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12 février 2020

Rencontre avec Voyou, la douce voix d’un cœur urbain

par Clémence Meunier

Un an après la sortie de son album Les Bruits de la ville, Voyou se confie sur sa collaboration avec Vincent Delerm, sur le cinéma et sur les jolis mots.

Il a beau avoir quitté Lille il y a un paquet d’années, et vivre maintenant à Paris, c’est à la bourre que nous rejoint Thibaud Vanhooland, alias Voyou, parce qu’il s’est trompé d’adresse. Pas sa faute : il pensait que l’interview se déroulait chez Entreprise, ce beau label spécialisé dans la nouvelle pop en français (Fishbach, Grand Blanc, Bagarre…). Entreprise, c’est aussi la maison qui a sorti Les Bruits de la Ville, le premier album de Voyou, qui évoque justement les bruits de cette ville d’adoption, Paris, ou la nostalgie d’avoir quitté les grands places du Nord. Un album qui s’ancre dans des décors, qui met en musique pop et électronique de jolies vignettes, des petites histoires universelles : ici il neige dans les rues, là un pauvre gars se fait dépouiller par des loubards, et là se plante une serre tropicale où l’on fume de drôles de trucs.

Pourtant, Thibaud ne se voyait pas nécessairement parolier : bassiste, on l’a croisé pendant dix ans chez Pegase ou Rhum For Pauline, mais, frustré de ne pas pouvoir composer la musique faussement joyeuse qu’il entendait dans sa tête blonde, il a lancé Voyou, ce projet solo où Yelle ou Norma passent tout de même dire bonjour. La première sur l’album, pour un featuring sur le morceau titre « Les Bruits de la ville ». La seconde à la réalisation du clip de « Les Humains », une fresque illustrée par Voyou sortant aujourd’hui, presque un an jour pour jour après ce fameux premier disque. On a discuté il y a quelques mois de cette folle année et d’écriture en caleçon avec Thibaud Vanhooland, qui à l’époque avait une drôle de voix – fichus polypes aux cordes vocales !  – et venait tout juste de dévoiler « Le Confort », sublime requiem d’un couple empêtré dans sa routine. Oui, oui, sublime.

« J’ai toujours été très impressionné par les gens qui maîtrisent la langue orale et qui sont capables de te transmettre une émotion en disant qu’ils vont aux toilettes, parce qu’ils vont réussir à le dire d’une manière qui te fera rire. C’est plus ça qui m’a nourri pour écrire.« 

Ton premier album, Les Bruits de la ville, est sorti il y a presque un an jour pour jour. Ça s’est passé comment cette année ?

Ça a été très fatigant, en témoignent mes cordes vocales ! Mais ça a été assez incroyable, j’ai joué devant tant de gens, dans tant de pays. Ça s’est toujours tellement bien passé… J’ai eu l’impression que ça me rendait heureux, que ça rendait heureux les gens avec qui j’étais en tournée, et les gens qui venaient nous voir en concert. A mon échelle c’est déjà une grosse victoire. J’ai beaucoup bougé, j’ai rencontré plein de gens, je me suis mis à travailler avec des gens que j’écoute depuis des années : bosser pour Vincent Delerm par exemple, ça a été insensé !

Comment en es-tu venu à travailler pour lui ?

Il m’a envoyé un message sur Instagram pour me dire qu’il avait aimé mon disque. Il préparait un album où il invitait un producteur différent sur chaque morceau. Je me suis retrouvé au milieu de Dan Lévy, de Peter Van Poehl, de Keren Ann… Ça m’a foutu les pétoches, mais ma mère était très contente (rires). C’est une énorme fan, et quand je lui ai dit que j’allais faire un morceau pour lui, que je n’y étais pour rien et qu’il m’avait juste contacté, elle était folle, j’en pouvais plus d’elle après (rires). C’est con, mais je pourrais remplir des Stade de France, je serais encore méga impressionné par les gens qui font de la musique ou des films que j’admire et qui m’inspirent. Comme Alain Souchon, Vincent Delerm…

Instinctivement, j’ai plutôt tendance à te voir comme un parolier plutôt que comme un producteur… Tu as déjà écrit des textes pour d’autres ?

