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19 juillet 2023

šŸ”Š SĆ©oul, au coeur de la scĆØne underground šŸ‡°šŸ‡·

par Tsugi

DerriĆØre Peggy Gou ou Yaeji, la scĆØne Ć©lectronique de SĆ©oul s’Ć©mancipe peu Ć  peu de l’Ć©tiquette k-house pour affirmer un esprit underground attirant les clubbeurs du monde entier. Reportage sur place.Ā 

 

Cet article est issu du Tsugi 161 : Jayda G, Rahill, et Nabihah Iqbal, les nouvelles reines de Ninja Tune

 

Il suffit de sā€™avancer dans de petites ruelles, situeĢes aĢ€ la frontieĢ€re des quartiers de Myeong-Dong et de Jung-Gu, de sā€™eĢloigner brieĢ€vement des grands axes et de monter au deuxieĢ€me eĢtage dā€™un immeuble sans reĢel charme. LaĢ€, face aĢ€Ā la porte, il nā€™y a plus aucun doute aĢ€ avoir : nous voilaĢ€ preĢciseĢment ouĢ€ il faut eĢ‚tre.Ā Chez Clique Records, lā€™un des disquaires les plus coĢ‚teĢs et pointus de SeĢoul. Au sol, aĢ€ lā€™entreĢe, un paillasson ne fait que confirmer cette joyeuse impression : Ā«Ā Welcome To The Acid HouseĀ Ā». La boutique, ouverte en 2016 par deux FrancĢ§ais nā€™est pas treĢ€s eĢclaireĢe. Pas treĢ€s grande, non plus. AĢ€ peine la taille dā€™un petit studio parisien. Dā€™Aphex Twin aĢ€ Les Enfants du Velvet, cette compilation dateĢe de 1985 ouĢ€ des jeunes gens modernes (Daho, Taxi Girl, Rita Mitsouko) reprenaient les classiques du groupe aĢ€ la banane, on y fait pourtant dā€™essentielles trouvailles, de celles qui bouleversent des vies. Mais pour les proprieĢtaires, il nā€™y a aucune envie de faire commerce de la nostalgie : dans les bacs se trouvent eĢgalement une flopeĢe de maxis, essentiellement dā€™occasion, rarement identifieĢs de nos services, mais presque toujours animeĢs par la meĢ‚me envie de faire vriller les chevilles.

Clique Records nā€™est pas le seul lieu aĢ€ deĢfendre cette ambition. AĢ€ SeĢoul, la culture club semble omnipreĢsente, parfois tenue secreĢ€te (notamment les soireĢes gay), mais incarneĢe par une geĢneĢration dā€™artistes amoureux de la meĢlodie, qui convoquent dans leurs morceaux tout et son contraire, de la house 90s aĢ€ lā€™efficaciteĢ pop, des beats hip-hop aux deĢrives syntheĢtiques. Ils et elles sā€™appellent Peggy Gou, Yaeji, Park Hye Jin, Balming Tiger, SoYoon, Salamanda ou encore DJ Bowlcut : autant de noms qui ont monopoliseĢ lā€™attention des meĢdias du monde entier ces dernieĢ€res anneĢes, rappelant aĢ€ ceux qui en douteraient encore lā€™existence dā€™une sceĢ€ne bouillonnante dans les rues de SeĢoul, loin des strass et des paillettes de la K-pop. Ā«Ā BTS, Blackpink et NewJeans sont aujourdā€™hui exposeĢs et appreĢcieĢs aĢ€ travers le monde. Cā€™est une bonne chose, affirme Kona, jeune productrice dont les diffeĢrents projets sont actuellement chouchouteĢs par une nouvelle geĢneĢration dā€™auditeurs biberonneĢs aĢ€ lā€™eĢlectronique. Cela offre lā€™opportuniteĢ aux gens de deĢcouvrir la multitude des genres musicaux que lā€™on peut produire en CoreĢe du Sud. Cela nous permet aussi dā€™eĢvoluer ensemble, de se construire autour dā€™une meĢ‚me passion, la musique.Ā Ā»

