Sébastien Schuller : interview et écoute de son nouvel album
Sébastien Schuller sait prendre son temps pour confectionner ses albums. Il s’était écoulé quatre ans entre Happiness (2005) et Evenfall (2009). Son nouvel album, Heat Wave, sort cinq ans après son prédécesseur. Trois albums pour une première décennie de carrière que le Français célèbre à sa manière avec Heat Wave : avec « l’oeil dans le rétroviseur ». Rencontre et écoute de l’album à la fin de l’article.
Tsugi : Ton premier album s’appelait Happiness, tu reviens dix ans plus tard avec Heat Wave, qui est probablement ton album le plus mélancolique. Sébastien Schuller, comment as-tu traversé ces dix premières années de carrière ?
Sébastien Schuller : j’ai l’impression de ne pas avoir assez sorti de disques. J’ai plein de morceaux qui dorment dans des tiroirs, mais il me faut du temps pour réunir un disque. Les groupes sortent normalement un album tous les deux ans, moi ça fait cinq, mais je suis tout seul. Il faut du temps pour achever un disque.
La nostalgie est le premier sentiment que l’on éprouve à l’écoute de Heat Wave : dans les textures, dans la voix, mais aussi et surtout la nostalgie des années 80…
Ça m’a toujours accompagné. J’ai toujours un œil dans le rétroviseur. J’ai toujours écouté plein de styles et d’artistes différents, mais la musique new-wave est celle qui m’a le plus marqué pendant mon adolescence. J’avais 14 ans en 1984, j’ai vu Depeche Mode pour leur premier concert à Paris, j’écoutais cette radio qu’on appelait « la Voix du lézard ». J’enregistrais les émissions avant de m’endormir le soir. J’arrivais à retrouver les tubes que je voulais. Paradoxalement je ne me suis pas mis à faire cette musique tout de suite, même si on pouvait retrouver un peu de Depeche Mode dans « Sleeping Song » (Happiness, 2002). Mais il faut du temps pour mûrir et digérer ses influences. C’est vrai qu’on peut penser à OMD en écoutant « Endless Summer », ou Depeche Mode en écoutant « Memory – Les Halles ». La new-wave a toujours été importante pour moi. Aujourd’hui j’ai du mal à me prendre des claques en découvrant de nouveaux artistes.
Ta musique a toujours été portée par une sorte de vague mélancolique, mais cette fois-ci elle est plus rythmée. C’est une mélancolie dansante, comme on savait le faire dans les années 80 justement.
Pour moi c’est un but ultime. Sur mon deuxième disque j’aspirais déjà à ça. Mais il me faut du temps pour trouver la manière de l’exprimer. Justement, c’est un but secret : réussir à faire danser en pleurant. Ou l’inverse. Après faut-il encore que ça passe les barrières des radios…
Tu attribues quelle place à la musique électronique dans tes compositions ?
Elle est plus grande pour Heat Wave. Je l’avais un peu écartée avec Evenfall (2009), mais je me suis réconcilié. J’avais besoin de revenir à des choses plus électroniques. Happiness était un doux mélange entre musique acoustique et électronique, Evenfall était très organique. Avec Heat Wave il n’y a pas de batteur par exemple, c’est une boîte à rythmes. Le reste, je le fais seul. J’ai acheté de nouveaux syhtés, de nouvelles boîtes, ai beaucoup écouté certains artistes comme Apparat ou The Knife. J’ai toujours pensé que les synthés t’emmenaient vers des décors plus poussés. J’aimerais bien arriver à faire un album club de A à Z, mais à ma manière.
Avec une petite larme donc ?
Exactement ! (rires)
Tu parlais justement de décors. Ta musique est très cinématographique, tu as d’ailleurs réalisé quelques B.O (Toi et Moi, 2005 et Notre Univers Impitoyable, 2008). Quelle serait la B.O que tu aurais rêvé de faire ?
Dernièrement quand j’ai vu Drive, je me suis que ça aurait bien collé. Je venais de composer « Nightlife » et je me suis dit que ça aurait vraiment pu figurer sur cette B.O là. On vient plus souvent me chercher pour mon côté mélancolique, et moins pour des ambiances plutôt sombres. J’aimerais bien faire des polars par exemple. C’est un travail réellement à part.
Ta musique suggère beaucoup de décors. Ce serait quoi, pour toi, l’endroit idéal pour jouer ta musique ?
J’aimerais bien jouer Heat Wave en Floride, à Miami, juste avant un ouragan. Je pense qu’on y retrouverait tous les ingrédients : une chaleur pesante, des néons colorés, une pluie chaude et le temps qui vient tout bouleverser. Pourtant je ne suis pas le plus grand fan de Miami (rires)…
Il y a un côté très religieux dans cet album, notamment dans les chœurs, dans la voix, mais aussi dans certaines textures (« Regrets »)… Sébastien Schuller est-il croyant ?
Non, je crois en la Nature avant tout et en l’Homme, à ce qu’il peut faire pour lui, plutôt que d’attendre la bénédiction ou le pardon de quelqu’un d’autre. Je peux être touché quand j’entre dans une église, ou par la confiance que les hommes placent en Dieu, mais je pense qu’on a notre vie au creux de notre main.
Quel souvenir se trouve derrière le titre « Memory – Les Halles » ?
Mon premier boulot c’était à la Fnac des Halles. Dans les années 80 c’était le point central de Paris. Tout se passait là-bas. Je venais de banlieue, on parlait surtout de hip-hop à l’époque et peu de new-wave. Et quand je suis tombé sur un concert en 1984, pour moi c’était comme une grande messe… J’avais ramené un ami batteur qui ne comprenait pas que l’on pouvait jouer avec des baguettes sur un radiateur (rires) !
Dans une interview pour Next Liberation tu expliquais être au « début d’un grand bouleversement musical et personnel ». Est-ce que tu penses y être avec Heat Wave ?
J’en suis encore au début. Surtout quand je pense à mes projets futurs, où il y aura peut-être un seul titre lent, et tout le reste sera plus dansant. Je ne sais pas du tout vers quoi cela va me mener. J’ai la quarantaine, j’ai plein d’envies différentes, et si je pouvais accélérer un peu le rythme sur la sortie de mes albums…
On n’attendra pas quatre ans du coup ?
Non il faut que ça se passe dans les deux années à venir !
Dans cette même interview tu disais avoir un autre projet : adopter des chats. Où en es-tu dans tes projets félins ?
Cet album-là a beaucoup été accompagné par les chats. Hélas j’avais un chat qui est décédé d’une maladie incurable. J’ai essayé de le soigner par tous les moyens du monde mais ça n’a pas marché. Depuis je passe beaucoup de temps à m’occuper des chats que je trouve dans la rue. Je me suis pris d’affection pour un chat que je me suis mis à nourrir, toutes les nuits pendant un an. Je mettais mon réveil à 4h30 du matin pour le nourrir, parce que le jour il ne venait pas. Je ne voulais pas rentrer dans son cycle d’indépendance, je ne voulais pas le forcer. J’ai essayé cet hiver, il faisait -20 dehors (Sébastien Schuller vit à Philadelphie ndlr), j’ai fermé la porte, mais il s’est mis à flipper, alors j’ai rouvert la porte. Je n’ai jamais réussi à le caresser, au mieux il s’est approché à un mètre de ma main. C’était une relation incroyable, fatigante, mais incroyable.