Skrillex : “je trouve ça très bien qu’on me déteste”
Rares sont ceux qui vous avoueront être totalement indifférents à ce type. Skrillex énerve les puristes et excite les jeunots, et laisse perplexe bon nombre de spécialistes. Ce type est-il une machine, une bête de foire, un petit génie, un simple entertainer ? Nous-mêmes, nous n’avons toujours pas tranché, et le nouvel album de Sonny Moore crée encore une fois des camps farouchement opposés dans notre rédaction comme dans notre entourage. Il nous a donc semblé pertinent de donner la parole à cet ami de Brodinski, de Diplo, de Boys Noize… et de la moitié de la planète électro (pour faire simple), afin d’y voir plus clair. Parce que l’amitié n’explique pas tout… Ou peut-être que si, en fin de compte. Et si sa musique vous révulse, pas d’inquiétude : il parle aussi de jeu vidéo.
Tsugi : Tu as pris le temps de consulter les retours sur ton album pendant sa semaine de pré-écoute ?
Skrillex : J’ai pas mal passé de temps à regarder les réseaux sociaux, ouais, et j’ai été surpris par le nombre de commentaires positifs. Depuis que je fais du son sous le nom de Skrillex, j’ai pris l’habitude de sortir mes morceaux sans prévenir à l’avance, ça permet aussi aux gens de ressentir la musique sans anticiper son arrivée, sans se dire “ça va sûrement sonner comme ça”. Là, je crois que ceux qui m’écoutent depuis longtemps ont vraiment adoré, et c’est cool.
Concevoir un premier album après un début de carrière basé sur plein d’EPs, des singles et des lives, c’est un exercice différent ?
J’ai pas mal bougé ces dernières années, je n’ai que rarement eu l’occasion de me poser dans mon home studio. Ce qui fait que ce disque a été enregistré sur la route, à plein d’endroits différents avec mon ordinateur, et avec différentes personnes lorsqu’elles étaient enthousiastes à l’idée de participer. Je ne sais pas trop en fait, j’ai juste continué à faire du son, et à la fin, je me suis retrouvé avec pas mal de morceaux, dans lesquels j’ai sélectionné ceux qui me paraissaient les plus adaptés pour faire ce disque de la manière la plus cohérente possible. En tout cas, ça n’a pas été un problème particulier pour moi, parce que je ne partais pas d’un concept fort.
Dans Recess, on peut retrouver des idées qui étaient présentes dans ta première tentative de premier album, que tu t’es fait dérober en même temps que ton ordi de l’époque ?
Tu sais, ces morceaux dataient pour la plupart de 2011. C’était une sacrée claque pour moi, et j’ai passé pas mal de jours à ne pas digérer ce qui s’était passé. Mais ce que j’ai gardé de cette première session, ça se compte en détails, rien de plus que ça. J’ai globalement recommencé à zéro, puisque de toute façon je compose toujours de manière instinctive, en fonction de l’endroit où je suis, de comment je me sens sur le moment.
Tu as déclaré vouloir faire ressortir un sentiment naturel de nostalgie adolescente. Tu es toi-même nostalgique de cette période ?
Pas franchement de la période en tant que telle, qui a été assez dure pour moi, mais plutôt des souvenirs musicaux qui correspondent à des émotions fortes que tu ressens à cet âge-là. C’est pour ça que ma musique peut paraître “facile” vue de l’extérieur. Ça passe par des mélodies simples, bien appuyées, qui te font directement sentir joyeux, triste, en colère. C’est ça que j’adorais dans The Prodigy, dans Nine Inch Nails, et dans tous ces groupes de rock alternatif que j’écoutais. Quelque chose de très premier degré, de très “frontal”, qui font appel à des émotions primaires, et qui ne passent pas par quatre chemins.
On n’était pas trop dans cette dynamique quand tu as sorti le Leaving EP…
Cet EP est à considérer de manière indépendante du reste de ma discographie. Je l’ai davantage mis en ligne comme un cadeau aux fans après un cycle de tournées qui m’a amené partout où je pouvais l’espérer, et ça me permettait de clôturer tout ça avec des trucs un peu plus planants, et un remix de “Scary Monsters” qui était clairement là pour faire plaisir aux gens. Il ne fallait pas déceler de direction artistique là-dedans, c’était pour le fun.
On imagine que tu étais fan de R-Type et de Asteroids quand tu étais gosse, pour que tu sortes une appli de shoot’em up ?
J’adore ce genre de jeux. J’ai passé vraiment beaucoup de temps à jouer à R-Type et à plein de scrolling shooters. C’était bien plus difficile à finir que les jeux actuels… J’aime bien ce genre de jeux, car ils sont bien plus intelligents que certains trucs qui sortent aujourd’hui, et ils puisent leur force dans la simplicité. Baser l’appli là-dessus, c’était une manière de rendre la pré-écoute de mon album marrante, je n’avais pas envie de donner dans une démarche marketing mystère qui prend des mois à se dévoiler. C’est souvent très bien fait, mais ça ne me correspond pas trop.
Les gens ont généralement un avis tranché sur ce que tu fais, on “adore” ou on “déteste” Skrillex. Dans le milieu artistique, par contre, tout le monde te respecte et te considère. Tu as une explication ?
