Trans Musicales 2013 : Interview avec Fakear
Ton nouvel EP est « né » il y a 5 jours. Jusqu’à présent, quels sont les retours ?
Ma première réaction a été la surprise. Cet EP là, c’est quelque chose de très personnel, et qui n’a pas forcément la « continuité » de Morning In Japan, il part davantage dans tous les sens. Du coup, je me disais qu’il pouvait être accueilli avec un peu de réserve. Finalement, je suis super surpris, et aussi soulagé que les échos soient aussi unanimes.
Cela te tenait à coeur de sortir ce disque malgré le fait que tu soies conscient de son côté « hétérogène » ?
Complètement, parce que c’est quelque chose qui est beaucoup plus représentatif de mon live et de ce que j’ai envie de donner en tant qu’artiste. Morning In Japan, au final, c’était très « fermé », une bulle, avec des morceaux très connotés, très tournés vers l’extrême-Orient, et au final, ce n’est pas forcément mon délire de forcer le trait ainsi. Il y a toujours cette idée d’invitation au voyage, mais j’aime la faire passer de manière plus générale, plus diffuse, Dark Lands est plus représentatif de cet état d’esprit, il est moins « concept ».
Tu ressentais une forme de stress, d’anxiété, après le joli succès de Morning In Japan ?
Je me suis mis un peu la pression, mais jamais sur la composition. Je bosse toujours de manière intuitive, super enfantine, avec toujours un rapport à l’imaginaire et aux images de la tête. Après, il y a l’angoisse de demander comment il va être reçu, est-ce que les gens ne vont pas le compendre de traviole… Mais je vais essayer de ne jamais me stresser sur la composition.
Qu’as-tu appris pendant cette période entre ces deux EPs ? Tu as eu le temps de faire beaucoup de dates, d’expérimenter des grosses scènes et de rencontrer des gens…
J’ai beaucoup travaillé en résidence au Cargö à Caen, j’ai rencontré un ingé-son et une régisseuse qui me suivent tout le temps, ils sont super importants pour le live de Fakear, ils le structurent, j’ai vraiment besoin d’eux. Et j’ai naturellement appris tous les trucs protocolaires du musicien « pro » que je ne connaissais pas, la manière de dialoguer avec les acteurs du milieu, les techniciens, le fait de gérer le timing… Sinon, le fait de faire des grosses scènes m’a aussi donné une envie de « fat » dans ma composition. Quand j’ai joué à Beauregard, j’ai compris le rapport physique que j’avais moyen d’instaurer avec le public, parce que j’avais une vraie grosse sono de festval à disposition… Maintenant, j’apprécie vraiment quand les basses vibrent dans le bide. J’ai donc agrandi un peu ma palette sonore grâce à cette prise de conscience. Le fait d’avoir pris ma claque avec le live de Flume, à Astropolis et au Trianon à Paris, a aussi joué dans le truc. Gesaffelstein aussi, je ne suis pas fan de sa musique, mais quand je l’ai vu pour la première fois il y a quelques semaines à Nordik Impakt, je me suis littéralement cogné dans le son. Toutes ces expériences, forcément, ça fait évoluer.
Tu fais de l’abstract hip-hop, genre que beaucoup de gens s’emploient à vouloir ranger au placard. Pourtant, on est d’accord pour dire qu’il existe un vrai public, une vraie envie de continuer à écouter cette musique. Pourquoi, selon toi, cette musique n’a plus la faveur des médias, comme elle pouvait l’avoir au temps de l’âge d’or de Ninja Tune ?
C’est vrai que depuis la baisse d’aura de Ninja Tune après une grosse période fin 90’s, l’écho de ce genre de hip-hop instrumental a baissé. Perso, j’ai du mal à me trouver une catégorie, je puise dans l’abstract, dans le trip-hop, du coup je me dis juste que je fais de la musique électronique. Pour en revenir à ta question, c’est aussi un mouvement qui a monté vite, qui s’est éteint vite et qui a peut-être laissé pas mal d’auditeurs sur le carreau. Mais il n’y a qu’à voir Bonobo, qui continue à grimper, ses dates pour son dernier album sont impressionnantes et il continue à prendre de l’ampleur. Et les médias sont juste concentrés sur autre chose.
Toi-même, tu t’es fait biberonner par quelles musiques quand tu étais gosse ?
Du vieux rock, Dire Straits, Pink Floyd, Zappa, Supertramp… Et de la world music ainsi que du classique, mes deux parents sont profs de musique. Si il y a quelque chose qui ressort de tout ça dans Fakear, c’est probablement le côté voyageur, et puis certaines structures de morceau, qui restent presque pop, parce qu’elles sont instictives. Mes parents m’ont surtout apporté une ouverture d’esprit. Je me suis retrouvé très tôt à écouter Deep Forest étant gamin, par exemple. Et quand je fais écouter ma musique à ma famille, cela leur fait penser naturellement à des trucs de world music.
