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Renaud 'Reno' Gay, hiver 2016. Crédit photo : Mathieu Zazzo pour Tsugi.
19 mars 2018

Rave In Peace : Concrete rend hommage ce vendredi 23 mars à Reno d’Expressillon avec Spiral Tribe

par Nicolas Bresson

Des premières raves françaises jusqu’aux coulisses de la barge Concrete, Renaud Gay a défendu la culture techno avec passion et humilité. Homme de l’ombre, il a surtout été l’instigateur d’Expressillon, l’un des labels les plus emblématiques de la scène free party, accueillant entre autres les musiciens des Spiral Tribe. Retour sur le parcours d’un activiste parti trop tôt, alors que Concrete invite une bonne partie du crew Spiral Tribe ce vendredi 23 mars pour lui rendre hommage, évidemment en musique.

Renaud Gay, mieux connu dans le milieu techno sous le nom de “Reno Expressillon”, s’en est allé le 23 octobre dernier des suites d’une longue maladie. Ironie du sort ou signe du destin, le 23 l’aura accompagné durant toute sa vie passée au service de la musique. C’est en effet le nombre fétiche des Spiral Tribe – leurs avatars SP23 ou Network23 parlent d’eux-mêmes –, ces Anglais épris de fêtes libres et de nomadisme qui ont imposé la culture free party en France dès le début des années 90. Ce sont eux, les premiers, qui ont annoncé la disparition de leur ami sur les réseaux sociaux. Pas vraiment une surprise quand on connaît les liens quasi familiaux qui unissaient les routards de la techno à ce Parisien sédentaire, longtemps patron de label. “C’était comme un grand frère pour moi, confie Sebastian, alias 69db, membre de la fameuse tribu. Il a toujours été là pour m’aider. C’était le genre de personne qui te montrait que tout le monde n’est pas corrompu. Tant qu’il y aura des gens comme lui, il y aura de l’espoir.” Tout commence en 1992. Alors que les “Spis” débarquent sur le continent, fuyant la répression du gouvernement de John Major contre les raves, leurs chemins se croisent pour la première fois. Cela se passe au C.A.E.S. de Ris-Orangis, où les Anglais organisent leur troisième soirée en France, devant un public à l’époque encore clairsemé. “Il avait payé sa donation à l’entrée et est reparti avec une expérience qui l’a influencé, ainsi que toute la scène française underground par la suite”, soutient Ixy, alias Ixindamix, autre musicienne du crew. De l’aveu même de Reno, cet événement fondateur a changé sa vie. Il suit désormais le mouvement free party avec assiduité, empruntant la R5 de son grand frère. “Je crois qu’il a fini par ne jamais lui ramener”, rigole, avec une pointe de nostalgie, Adrien Betra de Concrete, l’un de ses plus vieux complices. C’est ensuite à bord d’un camion rouge qu’il arpente les teknivals un peu partout en France et en Europe. “Sa porte était toujours ouverte et lui toujours très accueillant”, se souvient encore Adrien.

LES SPIRAL ET LES ÉLECTRONS LIBRES

Peu à peu, notre homme s’investit dans le mouvement de la techno dite “libre”. D’abord en tant qu’organisateur/DJ au sein des soundsystems Teknokrates et Furious. Il y fait la rencontre de Jeff23, un autre membre des Spiral arrivé un peu plus tard dans l’Hexagone. “Mon premier souvenir avec lui, c’est une teuf Teknokrates à Ivry-surSeine. À l’époque il était DJ et il avait fait un super set. Je lui ai souvent demandé par la suite pourquoi il avait arrêté de mixer, car il était vraiment bon.” Délaissant les platines, c’est dans la production discographique que Reno se lance corps et âme à partir de 1997. Il crée simultanément deux labels : Passe-Muraille et Perce~Oreille. Si le premier propose une techno/hardtechno lourde, parfaite pour l’obscurité des hangars, le second remonte aux origines britanniques de la free party avec une musique plus enjouée, sautillante et gorgée de breakbeats. “Reno bossait chez le disquaire Hokus Pokus, spécialisé dans les sons joués en free, poursuit Jeff23. Lui s’occupait surtout de la distribution et il a eu envie de monter ses propres labels. Au même moment, avec Sebastian, nous en avions marre de nous autodistribuer, de passer notre temps à envoyer des colis au lieu de faire de la musique. C’est ainsi que Network23, le label de Spiral Tribe a pris fin. Du coup, certains de nos artistes ont trouvé naturellement leur place chez Reno en qui on avait entièrement confiance.” C’est aussi à ce moment-là qu’Adrien Betra, graphiste de formation, va rejoindre Reno dans ses aventures. “Il m’a demandé si ça m’intéressait de travailler sur l’identité des labels. Il voulait faire quelque chose qui ait de la gueule. Tout en ne s’enfermant pas dans la hardtek et en se donnant une plus grande liberté artistique.” À l’inverse de la scène free party qui se développe dans un fonctionnement de plus en plus clanique autour des sound-systems, Reno va s’attacher à dénicher les électrons libres. Ceux ne se réclamant d’aucune chapelle, qu’elle soit matérielle ou musicale.

