Radiohead et frites avec vue sur le beffroi : on était au Main Square Festival
L’important c’est le chemin, pas la destination. L’adage est connu de tous. Trois jours de fête, 125 000 festivaliers (un record !), et 36 concerts sur les deux scènes installées dans la citadelle d’Arras construite par Vauban et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Certes. Mais l’honnêteté nous oblige à confier que notre enthousiasme quant à notre escapade dans le Pas-de-Calais résidait principalement dans la venue de Radiohead en clôture de cette 13e édition du Main Square Festival. Un bouquet final qui n’empêche pas d’apprécier le reste du week-end à sa juste valeur. Tout amateur de sport le sait bien : l’intérêt d’un tournoi n’est pas seulement la finale. Tout Parisien le sait encore davantage : entre-temps on n’est pas à l’abri de quelques surprises.
On commence notre week-end avec Frank Carter & The Rattlesnakes dont les cris et les riffs ravageurs donnent le ton de cette soirée du vendredi largement placée sous le signe du rock. Cheveux roux et yeux bleus, polo noir et corps quasiment entièrement recouvert de tatouage, l’Anglais clame son amour pour les festivaliers puis les invite à chanter avec lui les paroles de son morceau « I Hate You », torrent de haine mortifère à l’égard de son pire ennemi. Un petit tour sur les différents stands du festival le temps d’engloutir un sandwich et de jouer à quelques vieux jeux d’arcades, puis vient le concert de Machine Gun Kelly dont la fusion entre rap, rock, et pop semble avoir trouvé son public. Rien toutefois comparé à la tête d’affiche du soir System of a Down, qui attire toute l’attention des metalleux venus pour l’occasion sans forcément savoir que le batteur du mythique groupe Sepultura s’apprête à faire son entrée sur la scène d’à côté. De notre côté on s’échappe donc de la foule juste avant la fin du concert et les gros tubes pour aller admirer Soulwax. « C’est plutôt quel genre Soulwax ? » nous demande-t-on sur le chemin. Comment résumer la démarche des frères Dewaele en quelques mots balancés entre deux scènes ? Stephen et David hypnotisent le public de la Green Room en triturant les sons avec leurs machines, bien suppléés par les trois batteurs (dont Igor Cavalera) qui allient leurs forces pour créer un unique jeu de batterie impressionnant. Le meilleur concert du soir à n’en pas douter.
Après avoir largement épongé ce qu’on a bu la veille par – allons volontiers dans le cliché – un grand cornet de frites sauce tuche sur la Place des Héros qui donne sur le très joli beffroi, on est convaincu d’entrée par les Américains de Cage The Elephant. Du bon vieux rock poussiéreux parfait pour débuter notre journée, et un sas de décompression nécessaire pour un public rock qui va devoir faire preuve d’ouverture musicale pour trouver son bonheur en ce deuxième jour. On part ensuite écouter la voix profonde de Rag’n’Bone Man programmé sur la plus petite scène et dont le tube « Human » et la récente participation à l’album de Gorillaz a semble-t-il dopé la popularité. Une foule impressionnante généralement réservée aux têtes d’affiches de la Main Stage. Phénomène classique : une fois le morceau phare interprété, une partie du public se disperse pour vaquer à d’autres occupations. On passe ensuite dire bonjour à Vald, seul représentant du rap français pour ce festival. En enchaînant les titres de son album Agartha et en ayant pris soin de ne pas s’afficher avec un maillot du LOSC en terres lensoises, le rappeur aulnaysien se met rapidement le public dans la poche. Puis direction la Main Stage pour le show survolté des Sud-Africains de Die Antwoord dont l’énergie déployée finit de convaincre ceux qui n’avaient pas été bouleversés par le duo sur disque.
Dernier jour, mais non des moindres. On nous prédisait la pluie tout le week-end… il n’en a rien été. C’est bien derrière nos lunettes de soleil qu’on apprécie le concert de La Femme. Incontestablement avec son second album Mystère, le groupe a pris une autre ampleur. La scène principale d’un grand festival ne semble désormais pas de trop pour accueillir tous les amateurs d’une pop en français rétro et naïve. C’est ensuite au tour de Savages. Lucide, la chanteuse Jenny Beth a conscience que nombre de spectateurs sont déjà présents pour Radiohead mais livre une prestation surpassant largement le qualificatif de première partie.
Enfin, nous y sommes. Le soleil est sur le point de se coucher lorsque Radiohead fait son entrée devant une Main Stage plus bondée que jamais. Bien inspirés, les organisateurs avaient décidé de ne rien programmer en face du groupe anglais qui effectuait là sa seule date de l’année sur le sol français. Deux morceaux de l’album le plus récent A Moon Shaped Pool pour donner le ton et prévenir les spectateurs : les fans des ambiances de stade comme celle du concert de Major Lazer la veille peuvent passer leur chemin. Intransigeant, le groupe balaie sa discographie et réarrange magnifiquement certains morceaux. On a par exemple droit à « Idioteque » dont les percussions triturées le rapproche d’un morceau drum’n’bass, ou à une version aux accents électroniques de « Everything In Its Right Place ». Le groupe a beau avoir sorti une réédition de Ok Computer il y a peu, il ne se contente pas de rejouer ses tubes les plus évidents. Pas de « Karma Police », pas de « Airbag » donc, pas même de « Creep ». Seul un « No Surprises » après le premier rappel viendra combler les auditeurs occasionnels. Mais ça c’était après le moment de grâce. Dans un silence de cathédrale Thom Yorke interprète seul « Exit Music (For a Film) » jusqu’à l’explosion jubilatoire de la fin du morceau. Une reprise énervée de « Paranoid Android » pour finir, et le groupe quitte définitivement (et un peu brutalement) la scène du Main Square Festival. Le chemin était plus que plaisant mais on est enchanté par l’arrivée. Ils sont peu nombreux les groupes qui peuvent se permettre en clôture de festival de jouer 2h15 d’une musique souvent triste et plaintive mais toujours exigeante, snobant volontairement ses gros tubes. Radiohead est de ceux-là.
Meilleur moment : « Exit Music (For a Film) », ils ont failli nous faire chialer les cons.
Pire moment : La probabilité de faire tomber ses lunettes lors d’un concert de Die Antwoord est très forte. En porter fut une grave erreur.