Rodriguez Jr. : des racines et des ailes
Un baobab. Niveau racines bien plantées dans le sol, on a rarement fait mieux. Logique donc que Rodriguez Jr. ait choisi ce titre pour son émotif deuxième album, pour lequel Olivier Mateu comptait se replonger dans la musique de sa jeunesse – pas si lointaine, n’exagérons rien ! Mais pas d’inquiétude : Baobab n’est pas une compilation de sons nineties, ni un album qui ne fait que regarder dans le rétro. Celui qui s’est fait connaître sur F Communications (le label de Laurent Garnier) avec le duo The Youngsters puis en solo sous son alias Rodriguez Jr. propose avec Baobab un vrai film à la fois mélancolique, nostalgique et lumineux. Un album personnel, aux dix titres cohérents, porté notamment par l’addictif « Waste Tomorrow » en collaboration avec Liset Alea de Nouvelle Vague. Bref, le disque qu’aurait pu sortir Paul Kalkbrenner s’il était resté dans la belle veine de Berlin Calling, la rigueur de Rodriguez Jr. en plus. On a discuté avec le Sudiste exilé à Bruxelles (mais qui a tout de même gardé son accent chantant !) de ce contemplatif et aérien album, construit à l’aide d’un plan bien particulier.
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Tu expliques avoir appelé cet album Baobab car tu voulais y retrouver tes « racines » musicales. Comment ne pas tomber les deux pieds dans la nostalgie un peu facile pour les années 90 ?
C’est difficile, mais ça a tout de même été assez naturel comme processus. Après une période pendant laquelle j’ai beaucoup voyagé, j’ai eu envie de recommencer à écouter ce qui me portai dans les années 90 et 80. Ça a été instinctif. J’ai retrouvé Kraftwerk, Tangerine Dream, Jean-Michel Jarre, les premiers disques de Detroit que j’ai acheté avec Underground Resistance… Ce n’était pas de la nostalgie pure et dure, mais je voulais retrouver l’énergie que tu as quand tu es gamin et que tu te dis que tu veux faire de la musique grâce à tel ou tel album.
Après un premier album, beaucoup d’EPs et autant de tournées, tu trouvais que tu perdais cette énergie ?
C’est peut-être la crise de la quarantaine ! (rires) Tu as toujours peur de perdre quelque chose au fur et à mesure que les années passent… Alors je ne pense pas avoir perdu cette énergie, sinon j’aurais fait autre chose, mais c’est vrai que ça devient plus difficile de la garder après quinze ou vingt ans de carrière.
Au final, cet album est assez mélancolique.
Oui, un peu. J’ai toujours aimé les mélodies qui prennent aux tripes, donc je suis naturellement tenté d’aller dans cette direction-là. Mais j’essaye toujours de garder une touche d’optimisme, d’être entre les deux et de travailler par contraste. Par exemple, j’adore Boards Of Canada, je les ai beaucoup réécoutés et ils ont été une influence énorme pour cet album. Ils sont toujours entre les deux, avec d’un côté la nostalgie et la mélancolie, et de l’autre une espèce de joie presque enfantine. En tout cas, la mélancolie correspond peut-être un peu à mon caractère, et à des choses que j’ai traversées dans ma vie personnelle à ce moment-là.
C’est très personnel tout ça !
Oui, je me mets tout nu ! J’ai déjà sorti pas mal de choses sous le nom Rodriguez Jr., d’autres avec The Youngsters… Mais c’est la première fois que je livre quelque chose d’aussi personnel. Certaines références sont directes, d’autres sont cachées : je me suis bien amusé, il faut passer le disque à l’envers pour entendre certains messages par exemple.
Comme ton premier album et bon nombre de tes EPs, ce Baobab est sorti sur Mobilee Records, le label allemand d’Anja Schneider. Si ce disque s’intéresse à tes racines, pourquoi ne pas l’avoir sorti en France ?
