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5 août 2020

Recycler : l’étonnant destin des oubliés de la scène rave 90s

par Arthus Vaillant

Sur la scène rave des années 90, deux musiciens français originaires de la scène rock montaient le projet Recycler, parfaite synthèse du son de l’époque entre acid techno, breakbeat et psychédélisme. Après deux puissants albums et les lueurs d’un succès, le duo tombait dans l’oubli. Plus de vingt ans plus tard, ils rallument les machines, portés par un regain d’intérêt pour le breakbeat parmi les DJs d’aujourd’hui et un son qui a parfaitement vieilli. Histoire d’un destin atypique.

« On commençait un petit peu à somnoler, c’est-à-dire qu’on avait déjà fait trois albums, des remixes… Ça n’a pas éclaté comme on le pensait, donc, au bout d’un moment, on stagne un peu. Et voilà, le fait qu’on ait été recontacté par des journalistes et d’autres personnes du milieu ça nous a redonné de l’énergie et nous a vraiment remis sur le truc. » Il a suffi d’un appel pour raviver la flamme. Pour Bruno Weiss et Fabrice Charlot, l’attente se faisait trop longue. Cela fait depuis 2007 que le duo Recycler a quitté Kube Recordings et par la même occasion mis un terme à la production musicale. Pour autant, leurs disques continuent d’être joués. Notamment par un DJ on ne peut plus actuel, le Nantais Simo Cell qui, dans un de ses mixes, nous avait mis la puce à l’oreille. « On s’est rendu compte qu’il y a encore des gens qui s’intéressent à notre musique ; peut-être y en aurait-il d’autres ? Ce serait bien de s’y remettre. » Ainsi, la machine redémarre.

 

De la MJC de Nanterre au Japon

« Fabrice Charlot, déjà, j’aurais dû me méfier avec un nom comme ça (rires) ». La première rencontre entre les deux hommes survint à l’époque de M.A.T. (1987-1993), pour Maladie Auditivement Transmissible. Le groupe de rock, dans lequel était Tcherno, cherchait un clavier, ils ont ainsi recruté le nouveau membre par le biais de petites annonces. M.A.T. n’a jamais sorti de disques à proprement parler, mais le groupe aura beaucoup voyagé à travers le monde pour des concerts et premières parties d’artistes comme Fugazi ou Treponem Pal. Eux qui avaient débuté à la MJC de Nanterre en 1988 ont fini par se produire en tournée en Europe ou pour des concerts au Japon. La musique que produit le groupe est alors essentiellement rock.

Aux alentours de 1995, le groupe se sépare. Mais pour le duo, pas question d’arrêter la musique. Dès lors, grâce à leur bonne entente, Fabrice Charlot et Bruno Weiss, alias Fab et Tcherno, fondent Recycler en 1997, et se tournent vers l’électro : « Avant on était plus rock, avec une guitare, une basse, une batterie et lui au synthé, c’était pêchu et on a fondé Recycler en pleine période acid house, au début de la techno en France… », raconte Tcherno. Le fait d’être deux leur procure aussi des avantages pratiques :  plus besoin de louer des salles de répétition, « on se voyait et on faisait nos trucs ensemble », raconte Tcherno. « L’avantage de cette musique là, c’est qu’au départ on avait seulement besoin de quelques machines et d’une chambre… D’ailleurs, 20 ans plus tard, ça n’a toujours pas changé. »

 

« London Calling »

Alors que le groupe débute, la recherche de label commence à son tour. Recycler envoie des démos à quelques labels dont Nation Records, maison de disques britannique créée par Kath Canoville et Aki Nawaz. « On a envoyé très peu de démos, il n’y avait qu’un ou deux label d’acid house en France à l’époque. Nation, c’est le seul en Angleterre à qui on l’a envoyé ». À l’époque, le label produit des artistes qui font la fusion entre la musique africaine, pakistanaise et indienne avec de la musique électronique, ce qui plaisait beaucoup au duo. « On s’est dit ‘tiens, pourquoi pas’, mais sans vraiment y croire. Puis, ils nous ont appelés et nous ont dit de venir à Londres ». Le groupe débarque alors dans la capitale britannique, rencontre Aki Nawaz, compose d’autres morceaux qui finiront de convaincre les producteurs. Ils signent d’abord pour des EP avant de produire leur tout premier album, au nom imprononçable, Alphabhangrapsychedelifunkin’, en 1999. Puis, ils signent pour un second, Iboga, qui sortira quatre ans plus tard. Toutefois, l’enthousiasme décline : « Au bout du deuxième album, le label n’était plus en grande forme. Et puis moins de monde était intéressés par ce genre musical parce que d’autres choses se créaient très vite. »

La fin de leur contrat chez Nation Records les fera atterrir chez Kube Recordings. Mais là aussi, l’aventure coupe vite. Un album, un maxi puis, en 2007, après l’EP Dancing Feet, les joyeux lurons finissent sans label. Depuis, plus rien. Et ce pendant 20 ans. « On avait des ouvertures, on avait un label qui était très connu à l’époque. Et il était Anglais ! Il n’y avait pas beaucoup de groupes français signés sur des labels britanniques. Daft Punk l’avait fait avec un label écossais (Soma), qui à l’époque était vraiment petit, et c’est après ça qu’ils ont été énormes. Nous par contre, on avait un label un peu plus connu mais ça n’a pas fait le buzz. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Daft Punk, c’était quand même vachement bien. On n’était pas dans la même catégorie. »

 

Une musique dure à caser

Grâce à Nation Records, leurs deux premiers projets sont aujourd’hui disponibles sur les plateformes de streaming. Leur musique est un mélange de drum & bass, de techno et de divers emprunts aux « musique du monde ». Pour Tcherno : « Il est difficile de mettre une étiquette sur ce qu’on produit, mais je pense que c’est un mélange de plein de choses, d’où le nom ‘Recycler’ ».