New kid on the block

Bien quā€™avancĢ§ant en totale indeĢpendance, Kona est aujourdā€™hui distribueĢe par Welcome Records, un des labels/disquaires les plus preĢcieux de la sceĢ€ne eĢlectronique locale. De derrieĢ€re son comptoir, lā€™un des vendeurs se reĢjouit meĢ‚me de travailler pour une structure quā€™il juge indispensable, de celles qui Ā«Ā Å“uvrent pour le rayonnement et le dynamisme des artistes issus de la house ou de la techno aĢ€ SeĢoulĀ Ā». Ni flambe, ni preĢtention ici. Simplement un constat, sinceĢ€re, formuleĢ par un jeune homme qui a les allures dā€™un juke-box, la teĢ‚te remplie dā€™anecdotes sur la facĢ§on dont Welcome Records sā€™est doteĢ dā€™une usine de pressage aĢ€ quelques pas du baĢ‚timent, mais aussi sur les productions coreĢennes. Bavard, il eĢvoque la manieĢ€re dont les projets de Kona caracolent en teĢ‚te des ventes au sein de la boutique, la volonteĢ de Welcome Records de rester au service des DJs (aĢ€ lā€™image du maxi de Spray et DJ co.kr, uniquement disponible en physique), ou encore le nombre de carrieĢ€res lanceĢes par le Pistil Club et la Seoul Community Radio. Au sein dā€™une ville ouĢ€ tout se reĢinvente sans cesse, ouĢ€ les enseignes sont rapidement remplaceĢes par dā€™autres, ces deux lieux font presque figure dā€™institutions, indeĢboulonnables. Peggy Gou, Park Hye Jin, Cā€™est Qui, Unjin : tous y sont passeĢs, tous y ont fait leurs deĢbuts, la plupart en ont meĢ‚me eĢteĢ DJ reĢsidents. Ā«Ā Cā€™est eĢgalement mon cas, preĢcise Kona. Encore aujourdā€™hui, je suis hyper reconnaissante dā€™avoir eu cette opportuniteĢ, de meĢ‚me que je me reĢjouis de savoir quā€™ils existent toujours. Avec le Covid, tu sais, beaucoup de lieux ont fermeĢ… Dā€™autres ont eĢmergeĢ, mais cā€™est rassurant de savoir que certains hotspots sont toujours laĢ€.Ā Ā»

 

Itaewon, contre-courant alternatif

Il faut dire que le Pistil et la SCR sont ideĢalement situeĢs, au cœur dā€™Itaewon, indeĢniablement LE quartier multiculturel de SeĢoul, avec ses shops, son culte de lā€™underground, ses rues eĢtroites, ses magasins qui se superposent et sa vie nocturne, aĢ€ la fois intense et ouverte. Depuis leur studio, ouĢ€ ils finalisent actuellement lā€™enregistrement de leur premier album, les membres de Balming Tiger se chargent de faire les preĢsentations : Ā«Ā Itaewon, cā€™est un quartier situeĢ aĢ€ proximiteĢ de la base ameĢricaine. Dans les anneĢes 1960, apreĢ€s la guerre de CoreĢe, alors que la population nā€™avait pas le droit dā€™entrer en contact avec le monde exteĢrieur, les soldaxts ameĢricains ont importeĢ leur culture, des vinyles, etc. Naturellement, Itaewon est donc devenu un espace contre-culturel, une zone ouĢ€ les Africains, les musulmans et les LGBTQ+ se coĢ‚toient, ouĢ€ des endroits alternatifs pullulent.Ā Ā»Ā DerrieĢ€re le Pistil et la Seoul Community Radio, qui attirent les eĢtrangers sur les hauteurs dā€™Itaewon, y compris le dimanche, dā€™autres lieux agitent le quartier.

Il y a bien eĢvidemment le Cakeshop, ce club qui a donneĢ envie aĢ€ Omega Sapien de sā€™installer dans les environs : Ā«Ā Cā€™est clairement le centre attractif de la culture alternative coreĢenneĀ Ā», revendique fieĢ€rement le leader de Balming Stiger. Reste que si le palmareĢ€s du Cakeshop tient en respect nā€™importe quelle boiĢ‚te de nuit berlinoise ou londonienne (Para One, Teki Latex, James Blake, Ikonika, DJ Rashad y ont tous donneĢ des DJ-sets), Kona preĢfeĢ€re nettement citer le Ring, le Kockiri ou encore le Nyapi, ouĢ€ A Guy Called Gerald est reĢcemment venu se produire. Encore une fois, il sā€™agit dā€™un lieu aĢ€ lā€™atmospheĢ€re presque sauvage, sans artifices, bas de plafond, situeĢ dans une zone qui ne paye pas de mine. Et encore une fois, cā€™est un espace ouĢ€ se reĢunissent en totale harmonie les locaux, les touristes et les nombreux expatrieĢs vivant aux alentours. Ā«Ā CĢ§a fait cinq ans que je vis aĢ€ Itaewon et je nā€™ai jamais vu les gens dā€™ici sā€™embrouiller, deĢtaille avec enthousiasme Marion, une clubbeuse francĢ§aise. La situation la plus extreĢ‚me ? Deux CoreĢens qui se sont chopeĢs par le col avant de changer de direction… Autant dire que la vie nocturne est hyper safe, meĢ‚me si les gens dā€™ici aiment vraiment faire la feĢ‚te.Ā Ā»