Je mets un point d’honneur à défendre la scène française et mes origines – même si beaucoup de gens pensent que je suis espagnol ou allemand… Mais je suis très fier d’être français, j’adore la culture de ce pays – sans aller dans les extrêmes évidemment. Ça ne s’est pas présenté comme ça pour cet album, mais j’ai commencé sur un label français (F Communications, label cofondé par Laurent Garnier en 94) et je serais ravi de revenir un jour. Sur Sapiens par exemple, le nouveau label d’Agoria ? Je m’y sentirais très à l’aise en tout cas.
Pourquoi restes-tu tout de même fidèle à Mobilee ?
On est très pote avec Anja Schneider, on s’est rencontré avant même cette aventure de Mobilee. Notre amitié est très forte, elle m’a énormément aidé à trouver ma signature sonore quand j’ai démarré le projet Rodriguez Jr.. Aujourd’hui, j’ai une liberté totale sur Mobilee, avec une super équipe : c’est tout ce dont j’ai besoin. Il a été question à un moment de sortir cet album ailleurs, mais j’ai tout de même trouvé que Mobilee était la bonne plate-forme, avec K7! en co-licence qui a une belle force de frappe.
C’est sûr qu’avec ses DJ-Kicks notamment K7! a pas mal d’influence. D’ailleurs, ils viennent de lancer 7K!, un sous-label dédié aux fusions entre musiques classiques et musiques électroniques. C’est un type d’expérimentations qui te tenteraient, toi qui a une formation classique ?
Oui j’y pense depuis très longtemps. Mais c’est une direction musicale avec beaucoup de pièges et d’évidences dans lesquels il ne faut pas tomber, en confrontant les genres trop brutalement ou en utilisant un orchestre à cordes de manière trop pop ou sirupeuse. L’équilibre est fragile, et je pense que je ne suis pas encore prêt. Mais j’y pense beaucoup. D’ailleurs, je viens de finir un morceau pour une compilation Watergate où j’ai mis plein de cordes, électroniques et un peu filtrées. J’ai également un projet avec Marc Romboy et beaucoup de cordes, qui devrait sortir d’ici à la fin de l’année ! Je m’y intéresse petit à petit, car c’est très différent d’écrire pour un orchestre à cordes. Si c’est pour leur faire plaquer trois accords comme on pourrait le faire avec un synthé, ça n’a aucun intérêt : je n’ai pas envie de composer un morceau qui ressemble à du Céline Dion mélangé avec une TR-909 ! (rires)
Tu collabores régulièrement avec Marc Romboy…
Oui, on est proche, il habite pas très loin de chez moi, à la frontière allemande, et vient souvent à la maison : on a une vie assez similaire, calme, avec une famille, des enfants. Je crois que ça fait huit ou neuf ans que l’on fait de la musique ensemble. Stephan Bodzin, Marc Romboy, Sebastien Mullaert, Patrice Bäumel… Tout ça c’est une peu la même équipe, on fait des musiques très différentes mais je pense qu’on a la même exigence. Et on a un peu la même philosophie, on sort peut-être un peu des clichés des DJs actuels.
Tu as été nommé 32ème meilleur « live act » de 2016 par Resident Advisor. Ça fait quoi ?
J’ai baissé d’une place, j’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre, je sors tout juste de thérapie (rires). Plus sérieusement, ce qui est intéressant avec ces classements Resisdent Advisor, c’est que ce sont les gens qui votent. Donc ça m’a fait plaisir de voir que ce que je fais résonnait chez les gens. Je suis donc très fier et heureux de faire partie de ce top.
Et du coup, comment envisages-tu les lives pour ce Baobab ?