Pour ce qui est de leurs influences, le groupe se nourrissait des sons de l’époque. « Je viens du punk, mais on écoutait déjà plein de choses différentes, comme de la new wave, du reggae, du funk, la fusion entre le funk et le big beat et enfin de la techno. C’était tout en même temps et on l’a assimilé au fur et à mesure. On vivait avec notre temps, on écoutait une musique et s’il y avait des choses bien dedans, on les prenait ».

« On écoutait de la new wave, du reggae, du funk, la fusion entre le funk et le big beat et enfin de la techno. C’était tout en même temps et on l’a assimilé au fur et à mesure. On vivait avec notre temps, on écoutait une musique et s’il y avait des choses bien dedans, on les prenait. »

 

Des sonorités toujours actuelles

Le retour du duo est lié au DJ Simo Cell. C’est lui qui a joué un disque de Recycler lors d’un set. Simo Cell avait trouvé un vinyle de Recycler chez un disquaire qui lui avait recommandé ce disque. Le groupe Acid Arab a également joué un rôle : voir leur performance aux festivals Solidays et Divan du Monde a réveillé de vieux souvenirs chez Tcherno. « C’est vrai qu’à regarder on s’est dit ‘eh c’est hallucinant, on n’est pas très loin de ça’. » Recycler serait alors toujours d’actualité ? « C’est ça qui est marrant, c’est un peu comme la mode. À l’époque où j’étais punk, il y avait des cheveux colorés et en pétard, et maintenant, je vois que ça revient sur plein de jeunes filles. La musique c’est un peu pareil, c’est-à-dire qu’il y a des tendances qui arrivent et qui sont monstrueuses, comme quand le rap est arrivé ou la techno. Ce sont des très gros trucs et là tout le monde y va. », répond Tcherno.

Pourtant, le producteur affirme que l’album Alphabhangrapsychedelifunkin‘ n’avait pas été conçu pour durer dans le temps mais, au contraire, pour être éphémère. « Ça nous fait donc plaisir que des jeunes s’intéressent à ce qu’on a fait avant et ça redonne de l’énergie. »

Les années de pause leur ont permis « d’écouter plein de styles, de changer d’état d’esprit et d’aller vers d’autres sphères ». Si Recycler garde toujours son style, le duo souhaite désormais faire des morceaux plus actuels. « J’espère qu’on a évolué. Si on faisait la même chose qu’avant, je ne verrais même pas l’intérêt. » Mais pas question de copier à l’identique ce qu’il se fait actuellement : « c’est bien d’écouter les tendances du moment mais ça ne suffit pas. Il faut recycler de tout, peu importent les styles et les époques ». D’autant plus que Tcherno confie avoir quelques lacunes de connaissance en matière de scène actuelle.

 

Le duo au festival de Bourges en 2006

Une « grande pause »

Quand, en 2007, Recycler quitte Kube Recordings, ils s’affairent à des remixes et s’intéressent à ce qu’il se fait ailleurs :  « C’était une pause, une grande pause (rires). Mais on a jamais perdu le lien avec la musique. J’ai fait d’autres projets en musique, lui a fait des bandes pour les DJs mais c’était confidentiel. Donc on n’était pas totalement inactif : on ne s’est pas endormi, on s’est assoupi. » Maintenant, le duo va essayer de « construire plus de morceaux » afin d’avoir un panel plus large, et préparer des lives. Pour la suite, ils improviseront : « On va évoluer au fur et à mesure en fonction des connexions qu’on aura. On est tout à fait ouvert pour rencontrer des artistes de la scène actuelle. » Qui mieux qu’Acid Arab pour avoir une première connexion avec cette nouvelle scène ? « On pourrait se rencontrer et parler de potentiels projets ensemble », déclare Tcherno. Une pléiade de possibilités s’offre au duo. Depuis un an, le groupe reprend plaisir à faire de la musique. « On n’avait plus l’énergie pour ça. Mine de rien, tu peux faire plein de morceaux, mais si tu n’as pas l’envie, c’est compliqué. L’énergie et l’envie reviennent. »

« L’énergie et l’envie reviennent. »

Et la nostalgie également. De la scène en particulier. Sur scène, Recycler change de forme en s’entourant de deux à trois autres membres, dont un bassistes et un percussionniste, parfois un chanteur. Un duo musical et un groupe scénique, voilà le compromis qu’a choisi Recycler. « Ça marche bien les duos, d’ailleurs il y a plein de groupes qui en font. Ça évite les prises de tête à 50 personnes. Les univers ne s’emboitent pas toujours bien. En revanche, être deux, scéniquement c’est léger. Pour écrire c’est idéal, mais jouer à quatre ou cinq, c’est mieux. »

Avec ce nouvel engouement inattendu, Recycler peut repartir de l’avant. Ils préparent prochainement un live, « au cas où des plans arrivent ». En attendant, le groupe est de retour avec une dizaine de titres disponibles sur SoundCloud.

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