moins de 16 ans, sera projeté samedi à 16h, en sa présence. On a hâte.

En attendant, nous avons demandé à ses organisateurs de nous présenter le F.A.M.E plus en détails.

Tsugi : Quelles différences y a-t-il entre Filmer la Musique et le F.A.M.E ?

Olivier Forest : Filmer la Musique a été ma vie durant six ans et je regrette encore la manière dont il s’est terminé. Une histoire douloureuse qui doit encore se solder au tribunal des prud’hommes. Mais il fallait rebondir. C’est tout naturellement que j’ai cette fois collaboré avec Benoît dont je connaissais le travail et notamment les projections régulières, Musiquepointdoc, à la Gaité.

Benoit Hické : F.A.M.E n’est ni une nouvelle version de Filmer la Musique, ni une édition spéciale de Musiquepointdoc, c’est un festival complétement nouveau. Mais on assume volontiers d’être dans la continuité de ces deux manifestations. Le F.A.M.E est la réunion de nos envies et de nos différences. Nous nous retrouvons en tout cas pour dire que nous ne nous voyons pas comme des historiens des documentaires musicaux. Avant tout, nous avons envie de montrer un cinéma qui explore, qui se pose des questions, qui invente des formes, un cinéma documentaire mais pas seulement. La musique est le sujet parfait pour inspirer ce genre de films hors-format. Au-delà de nos propres goûts, la musique nous intéresse parce qu’elle est un excellent révélateur de son époque. Faire un festival de films autour de la musique c’est pour nous une manière de montrer un air du temps, sexuel, politique ou sociétal…

Des films sur le skate, sur des champions de jeux vidéo ou des gang de bikers, de fait, il y a de tout au F.A.M.E…

Olivier : Il nous semble important de montrer des films qui témoignent de la pop culture. Quel autre sport est aussi proche de la musique que le skate ? Quant aux champions des jeux vidéo ils sont adorés comme des rock stars en Corée. En ouverture nous avons choisi un film, Bloody Beans, sur la révolte d’enfant algérien qui n’a rien à voir avec le rock, mais dont  la musique a été composé par Zombie Zombie. Ils joueront leur composition ce soir lors de la projection. De la même manière, la projection du film Un jour peut-être, dédié à la scène hip hop alternative autour du Klub des Loosers, Grems ou TTC, sera suivie d’un concert. Le festival ne s’appelle pas pour rien Film And Music Experience.

Benoît : Il faut mieux parler d’un festival de cinéma autour de la musique que d’un festival de films musicaux. Le film sur Big Star est peut-être l’exception qui confirme la règle dans une programmation où il y a finalement très peu de films sur des groupes. Comme par hasard c’est le film dont la forme est la plus classique. Tant mieux, mais on n’en passe qu’un seul dans ce genre. Nous, nous avons envie de montrer des films qui proposent des formes plus interstitielles, sans se poser la question du bon goût, ni musical, ni filmique. Dans notre festival on passe de l’opéra à la techno, à la pop et au funk. Beaucoup de films risquent d’irriter les gens et c’est très bien comme ça.
Olivier : Franchement, nous préférons montrer un bon film sur Johnny Hallyday qu’un mauvais film sur les Ramones.

Le F.A.M.E c’est aussi une compétition ?

Olivier : Avec un prix de mille euros offert au réalisateur du film lauréat, oui. Filmer la Musique montrait des films de toutes les époques. Cette fois nous avons voulu sortir de cette forme de confort qui consiste à pouvoir piocher à droite à gauche pour nous confronter à la production actuelle. Nous avons visionné deux cent cinquante films pour en retenir dix en compétition et cinq hors compétition. La compétition va servir le film qui aura le grand prix et ne desservira pas les autres.

Benoît : Nous considérons que les films que nous montrons sont des films aux formes fortes et qu’ils ont droit à une véritable compétition comme n’importe quels autres films. Donner un prix, réunir un jury international, c’est pour nous une manière de requalifier ces films trop souvent abandonnés dans les marges.

De DIG au succès de Sugar Man, sans parler des biopics d’Hollywood, on a le sentiment que les films autour de la musique sont plus nombreux à voir le jour aujourd’hui. Comment l’expliquez-vous ?

Benoît : De la même manière que la démocratisation de la vidéo et de moyens techniques miniaturisés et professionnels ont permis la naissance de nombreux films, le financement grâce au « crowdfunding » a favorisé l’essor de ce cinéma.

Olivier : Beaucoup des films que nous avons vus ou programmés sont financés en totalité ou en partie par ce système de participation du public. Le crowdfunding fait dorénavant partie du plan de financement d’un film. Cela devient même un levier. Le CNC (centre national du cinéma) prend en compte le crowdfunding. Si on vient les voir avec un dossier, ils apprécient qu’il y ait déjà un gros montant apporté par le public, ils se disent que le film est intéressant.  Le film sur Sextoy, 12 o’ Clock Boys sur les gangs de bikers de Baltimore ou encore Silk, ont eu recours à ce mode de financement. Durant de longues années, peu de films sur la musique ont été réalisés parce qu’ils étaient très difficiles à financer. Ils n’intéressaient pas les chaînes de télé et le milieu du cinéma est notoirement peu musical. Ces films, ils ne les comprenaient pas. Quand tu vas voir le CNC avec un projet de film sur Devo on ne te donne pas un centime, aucun chaîne ne va produire un film sur Devo, en revanche si tu déposes sur le net un dossier de crowdfunding pour un film sur Devo, dans le monde entier il y aura des gens volontaires pour donner vingt dollars pour le voir. Cela ouvre bien des perspectives et c’est évident dès cette première édition. Il y a eu la révolution des moyens techniques avec les tournages légers en numérique, celle de la diffusion avec YouTube et maintenant celle du financement. Tout cela explique que beaucoup plus de films existent aujourd’hui qu’il y a dix ans.

www.gaite-lyrique.net/FAME2014

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