Terrence Parker, l’enfant béni de la Motor City
La scène techno de Detroit a Juan Atkins, Jeff Mills ou Robert Hood mais la house n’est pas en reste dans cette capitale de la musique électronique. Terrence Parker en est l’un des plus fiers représentants, lui qui se fait aussi appeler « Telephone Man » en raison de sa façon particulière de mixer, sans casque mais avec un combiné de téléphone trafiqué. L’Américain est d’ailleurs surtout connu pour ses qualités de DJ et son art de la transition (il mixe depuis ses 11 ans !) plus que pour ses productions. Pourtant, TP comme il aime être surnommé a aussi une discographie s’étalant sur 25 ans et pavée de titres cultes comme « Somethin’ Here ». C’est pour parler de son dernier long-format justement, GOD Loves Detroit, sorti le 30 juin dernier sur le mythique label de Carl Craig Planet E, qu’on a interviewé Terrence Parker via Skype. Tout juste sorti d’un rendez-vous chez le médecin en raison d’une grave infection des sinus, il nous a parlé de son rapport à Detroit mais aussi de l’importance de Dieu dans sa vie, avec une sagesse et une sincérité qui ne peuvent que susciter l’admiration.
Si vous êtes plutôt Spotify :
Tu es un DJ incroyablement doué mais beaucoup de gens oublient que tu es aussi un très bon producteur, ça ne t’ennuie pas ?
Pas vraiment. J’ai commencé en tant que DJ, ce n’est que plus tard que je me suis mis à produire. Le DJing est toujours le plus important pour moi, comme un premier amour. Et puis souvent, les gens découvrent la musique d’un artiste après l’avoir vu mixer, ça peut leur donner envie si le DJ est bon ! C’est important d’avoir les deux facettes du métier. Il y a de très bons DJs qui ne produisent pas de musique et qui n’arrivent pas à trouver de dates…
Certains font appel à des « ghost producers » (des producteurs de l’ombre qui composent des titres pour les DJs, ndlr) pour remédier à cela.
C’est totalement vrai. J’en connais quelques-uns, mais je ne les citerai pas (rires).
Parlons un peu de ta ville. As-tu déjà pensé à vivre ailleurs qu’à Detroit, lorsque les temps y étaient durs ?
J’ai vécu un an à Las Vegas car j’avais un proche qui était très malade et j’y suis allé pour m’en occuper mais sinon non. Je n’ai jamais considéré l’idée de partir lorsque les choses ont commencé à se dégrader car je n’avais tout simplement pas l’opportunité d’aller ailleurs. Mais je comprends pourquoi beaucoup sont partis.
Tu as sorti un album intitulé Detroit After Dark en 1997, lorsque la ville commençait à aller mieux, avant qu’elle ne soit à nouveau frappée de plein fouet par la crise des subprimes dix ans plus tard. Tu n’as jamais eu l’impression qu’il y avait une « malédiction » autour de cette ville ?
Comme partout, elle a vécu des hauts et des bas, c’est un cycle. Berlin, Paris, Londres, Los Angeles, New York, chaque ville a ses périodes difficiles. L’économie de Detroit était basée sur l’industrie automobile et j’ai pu voir toute l’évolution, comment les choses se sont développées, avec des périodes de transition technologique. Ici, la transition fut très dure mais aujourd’hui il y a de plus en plus d’entreprises de technologie de pointe par exemple et je suis optimiste concernant le futur de cette ville.
Detroit est toujours l’un des endroits les plus importants dans le monde pour la musique électronique après tant d’années. Comment expliques-tu cette longévité ?
C’est l’un des points de passage majeurs pour l’arrivée des importations aux Etats-Unis et la musique ne déroge pas à cette règle. Nous avons été exposés à beaucoup de choses, de Kraftwerk aux sons plus disco et plein d’autres styles, la ville a pris de l’avance en terme de musique à l’époque. Les producteurs de musique électronique ont été confrontés à certains concepts et nous avons apporté notre touche. Juan Atkins est l’exemple le plus connu mais il y en a eu beaucoup d’autres et c’est peu à peu devenu une tradition qu’on a réussi à entretenir. Il a beaucoup de vieux artistes qui arrivent à toucher les nouvelles générations. Kevin Saunderson qui a beaucoup transmis à son fils, Robert Hood joue avec sa fille dans le monde entier, il y a plein d’autres exemples qui entretiennent cette flamme, qui la transmettent et c’est vraiment génial.