Sur l’album de Pépite, on avait coécrit des trucs sur certains morceaux. Mais l’écriture, ce n’est pas du tout mon truc à la base, ce n’est pas la raison première de ce projet. L’idée était vraiment d’écrire de la musique, et les paroles sont venues parce qu’il fallait bien qu’il y ait quelqu’un qui chante ! Et comme je suis une tête de mule et que je voulais absolument être tout seul… Je me suis retrouvé à chanter et à écrire mes paroles. Adolescent, j’avais un groupe de rock progressif, pour lequel j’écrivais quelques chansons en français, mais ça ne volait pas très haut. Après, je me suis retrouvé musicien pour des groupes, donc j’ai plutôt appris la partie musicale, la partie scénique aussi. Mais ce n’était que des groupes qui chantaient en anglais donc ça ne m’arrangeait pas spécialement : je ne comprenais rien aux paroles. J’ai quand même fait des chœurs pour des groupes sans rien comprendre à ce que je chantais, je balançais des enchaînements de mots ou parfois même du yaourt ! L’écriture, c’est vraiment venu avec le premier morceau que j’ai créé pour ce projet Voyou, qui est aussi le premier texte que j’ai écrit depuis ce groupe d’ados : « Les Soirées ». Et de là, j’ai découvert que ça m’amusait de faire ça.

Tu écris autre chose que des chansons ?

Non. C’est un peu honteux mais je ne suis pas un grand lecteur, je n’ai jamais écrit de textes juste pour moi, j’ai parfois l’impression d’être un imposteur là-dessus. Mais en même temps, j’ai dévoré des milliers de films que j’ai décortiqués parce que les dialogues me plaisaient, j’écoute beaucoup les gens quand ils parlent, il y a quelque chose qui me fascine dans la langue et dans les mots, j’aime entendre comme la dramaturgie d’une phrase peut complètement changer en fonction des mots qu’on y met. J’ai toujours été très impressionné par les gens qui maîtrisent la langue orale et qui sont capables de te transmettre une émotion en disant qu’ils vont aux toilettes, parce qu’ils vont réussir à le dire d’une manière qui te fera rire. C’est plus ça qui m’a nourri pour écrire.

« Ce n’est pas parce que je suis chanteur que je peux expliquer mieux que toi le monde qui nous entoure. De la même manière, quand j’écris des chansons, même si elles sont toujours un peu empreintes de ma propre expérience, il est important pour moi qu’elles puissent concerner aussi mes amis, qu’elles ne tournent pas qu’autour de moi.« 

En termes d’inspiration sur l’écriture, tu cites souvent William Sheller.

Ma mère en écoutait beaucoup. Je trouve que ses textes sont à la fois assez mystérieux et simples et directs. Et il est très axé sur les humains, il n’est pas du tout dans l’ego-trip, et il a aussi une manière de décrire des paysages, des décors, des couleurs, des odeurs, des sensations, qui va donner du sens et de l’émotion à l’histoire qu’il est en train de raconter. Je trouve que c’est un des mecs qui arrivent le mieux à faire ce parallèle qui est hyper important dans les films : le rapport entre le personnage, l’histoire qu’il vit et le décor dans lequel il vit.

Justement, ça ne t’a jamais tenté de faire des bandes-originales de films ?

Oui j’y ai pensé, j’aimerais bien ! Quand j’ai lancé Voyou, je n’avais donc jamais vraiment écrit de textes. Et j’avais très peur de cette partie-là. J’avais déjà « Le Naufragé » et « Les Soirées », mais avec mon manageur, on s’est dit qu’il fallait trouver quelqu’un qui allait déclencher des trucs, avec qui j’allais co-écrire. J’ai fait appel à Vincent Macaigne. Il est acteur, réalisateur, et c’est un mec dont j’adore les performances et les pièces de théâtre. Au bout de trois jours il m’a dit « écoute, je trouve ça mieux quand tu écris tout seul et je les trouve bien comme ils sont tes textes, je ne vois pas pourquoi tu veux qu’on écrive ensemble même si c’est marrant ». Ça m’a fait prendre vachement confiance. Tout ça pour dire que quelques mois plus tard, il m’a appelé pour qu’on fasse avec Lenparrot la musique pour son prochain film, qui est devenu Le Réconfort. Ça n’a finalement rien donné, mais j’ai failli faire la musique d’un film ! (rires) J’espère une prochaine fois, et même si en ce moment je n’ai pas forcément le temps j’ai commencé à rencontrer des producteurs de cinéma.

Mais pour l’instant, la priorité du moment, ce sont ces morceaux que tu sors au compte-gouttes. Tu les as fait complètement seul cette fois-ci ?