Peut-être que j’ai simplement davantage de contacts avec le milieu artistique, et qu’il y a donc un peu d’humain qui vient se coller là-dedans. Peut-être aussi que ma démarche est saisie de manière plus compréhensive par les artistes… Mais tu sais quoi, je trouve ça très bien qu’on me déteste autant qu’on m’aime. Quand tu vas voir un film, il n’y a rien de pire que de sortir du ciné en ayant l’impression qu’il ne s’est rien passé pour toi, non ? Je préfère mille fois aller dans une galerie d’art et tomber sur un tableau qui me fait dire “quelle horreur” plutôt que de ne même pas remarquer ce tableau. Je n’y vois que du positif quoi qu’il en soit, c’est assez cool de déclencher de la passion avec ce que l’on fait.
Comment as-tu réagi quand tu as su que Rob Brown de Autechre appréciait Skrillex ?
Je ne savais pas, tu me l’apprends. Ça me fait super plaisir, évidemment ! Quand je me suis mis à écouter toute cette scène IDM, j’étais vraiment fasciné par un truc : ces mecs avaient l’air de pouvoir faire ce qu’ils veulent sans se poser de questions, quitte à créer leur propre matos… Tous ces gars ont été inspirants pour un paquet de monde, j’ai l’impression. Même si aujourd’hui on semble avoir oublié ce qu’ils ont apporté. Bref, merci de me faire savoir ça, je suis content de l’entendre.
Tu rêves de collaborer avec quelqu’un en particulier ?
Je vois davantage les collaborations comme des rencontre humaines qui se traduisent artistiquement. Tous les gens avec qui j’ai collaboré sur Recess sont des gens que j’apprécie humainement, et à chaque fois, le travail en équipe commençait sur un coup de tête. C’est une sorte de miroir d’une relation humaine à un moment donné. Du coup, cette question va un peu à l’encontre de ce mode de pensée, mais du coup, je rêverais de collaborer avec Björk, que j’écoute et que j’adore depuis des lustres, je suis fan de Homogenic. Mais bon, je ne la connais pas, je doute qu’elle sache ce que je fais et j’imagine que c’est un peu compliqué de bosser avec elle… En tout cas, il faudrait mettre en place tout un tas de procédures, tout cela n’est pas très spontané.
Tu penses que ta musique est comprise par le public européen ?
C’est une bonne question, je ne me la suis jamais posée. Je lis en permanence mon fil Twitter, tout le monde me parle anglais, mais je ne sais pas du tout d’où proviennent ces interactions. Peut-être que le background musical européen amène les gens à ressentir ce que je fais autrement, c’est possible. Le morceau que j’ai fait avec Chance The Rapper, “Coast Is Clear”, c’est un truc qui peut parfaitement être compris par une audience américaine, je pense. C’est accrocheur, le rythme drum’n’bass est une chose que l’on retrouve souvent, il y a un peu de hip-hop et un peu de soul dedans… Tu penses que ce genre de morceau passe aussi bien en Europe ?
Disons que tes morceaux les plus calmes peuvent faire écho à plein de mouvement musicaux qui peuvent être saisis ici, ce sont plutôt tes morceaux “puissants” qui pourraient créer des clivages…
Ouais, c’est aussi pour ça que j’ai souhaité m’affranchir de cette image dubstep, ici j’ai l’impression qu’on m’aime pour ça mais que c’est aussi ce qui fait que les gens ne comprennent pas trop ce que je fais dans sa globalité… J’imagine qu’en Europe, c’est peut-être d’autant plus marqué en sachant que le dubstep vient d’Angleterre et que j’en ai fait quelque chose qui n’est plus vraiment underground.
Comment tu t’es retrouvé à faire ami-ami avec la team Bromance ?
J’ai croisé Brodinski il y a longtemps au SXSW, et vu que ce type est très gentil, nous sommes rapidement devenus potes. Depuis, on n’a jamais arrêté d’être en contact. Il a remixé mon single “Make It Bun Dem”, nous avons souvent mixé ensemble aux USA… J’ai toujours été assez fan de ce qu’il fait avec Bromance, leurs maxis sont vraiment cool. Dernièrement, j’ai bien pris ma claque avec l’album de Gesaffelstein. Quand il m’a dit qu’il cherchait à développer Bromance aux USA, on a naturellement pensé à faire quelque chose avec mon label OWSLA, c’est cool de pouvoir aider des amis comme eux à se développer en dehors de leur sphère d’origine.
En fait, tu es toujours enthousiaste dès qu’il y a de l’amitié en jeu…
Bah ouais, c’est toujours ce qui m’a poussé à faire des choses avec d’autres personnes, c’est pareil avec Alex (Ridha, aka Boys Noize, avec qui il forme le duo Dog Blood, ndlr), avec Diplo… On n’est pas là pour faire un métier, on est là pour prendre du plaisir en créant des choses qui nous plaisent. Pour l’instant, je n’ai jamais été confronté à des situations qui m’ont amené à bosser avec des personnes ou des artistes avec lesquels je n’ai pas d’affinités. On va essayer de continuer dans ce sens-là…
Recess (OSWLA)