 

Ā«Ā Aujourd’hui, les cultures se mĆ©langent, des producteurs de K-Pop se lancent en solo dans des projets plus exigeants.Ā Ā»

Omega Sapien

Effervescence collective

Lā€™alcool, consommeĢ par litres chaque soireĢe, aide eĢvidemment aĢ€ deĢsinhiber les esprits, aĢ€ provoquer lā€™euphorie, aĢ€ encourager lā€™abandon. Mais ce nā€™est pas laĢ€ le seul eĢleĢment aĢ€ prendre en compte. Il reĢ€gne aĢ€ SeĢoul, malgreĢ la pollution intense et la forte densiteĢ de population, une ambiance sereine, en meĢ‚me temps quā€™une certaine culture des nuits eĢlectroniques, indeĢpendantes et exigeantes. Pour combien de temps encore ? Tous ceux qui vivent ici depuis un moment disent avoir vu la ville profondeĢment changer ces dix dernieĢ€res anneĢes.

Certains preĢtendent meĢ‚me quā€™elle nā€™est plus Ā«Ā reconnaissableĀ Ā». Dā€™autres, la plupart pour eĢ‚tre honneĢ‚te, se reĢjouissent au contraire de cette eĢbullition permanente, cet attrait pour la nouveauteĢ, ces rencontres creĢeĢes sur la piste de danse entre diffeĢrentes populations : les Asiatiques, les communauteĢs arabes et LGBTQ+, les eĢtudiants venus du monde entier, les nerds, les hipsters, etc. Au-delaĢ€ de cette euphorie collective, il y a toutefois la reĢaliteĢ du terrain. DerrieĢ€re quelques teĢ‚tes dā€™affiche, dont les DJ-sets aĢ€ lā€™international permettent de gonfler facilement le compte en banque, force est de constater que la plupart des artistes sud-coreĢens eĢcoulent peu de disques. Quant aux performances en club, elles ne permettent pas toujours de boucler les fins de mois. Kona, par exemple, multiplie les jobs en paralleĢ€le, et donne meĢ‚me aĢ€ lā€™occasion des ateliers musicaux aupreĢ€s dā€™eĢtudiants.

Ce nā€™est pas que la vie quotidienne aĢ€ SeĢoul est plus cheĢ€re quā€™ailleurs, cā€™est juste que toute lā€™industrie est concentreĢe au sein dā€™une meĢ‚me ville, immense, toujours en mouvement et entieĢ€rement deĢdieĢe aĢ€ la K-pop ā€“ il suffit dā€™observer le nombre de personnes prenant la pose devant le baĢ‚timent de Sony Music, aĢ€ Gangnam, pour constater que la k-house est finalement plus tendance que reĢellement bankable. Ā«Ā Peggy Gou et Park Hye Jin ont tout de meĢ‚me ouvert une breĢ€che, susciteĢ un enthousiasme qui se fait toujours sentir aujourdā€™hui, croit savoir Omega Sapien. En chantant en coreĢen, ce qui eĢtait encore treĢ€s rare sur de la house, elles nous ont fait comprendre lā€™importance de repreĢsenter la culture asiatique. Quand on se rend en Europe ou aux EĢtats-Unis, on sent bien que le public attend cĢ§a de nous. Alors, on assume ce que lā€™on est et on ne cherche plus aĢ€ reĢpliquer ce que les producteurs occidentaux proposent. De laĢ€ aĢ€ poser une eĢtiquette sur notre musique ? Je ne suis pas suĢ‚r que ce soit treĢ€s utile.Ā Ā»

