Depuis qu’on l’a dĂ©couvert, il y a Ă  peu prĂšs neuf mois, grĂące Ă  des flexidiscs (mais oui !) reçus au bureau, on est tombĂ© raide dingue de la pop mĂ©lodique et dĂ©pouillĂ©e du Canadien de Vancouver, mais habitant de Los Angeles, Tobias Jesso Jr

À 27 ans, aprĂšs des annĂ©es de galĂšres, son premier album, le magistral Goon qui sort dans les prochains jours le place au sommet des songwriters Ă  suivre. 

Sa trajectoire originale et touchante -une rupture amoureuse, un  accident de vĂ©lo qui le conduit Ă  retourner dans la maison de ses parents oĂč il se dĂ©couvre une passion pour le piano- paraĂźt trop cinĂ©matographique pour ĂȘtre rĂ©elle. 

Et pourtant comme on va le voir, rien n’est inventĂ©, tout est vrai dans la vie comme dans les chansons de Tobias Jesso Jr

Est ce que tu penses encore Ă  Mairiel (la copine qui l’a larguĂ© et dont il parle dans “Can’t Stop Thinkin About You” NDR) ?

Oui je pense encore Ă  elle maintenant mais d’une maniĂšre diffĂ©rente, elle fait partie de mon histoire mais ce n’est plus une douleur vivace, et j’ai dĂ» me forcer pour mettre son nom dans une chanson.

On a l’impression que ton album est entiùrement autobiographique ?

Quand j’écris des chansons c’est difficile pour moi d’écrire sur des choses que je ne connais pas. Ou alors cela me prendrait beaucoup de temps et cela ne m’intĂ©resse pas. Mais certaines expriment plus des sentiments que des trucs qui me sont vraiment arrivĂ©es comme “For You”. Mais il n’y a pas vraiment de fiction. Je ne pourrais pas Ă©crire sur la politique, je n’ai absolument aucun intĂ©rĂȘt pour cela. Je passe pas mal de temps sur les paroles parce que je veux qu’elles soient bonnes, mais en fait je suis bien plus intĂ©ressĂ© par les mĂ©lodies des chansons. J’ai une sorte de routine, que j’aime : je me lĂšve, je prends un cafĂ© et j’écris des chansons. C’est ce que j’apprĂ©cie le plus dans mon travail. Enfin je ne pense pas que les gens considĂšrent comme un travail le fait de jouer du piano pendant quatre heures par jour. Ils pensent que je suis un putain de fainĂ©ant !

Mais toutes ces histoires sur ton accident de vélo, la rupture avec ta copine, le cancer de ta mÚre, est ce que tout ceci est vrai ?

Oui tout est vrai. Ce sont des histoires farfelues. Et il y a en encore plus, des trucs plus marrants peut ĂȘtre. Mais je ne suis pas triste tout le temps contrairement Ă  ce que peuvent penser les gens ! Quand j’écris une chanson, j’aime me plonger dans un certain Ă©tat d’esprit pour faire sortir les paroles. Mais quand j’ai fini une chanson, je saute partout en riant : “ouais j’ai terminĂ© une chanson !”

Est ce que tu penses que sans ces “histoires farfelues” qui te sont arrivĂ©es, tu serais en face de moi aujourd’hui ?

Non, je crois que le succĂšs vient quand on saisit une opportunitĂ©. Et avant cela je n’avais pas d’opportunitĂ©. Tout ce qui m’est arrivĂ© m’a permis d’écrire toutes ces chansons. Mais une fois qu’elles sont sorties de moi, je m’en foutais des rĂ©actions qu’elles pouvaient provoquer parce que c’était des histoires vraies. Je ne mentais pas, c’était honnĂȘte.

Tu avais une ambition particuliĂšre pour cet album ?