Sur l’artwork de ton album, on peut voir une église devant des buildings d’affaires au dessus des nuages. Est-ce à Detroit ? Qu’est-ce que cela signifie ?
Il y a une autoroute qui t’emmène directement des banlieues nord au centre ville de Detroit, l’Interstate 75. Quand tu roules à travers la Warren Avenue il y a une église qui s’aligne parfaitement avec les buildings de General Motors. La pochette de l’album est une photo de cette vue si particulière. Il faut le voir pour le croire, c’est magnifique. Quant aux nuages, l’idée est venue d’une vision que j’ai eu où il y avait écrit « Dieu t’aime« , quelque chose dans le genre. J’ai été voir Josh (le concepteur de l’artwork, ndlr) avec ces deux concepts et voilà le résultat. Il a fait un boulot incroyable.
Crois-tu que Dieu aime ton nouvel album ?
Quand mon temps sera venu, il me le fera savoir ! (rires) Plus sérieusement, je n’y ai jamais vraiment pensé mais j’espère. L’album n’aurait jamais pu être ce qu’il est sans Dieu, c’est lui qui a tout mis en place pour qu’il soit créé. J’espère aussi que GOD Loves Detroit donnera un peu d’espoir aux gens, pas seulement ici mais partout sur la planète et peut-être même les rapprochera de Lui.
Il t’arrive de prier avant un DJ set ?
Tout le temps, je prie avant un show, avant un voyage, quand je me réveille. Ma relation avec Dieu est très forte et je crois qu’il est la raison pour laquelle je suis capable de faire tout ce que je fais. J’ai traversé tant de choses dans ma vie et je sais que je les dois à Dieu, à sa bonté. Je m’estime chanceux à chaque fois que je monte dans un avion pour aller jouer quelque part.
Robert Hood a également une relation importante avec Dieu, il est pasteur. Qu’en est-il pour les autres producteurs majeurs de Detroit ?
J’ai eu des discussions assez intenses avec des amis et des collègues à ce sujet et oui il y a beaucoup de croyants à Detroit, même si je préfère laisser à chacun la liberté de s’exprimer sur son cas. C’est assez logique, avec tout ce que la ville a vécu, et je crois que c’est aussi grâce à cette foi puissante des gens d’ici que la ville a réussi à se relever.
Dans ton album, il y a certains morceaux en collaboration avec Merachka. Elle vient de Detroit aussi ? Qui est-elle ?
Oui. C’est une chanteuse, une compositrice, une productrice et elle mixe également, principalement de la techno. Je l’ai rencontrée grâce à un ami commun et j’ai tout de suite adoré sa musique, j’ai senti un énorme potentiel. Quand nous avons commencé à travailler ensemble, tout a très bien fonctionné, il y avait une vraie alchimie. Sur mon précédent album déjà, elle a co-écrit « Open Up Your Spirit » qui est devenu le titre principale du long-format. Cela a ouvert une porte qui nous a poussé à continuer à travailler ensemble sur GOD Loves Detroit. Pour « Bassment Beats » par exemple elle est venue avec l’idée principale, c’est un vrai son en collaboration avec Merachka, pas juste une apparition. Elle est vraiment talentueuse, et vous allez entendre parler d’elle de plus en plus ! On viendra bientôt jouer au Djoon ensemble à Paris, en septembre.
C’est ton club préféré ici c’est ça ?
Oui, j’adore jouer dans ce club et plus globalement en France. Il y a un public incroyable ici, passionné. J’étais à Paris la nuit de l’attaque du Bataclan, et j’ai vraiment ressenti l’expérience des Français, j’ai essayé de me mettre à leur place. Cela m’a rapproché de ce public à jamais, nous avons tant en commun, c’est ce que je retiens de tous mes voyages.