J’ai beaucoup fait évoluer ma configuration. Jusqu’à maintenant, je laissais une grande part à l’improvisation, je jouais pas mal de claviers et je programmais ma boîte à rythmes en live certes, mais c’est vrai que j’avais un cadre et une tracklist plus ou moins prédéfinis. Du coup, certaines personnes qui avaient vu le live plusieurs fois regrettaient que les mêmes choses reviennent. Pour ce nouveau live, j’ai voulu retravailler cet aspect pour laisser encore plus de place à l’improvisation, en choisissant mes morceaux à la volée. C’est assez excitant. Et puis je vais amener un peu plus de machines analogiques sur scène, car rien ne peut remplacer le son d’un vrai synthé branché sur un gros soundsystem. Je vais changer ma boîte à rythmes, et prendre un Moog avec moi.
Et puis je travaille toujours sur « Visualized », le lightshow qu’on propose sur les gros festivals, où on arrive avec une structure de scène grâce à laquelle les gens peuvent voir exactement ce que je fais et des visuels synchronisé. On a fait quinze dates l’an dernier avec. On travaille avec nos propres machines, notre propre team… C’est très excitant mais stressant, je me suis fait quelques cheveux blancs !
Richie Hawtin a utilisé le même procédé avec un live show où l’on pouvait voir sur des écrans ses mains courir sur ses machines. Quel est l’intérêt de vouloir montrer exactement ce que tu fais ?
Cela part d’une frustration. Quand tu fais du live, tu prépares un concert. Quand tu te retrouves dans un festival sur une scène de 20 mètres de long face à 4000 ou 5000 personnes, mais que tu es simplement derrière un bureau et que les gens ne voient que ta tête derrière un ordinateur… C’est frustrant ! Tu as envie de montrer que tu joues d’un instrument, tu as envie de le partager avec eux ! Quand tu assistes à un concert de rock, le guitariste n’a pas le dos tourné. C’est la même chose ; je voulais revenir à un format concert. Pas de faire un show son et lumière, mais remettre en avant le fait de jouer des instruments et retrouver une interaction avec le public. La structure est très fine et transparente, les gens voient toutes les machines et les câbles. Une fois de plus, c’est une manière de se mettre tout nu devant les gens – c’est peut-être pathologique ! (rires)
Tu as sorti ton premier album il y a six ans, et pas mal de maxis depuis. On aurait pu croire que tu avais abandonné le format album, un peu désuet aujourd’hui…
C’est un format qui tend à disparaître oui, les gens ont plus tendance à acheter des morceaux à l’unité. Mais je reste profondément attaché à ce format, c’est le seul qui permet de raconter une histoire. Les gens ne l’achèteront peut-être pas en entier, mais tant pis, j’ai toujours été fasciné par les concept albums des années 70 comme certains disques de Pink Floyd. En une heure, ils peuvent raconter plein de choses, c’est assez magique – pour cet album j’ai voulu m’inspirer de ça et raconter une histoire, de manière assez cinématographique. Quand je commence à travailler sur un projet comme ça, je le dessine, avec un script, avant même de toucher à la musique – en studio, je suis ce script comme un guide. Ça ressemble à ça :
C’est ce qui est beau avec le format album, tu peux travailler sur des longueurs, des phases, des plans ou des atmosphères différents, et du coup tout est noté avec des lignes et des codes couleurs, comme une sorte de vocabulaire que j’ai développé moi-même. J’ai toujours travaillé comme ça. Je pense que ça me vient des années 90 : j’écoutais beaucoup de musique concrète, de trucs un peu étranges de Pierre Schaeffer, Pierre Henry, Stockhausen, Steve Reich… Ce sont des gens qui développaient également leur propre langage pour retranscrire de manière graphique une musique qu’on ne pouvait pas écrire avec des notes et du solfège traditionnel. C’est comme ça que j’ai donc commencé à gribouiller ces petits plans, que personne ne comprend d’ailleurs ! Mais quand je travaille pendant un an sur un projet, j’ai besoin d’avoir ce truc-là sous les yeux pour ne pas me perdre.
Baobab est sorti le vendredi 2 juin sur Mobilee Records. Rodriguez Jr. sera en live à Lyon le 24 juin dans le cadre du festival Cinemade, ou encore le 8 juillet à Pornichet dans le cadre du festival Feel My Rave.