En fait, je n’ai jamais vraiment imaginĂ© que la compilation de mes chansons aboutisse Ă  un album oĂč je parlerais de mon ex petite amie et que tout le monde pourrait l’entendre. Et je n’aurai jamais pensĂ© une seule seconde jouer ces chansons devant des gens en les chantant sur scĂšne. Tout ce qui m’arrive c’est grĂące aux personnes autour de moi Ă  qui j’ai fait Ă©couter ces dĂ©mos, ou aux gens auxquels je les ai envoyĂ© et qui m’ont donnĂ© confiance.  Ah c’est clair que je me sens aujourd’hui dans une meilleure position que quand je travaillais pour une entreprise de dĂ©mĂ©nagement Ă  Vancouver !

Est ce que tu as Ă©tĂ© surpris de l’accueil dithyrambique qu’ont reçu tes chansons ?

Oui. Le fait que ces chansons recueillent de l’attention de la part de mĂ©dias comme Pitchfork m’a Ă©patĂ©. Parce que je pensais que ça sonnait beaucoup trop vieux et que cela ne pouvait intĂ©resser que des gens ayant connu les sixties ou les seventies. Alors avoir cette sorte de label “approuvĂ© par Pitchfork” a Ă©tĂ© une grande surprise. 

Est ce que tu ressens de la pression avant la sortie de ton album ?

Non, parce que je n’en espĂšre rien et que je ne compte pas que cela me fasse me sentir mieux. Une fois que j’ai fini une chanson, que j’en suis satisfait, je sais ce que je ressens. Que ça plaise ou pas au public m’importe peu. MĂȘme si les gens disaient : c’est de la merde. Je m’en foutrais. Je ne vais pas m’engueuler avec eux. C’est une question de goĂ»t, je suis sĂ»r que des gens trouvent que ce que je fais c’est naze. 

Qu’est ce qui te satisfait le plus dans cet album ?

La chanson “Bad Words”. On l’a enregistrĂ© en dernier en live. Je n’utilise pas d’auto-tune et de trucs comme ça, je fais des erreurs, je tousse, mais ça me plait parce que je ressens vraiment l’ambiance dans laquelle elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e quand je l’écoute. C’est une maniĂšre de dire : voilĂ  c’est ce que je peux faire de mieux. C’est marrant parce que c’est aussi la preuve que je ne suis pas un grand performeur ou un chanteur, mais la magie du studio vous aide Ă  sonner bien. 

Ton album est trĂšs mĂ©lancolique, mais qu’est ce qui te fait rire ?

Tout me fait rire. Des trucs embarrassants me font rire. J’adore l’acteur Adam Sandler. Beaucoup de gens le dĂ©testent pourtant.

Tu te souviens de ton premier groupe ?

Oui, ça devait ĂȘtre au collĂšge quand j’avais 14 ans. J’avais fait une sorte de stage pour apprendre Ă  Ă©crire des chansons. Je jouais de la batterie. On a mĂȘme enregistrĂ© une chanson. Et le disque est toujours dans le lecteur chez mes parents. Cela montre  bien qu’ils ne connaissent rien de moi !

Comment est ce que tu réagis quand on dit que ta musique ressemble à Randy Newman ou John Lennon ?

Ça me va. J’adore les Beatles, je connais un peu Randy Newman. John Lennon, c’est l’homme des mĂ©lodies, et j’aime ça les mĂ©lodies !

Tu écoutes beaucoup de musique ?

J’ai plus d’inspiration en regardant des films, parce que cela provoque chez moi des sentiments propices Ă  l’écriture. Mais j’écoute moins de musiques que beaucoup de gens, c’est un peu Ă©trange. Mais quand j’aime quelque chose je l’écoute tout le temps. Par exemple “Give Me One Good Reason” par Tracy Chapman. Ça c’est une chanson que j’ai Ă©normĂ©ment Ă©coutĂ©e !

Est ce que tu te rappelles du premier disque que tu as acheté ?

Oui c’était une cassette des Fugees ! L’album avec “Killing Me Softly”. Je savais que c’était une reprise mais wouah ! AprĂšs je crois que c’était Aretha Franklin, puis Marky Mark.