UN SOUTIEN SANS FAILLE À SES ARTISTES

Il signe des artistes et des maxis au gré de ses coups de cœur et de ses rencontres. Parfois dans des circonstances surréalistes comme le raconte Ixy: “Dans un teknival en Italie en 1998, Reno était venu écouter mes dernières productions. Je me souviens de son regard interloqué quand il est entré dans mon camion. Ce dernier servait à la fois de logement pour ma famille et de studio mobile. Il y avait d’un côté mes enfants, dont ma fille d’un an qui faisait ses premiers pas. De l’autre mes machines qui clignotaient dans tous les sens en prévision de mon live du soir.” Toujours avide de projets et de découvertes musicales, Reno ouvre de nouveaux labels comme Cosmetic Music – électro et minimale – ou Dub Technic – dub puis dubstep. Tous sont regroupés au sein d’une structure nommée Expressillon qui, à partir de l’an 2000, est également celle où paraissent pour la première fois des albums au format CD. On lui doit notamment la série des Chip Jockey, un ensemble de lives improvisés signés entre autres Crystal Distortion, Interlope, Signal Electrique, Tambour Battant ou… 69db. “Reno m’a toujours soutenu sur les différents projets que je lui ai proposés, explique Sebastian. J’ai fait un album jazztechno-dub avec des musiciens qui a dû se vendre à peine à 500 exemplaires. C’était du pur suicide commercial, mais ça ne lui posait pas de problèmes. Je me suis éloigné très loin de la hardtek avec lui et il ne s’en est jamais plaint.” Les temps changent toutefois dans l’industrie musicale. Les CD se vendent moins au profit du digital et les DJs utilisent de moins en moins les vinyles. Expressillon s’ouvre à l’électro-tek, découvre des artistes en devenir comme Maelstrom et monte des soirées à Paris, notamment au Cabaret Sauvage. Reno entreprend également de represser les vieux morceaux cultes et introuvables du label Network23. “Les Anglais n’auraient jamais fait confiance à quelqu’un d’autre que lui pour faire ça. Ils savaient que c’était un mec honnête, qu’il n’y aurait pas de problème”, justifie Adrien.

UN NOUVEAU CHALLENGE À CONCRETE

Mais la pression économique est trop forte et Reno ne peut plus décemment poursuivre les activités d’Expressillon. Après presque 20 années dans le music business, il finit par jeter l’éponge. Dans le même temps, son ami Adrien a monté avec des associés l’agence Surpr!ze que l’on retrouve derrière les soirées Concrete et le Weather Festival. “Au bout de deux ans, on a eu besoin de quelqu’un qui avait les compétences de Reno, poursuit Adrien. Une personne qui connaisse bien les différentes économies, les législations, pour remettre de l’ordre dans nos différents projets. Reno a accepté de venir avec nous et il s’est énormément investi.” En tant que directeur de production, il a pour principal interlocuteur en interne le programmateur Brice Coudert: “Je m’occupais de choisir les artistes, de contacter les bookeurs, de négocier les tarifs. Et ensuite je lui passais la balle. C’est lui qui faisait le reste, les trucs pas marrants, la partie contractuelle.” Les deux hommes, qui ne se connaissaient pas avant et venaient d’univers très différents auraient pu ne pas s’entendre. “C’est vrai qu’on avait des a priori l’un sur l’autre avant de se rencontrer. Je viens des clubs, de la house. Lui de la free party, des teknivals. J’avais peur que ça soit un peu le choc des cultures. Et lui pensait tomber sur un mec la coupe de champagne à la main en mode Ibiza.” Mais au final, ce fut une rencontre déterminante. “Il avait une formation d’ingénieur, c’était un type hyper carré, avec de grandes capacités pour mémoriser les choses. Il aurait pu faire des boulots super bien payés. Mais il a toujours choisi de vivre de sa passion. Parce que pour lui, l’important dans le travail c’était de prendre du plaisir. Il était heureux comme ça. C’est peut-être la personne qui m’a le plus tiré vers le haut de ma vie”, confie Brice encore très ému. Prochainement, tous les amis de Reno vont se retrouver à Concrete pour une fête en son honneur. En mars. Le 23, plus précisément…

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En bonus : Best Of Expressillon

Signal Electrique, Signal (2000)
Le duo Frankeinsound et Erik Elektrik signe un hymne électro-tek ravageur qui préfigure la turbine bien avant l’heure.
Compilation, Le Perce~Oreille (2000)
Le meilleur des productions Perce~Oreille réuni sur CD. Une hardtek décomplexée loin des canons du genre.
69db, Dragoon Dub (2002)
Le liveur fétiche de Spiral Tribe s’écarte de la hardtek avec un album entre dub, breakbeat et expérimentation technoïde.
Compilation, Le Passe-Muraille (2002)
Reno reprend exceptionnellement les platines pour revisiter le catalogue de son label le plus frontalement techno.
Wide Open Cage, Woebegone Lullabies (2003)
L’un des projets les plus aventureux signé sur Expressillon. Quand le rock croise le fer avec une électronica bruitiste.
Compilation, Network 23 (2004)
Trois DJs Spiral – Mickey, Ixy et Jeff – se chargent de mixer le catalogue de leur label mythique. Quand le son des free parties était loin de rimer avec “cheesy”.
Interlope, Electrified (2004)
Dragongaz et Rimshot se déchaînent sur cet album de drum’n’bass synthétique où le hip-hop n’est jamais très loin.
R-Zac, Studio 23 (2006)
Rétrospective des premiers travaux communs de Crystal Distortion et 69db. Techno rapide, minimaliste et lysergique.
Maelstrom, Real Street Shit (2009)
Le Nantais sort du bois avec une électro-house virevoltante et saturée. Le début d’une belle carrière.
Tambour Battant, Chip Jockey (2009)
Les beatmakers français investissent la série des Chip Jockey dans un furieux melting-pot électro-dubstep-hip-hop

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