On imagine que le fait d’avoir évolué pendant un temps avec Gabriel (Superpoze) a du jouer un rôle dans tes envies de beatmaking. Vous vous êtes nourris l’un de l’autre à une période ?
Avec Gab, on a commencé à produire exactement en même temps, à la fin de la terminale, vers 2009. Je me rappelle de son tout permier morceau, c’était déjà du Superpoze, il avait déjà trouvé son univers. Moi, j’ai bidouillé deux ans dans ma chambre tout seul, juste pour moi, et pour définir un peu un son qui me correspond. C’est pour ça que Gab a démarré plus tôt que moi. On s’est beaucoup aidés l’un l’autre au début, rapidement c’est lui qui a pu me donner des conseils vu qu’il accumulait plus d’expérience que moi, mais on est toujours énormément en contact, bien sûr.
Vous avez mis quoi, dans l’eau courante à Caen, pour que ça marche à mort comme ça en ce moment ? C’est le calcaire, c’est ça ?
Ou le camembert, ou la teurgoule, c’est toi qui vois (rires) ! Je n’arrive pas à me dire si il y a vraiment un « son de Caen ». En tout cas, le rôle du Cargö est super important pour le développement d’artistes. En tant qu’expatrié à Paris, c’est dur pour moi de trouver une explication à tout ça, mais je pense qu’il y a une bonne émulsion entre les groupes de là bas, les tructures qui les accueillent, les festivals, et tout ça est assez fontionnel je pense.
Comment s’est passé le contact avec l’orga des Trans ?
J’ai fait le tremplin du Cargö fin 2012, et dans le jury, il y avait le fameux Jean-Louis Brossard. C’est l’un de ceux qui a appuyé pour que je remporte ce tremplin, merci à lui (rires). Il est venu me voir après, on a discuté de ce qui allait bien dans mon travail, des points d’amélioration, et il a laissé une porte ouverte pour les Trans’. Puis j’ai trouvé un tourneur, qui a réussi un peu plus tard à me caler dans la prog’, et voilà. Je suis hyper content.
On imagine que ce ne sont pas tes premières Trans’ et que tu es déjà venu en tant que festivalier…
Figure-toi que non ! Je suis très peu festivalier, deux dans lesquels je joue aujourd’hui, je ne les jamais fait en tant que spectateur, même Nordik Impakt qui est basé dans ma ville. Du coup, c’est une découverte pour moi à chaque fois, c’est plutôt marrant, mais je crois que je ne suis pas fan de la foule, et je suis assez casanier.
Tu as bossé des choses particulères pour ce live ? On doit s’attendre à quoi ?
Tous mes lives sont différents, parce que je compose énormément et que je cale souvent des nouvelles séquences dans mon set. Il va y avoir deux nouveaux morceaux, et aussi pas mal de tracks réarrangés. Pas de gros changement par rapport à d’habitude, mais on a aussi beaucoup bossé la technique et le mixage avec mon ingé-son, on teste un nouveau système sonore pour la première fois sur cette date, et on devrait bien ressentir la différence, en tout cas j’espère.
Tu bosses avec des MPC en live. C’est important pour toi de montrer que tu génères les sons physiquement au lieu d’influer sur un truc préparé à l’avance ?
C’est mes racines rock, je pense. Le live, tu dois suer, tu dois donner de toi, c’est un spectacle. J’ai longtemps été fan des guitar heroes qui jouaient des solos avec la langue, en mode « que de la tronche ». Et au niveau de l’électro, les gens sont sérieux et tournent leurs boutons pépère, personne ne voit ce qu’ils font. Du coup, en penchant mes machines vers le public, j’ai voulu montrer les choses, quitte à me planter, c’est le danger du live et c’est ça qui est cool. Je suis complètement contre les délires de lives audiovisuels, je n’aime pas la vidéo, c’est trompeur, autant regarder un DVD non ? Je préfère cent fois un mec qui transpire et qui tombe par terre parce qu’il s’est pris les pieds dans ses câbles. Le live c’est un contact physique entre un artiste et son public.
Ça fait quoi de se faire interviewer par So Foot ?
Je m’y attendais pas du tout, ça s’est calé du jour au lendemain. Au final, on s’est calés dans un bar avec le journaliste, et on a parlé foot pendant une heure entière à la cool, sans grille de questions, et le rendu est mortel. Pour moi, So Foot c’est un peu le Causette pour homme, ils savent prendre un sujet très connoté « masculin » pour en faire quelque chose de vraiment différent, et c’est chouette qu’ils aient pensé à moi.
T’as prévu un truc le lendemain des Trans’ ?
Je vais rentrer à Caen, ça fait trois semaines que je ne suis pas rentré, ça va faire du bien. Je compte boire une bière en terrasse, jouer avec mon chat, ça va être parfait. Et lundi, j’appellerai mon tourneur pour causer de la suite. Il n’y a pas de période post-Trans’ avant d’avoir fait les Trans’.
Dark Lands (Nowadays Music)