Tu as grandi dans un univers musical ?

Non, mes parents n’écoutaient jamais de musique. Il s’intĂ©ressait Ă  des Ă©missions tĂ©lĂ© comme The Voice ou American Idol mais ils n’écoutait pas de disques.

Ta musique sonne rétro, tu te sens bien dans notre époque ?

Bien sĂ»r je suis Ă  l’aise dans notre monde ! Le cĂŽtĂ© rĂ©tro c’est parce que j’écris des chansons d’une maniĂšre diffĂ©rente que le font les gens aujourd’hui qui utilisent des boĂźtes Ă  rythmes ou des machines. Moi c’est piano/guitare, ce que l’on entend plus trop aujourd’hui, et puis j’utilise pas mal d’accords que l’on entend dans la musique des seventies. C’est un choix voulu et je peux changer quand je veux. J’espĂšre que les gens pensent Ă  moi comme un artiste contemporain et pas comme un mec des seventies ! Je veux ĂȘtre nouveau, je ne veux pas d’une Ă©tiquette “ah oui c’est le mec qui sonne comme un mec des seventies !”

C’est pour ça que tu es sur les rĂ©seaux sociaux ?

Je ne suis pas trĂšs bon avec ça. Si je pense Ă  un truc excitant, je le fais mais la plupart du temps ce sont les gens qui me disent de le faire. Depuis que j’ai un smart phone, je tweet un peu. Je prĂ©fĂ©re Instagram. Quand je voyage, c’est cool pour mes potes de voir oĂč je suis. Je crois que les artistes mainstream comme Rihanna sont trĂšs forts lĂ -dedans mais c’est aussi parce qu’ils reçoivent en rĂ©ponse que des trucs genre : “tu es fantastique !”

Tu peux me décrire ta relation avec Los Angeles ?

C’est un peu une histoire d’amour/haine mais avec quand mĂȘme beaucoup d’amour. J’adore L..A. Si vous acceptez cette ville pour ce qu’elle est, un endroit oĂč les rĂȘves peuvent devenir rĂ©alitĂ©, alors vous comprenez comment ça marche et c’est merveilleux. Mais tu ne peux attendre quelque chose de L.A., c’est L.A. qui te dit qui tu es.

Comment pourrais tu définir ton cÎté Canadien ?

S’excuser beaucoup, se sentir toujours coupable. 

Tu as des héros ?

Mes amis sont obsĂ©dĂ©s par Arnold Schwarzenegger. Cela a dĂ©teint sur moi et maintenant je le trouve cool. 

C’est quoi tes passions en dehors de la musique ?

Faire du pain. Mon grand truc pour impressionner ma future femme. Je fais des tas de pains : aux olives, aux piments, au fromage. Je poste souvent des photos sur Instagram ! J’écoute Randy Newman quand je cuisine. Quand ma copine rentre du boulot pour dĂźner, j’adore cette ambiance : Randy Newman, moi aux fourneaux.

Tu as une idée de ce que sera ton prochain album ?

J’ai dĂ©jĂ  quelques chansons en magasin mais je vais prendre mon temps. Je vais sans doute Ă©voquer des choses diffĂ©rentes, peut ĂȘtre parler de l’argent, du dĂ©calage horaire, des voyages. Mais sinon j’aimerais bien Ă©crire pour d’autres personnes. Je n’ai pas envie de faire des tournĂ©es et je ne me considĂšre pas comme un vrai performeur. D’ailleurs je crois que si mes chansons Ă©taient chantĂ©es par vraiment un bon chanteur, elles n’en seraient que meilleures ! Si quelqu’un qui me ressemble venait les chanter Ă  ma place sur scĂšne, ce serait gĂ©nial !

Avis aux amateurs !

Tobias Jesso Jr Goon (True Panther/Beggars) sortie le 16 mars.

En concert à Paris à La Gaité Lyrique le 12 mai.