Balming Tiger

Ā© DR

InventiviteĢ et entraide

Traduction : la k-house ne seraitĀ en quelque sorte que lā€™invention dā€™un gouvernement qui a investi plusieurs centaines de millions dā€™euros dans laĀ culture cette dernieĢ€re deĢcennie. Ainsi, JNS verse plus volontiers dans la bass music, MondayStudio puise son inspiration dansĀ les BO de jeux videĢo, KINGMCK et Jenny From The Shop flirtent ouvertement avec le hip-hop, tandis que MIIN sā€™autorise des productions plus expeĢrimentales. Ā«Ā En 2018, aĢ€ nos deĢbuts, poursuit Balming Tiger, la sceĢ€ne coreĢenne eĢtait encore uniforme. Lā€™autre probleĢ€me eĢtait que les rappeurs ou les artistes underground critiquaient ouvertement la K-pop. DeĢsormais, chacun explore des sons diffeĢrents et accepte lā€™ideĢe que cette musique fasse entieĢ€rement partie de notre culture, voire de notre inconscient.Ā Ā» ConseĢquence : Ā«Ā Des collaborations improbables eĢmergent, comme sur ā€œSexy Nukimā€, ce titre ouĢ€ on a pu inviter RM de BTS.Ā Ā»
Lorsquā€™on demande aux diffeĢrents protagonistes intervieweĢs ici comment la sceĢ€ne locale actuelle peut paraiĢ‚tre aussi libre et inventive, tous reĢpondent dā€™une meĢ‚me voix : par lā€™entraide. Cā€™est dans cette optique que le Britannique Richard Price a fondeĢ la Seoul Community Radio, inspireĢe par les radios libres anglaises et creĢeĢe dans lā€™ideĢe de soutenir la communauteĢ underground. Ā«Ā Venant de Jeju, une petite iĢ‚le situeĢe aĢ€ trois heures dā€™avion de SeĢoul, il mā€™eĢtait impossible de ne pas mā€™installer dans la capitale si je voulais avoir la chance de vivre un jour de ma musique, rembobine Kona dans un anglais fragile (une autre caracteĢristique locale). Heureusement, je nā€™ai pas eĢteĢ deĢcĢ§ue : ici, jā€™ai eu lā€™occasion de rencontrer mes artistes preĢfeĢreĢs, de leur parler directement et de jouer un peu partoutĀ Ā». Quant aĢ€ Omega Sapien, il prolonge volontiers cet enthousiasme : Ā«Ā Avant, lā€™industrie eĢtait geĢreĢe comme un cartel, avec une compagnie et un producteur qui deĢcidaient de tout. Tout eĢtait penseĢ pour toucher un public de masse. Aujourdā€™hui, les cultures se meĢlangent, des producteurs de K-Pop se lancent en solo dans des projets plus exigeants (250, par exemple) et les talents se croisent. Cā€™est une bonne chose.Ā Ā»

AĢ€ parcourir la ville, aĢ€ ressentir son eĢnergie creĢatrice, ce ne sont pas uniquement ses velleĢiteĢs feĢdeĢratrices qui sautent aux yeux. Ce qui interpelle, cā€™est aussi de voir aĢ€ quel point les marques ont pris possession des lieux. Cā€™est Teddy Jeans qui investit dans un club eĢpheĢmeĢ€re en reĢaliteĢ virtuelle. Cā€™est Obey qui monte des opeĢrations avec la Seoul Community Radio. Cā€™est Peggy Gou qui lance sa propre ligne de pyjamas aĢ€ porter en club avec la marque Yoox. Cā€™est Mushxxx qui deĢfile pour Descente. Cā€™est Vans, treĢ€s implanteĢ dans le pays, qui pense une campagne avec les membres de Balming Tiger en eĢgeĢries. Ā«Ā Les seĢries, les films et les groupes coreĢens rencontrent un tel succeĢ€s quā€™il eĢtait presque ineĢvitable de voir les marques venir vers nous, tempeĢ€re Omega Sapien. Aujourdā€™hui, elles savent treĢ€s bien le potentiel commercial que lā€™on repreĢsente : ce nā€™eĢtait pas le cas il y a encore quelques anneĢes, mais aujourdā€™hui, eĢ‚tre ceĢleĢ€bre en CoreĢe du Sud, cā€™est presque eĢ‚tre une vedette dans le monde entier.Ā Ā» AĢ€ croire que le premier tube de Park Hye Jin nā€™eĢtait pas juste un mot laĢ‚cheĢ en vain, cā€™eĢtait une deĢclaration dā€™intention : Ā«Ā Be A StarĀ Ā».

 

Maxime Delcourt

 

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