Simplement avec un ingénieur du son, Clément Roussel. Ça prend un peu plus de temps, mais c’était ma volonté dès le départ : je voulais faire de la musique tout seul. Les morceaux, quand ils sortent de mon ordi en maquette, ressemblent déjà beaucoup aux morceaux finaux. Sur le premier album, j’avais besoin d’une personne en plus pour donner son oreille, en l’occurrence Diogo Strausz qui est venu du Brésil. Mais là je voulais voir si j’étais capable de faire la transition tout seul, et surtout de trouver de l’inspiration en studio, arrêter d’arriver avec quelque chose de complètement fini et le tourner dans tous les sens avec des avis extérieurs. Ce n’est pas quelque chose qui m’a frustré sur l’album, j’avais besoin d’être en confiance. Mais là c’est l’étape d’après, d’autant que j’ai commencé à faire de la réalisation pour d’autres personnes, comme avec Vincent Delerm, ou Yelle : le meilleur endroit pour m’entraîner à ça, c’est sur mes morceaux à moi.

Que raconte ce nouveau titre ?

« Les Humains », qui sort aujourd’hui, parle d’une personne qui est perdue à l’étranger, c’est quelqu’un qui voyage beaucoup, et qui a une personne qu’il aime chez lui. Il vit tous ces beaux voyages avec un ennui profond, complètement blasé, parce qu’il n’arrive pas à penser à autre chose qu’à cette fille dont il est amoureux.

« C’est con, mais je pourrais remplir des Stade de France, je serais encore méga impressionné par les gens qui font de la musique ou des films que j’admire et qui m’inspirent.« 

On lit souvent l’adjectif « naïf » quand on parle de ta musique et de tes textes. C’est un mot qui t’ennuie ?

Non, ça ne me dérange pas. Dans le premier niveau de lecture de mes morceaux, il y a en effet quelque chose de très frontal, avec des mots assez simples, des pensées ou des images parfois enfantines. J’utilise ça pour planquer en souterrain des idées un peu moins naïves. Mais uniquement en deuxième niveau de lecture, parce que je n’ai pas envie d’imposer ma façon de penser aux gens, et je ne pense pas que l’imposer soit le but de la musique, je trouve ça même assez prétentieux. Ce n’est pas parce que je suis chanteur que je peux expliquer mieux que toi le monde qui nous entoure. De la même manière, quand j’écris des chansons, même si elles sont toujours un peu empreintes de ma propre expérience, il est important pour moi qu’elles puissent concerner aussi mes amis, qu’elles ne tournent pas qu’autour de moi. Pour « Il neige », ou « Dehors », des morceaux où je suis plus dans l’observation, c’est un peu différent, je me contente de regarder les gens, j’essaye de ne pas tout savoir.

Tu prends plein de notes dans des petits carnets pour écrire des morceaux comme « Il neige » ?

Pas du tout ! Enfin si, pour être tout à fait honnête, j’en ai une dizaine, mais il n’y a que trois-quatre phrases sur chaque. A chaque fois, je me dis que je vais aller me poser à la terrasse d’un café avec un carnet, que ça va être super et que je vais vraiment avoir l’air d’un mec qui écrit… Mais la plupart du temps, quand j’écris un morceau, c’est sur mon lit, en caleçon, sur mon ordi et avec mon casque sur les oreilles (rires).

Tu as une date (complète, déjà !) à la Gaîté Lyrique le mois d’avril prochain. La soirée s’appelle « Bande de Voyou » et tu y inviteras plein d’artistes visuels et de musiciens, comme Fishbach ou Albin de la Simone. Toi qui aime tant faire les choses tout seul, on te retrouve en bande ?

J’ai passé dix ans à faire des tournées avec des groupes, où j’étais bassiste, et où je n’avais pas toujours mon mot à dire sur la musique qu’on jouait, voire pas du tout. C’est souvent frustrant de ne pas avoir le dernier mot. Ça m’a fait un peu péter un câble, et faire Voyou m’a permis de me reconnecter avec le plaisir simple de faire de la musique, de faire ce que j’avais envie de faire, de me libérer complètement sur le chant, les arrangements, les mélodies. De faire un truc un peu pop, oui parfois naïf, mais c’est parce que c’est comme ça que les choses me viennent et que j’ai envie de le faire. Mais quand même, partager ça avec d’autres personnes, faire de la musique sans aucun but précis, juste pour s’amuser, c’est génial.

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