Qui est Günther Krabbenhöft, ce papy dandy clubbeur habitué du Berghain ?
Jusqu’à quel âge pourrais-je aller en club ? Vous vous êtes sûrement déjà posé la question. Peut-être même que certains d’entre vous ont déjà mis fin à cette activité depuis plusieurs années. Du haut de ses 77 ans, Günther Krabbenhöft défie toutes les statistiques en restant un fervent clubbeur berlinois. Afin de mieux comprendre les secrets de son énergie et de son élégance, nous avons rencontré cette figure de la capitale allemande qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Dimanche 17 octobre 2021, il est bientôt 8h du matin quand Or:la, la DJ britannique, est sur le point de finir son set sur le dancefloor du Panorama Bar du mythique Berghain. Face à elle, les gens s’écartent pour laisser la place à un clubbeur pas comme les autres. Sous son chapeau de dandy, Günther Krabbenhöft a beau être un habitué des lieux depuis 2015, ce monsieur âgé de 77 ans continue de surprendre par sa présence dans les clubs berlinois. Du Sisyphos au Berghain, Günther est un danseur du dimanche. « J’y vais le matin et j’y reste un petit moment. C’est comme si j’allais à la messe. Le Berghain est la cathédrale de la joie de vivre et de la danse », sourit le cuistot à la retraite.
Presque un an plus tard, Günther déguste son chocolat chaud dans un café du quartier de Kreuzberg, tout en confiant les secrets de sa longévité -intimement liés aux dancefloors berlinois. Au fil des années, le Techno-Opa -comprenez « papy techno »- a remarqué les bienfaits de la danse sur son corps, mais aussi sur son esprit. « Ça me rend plus léger. Pendant la pandémie, avec la guerre et toutes les mauvaises nouvelles, la danse me catapulte hors du quotidien », confie l’infatigable clubbeur. S’il a réduit la fréquence de ses sorties, Günther dispose toujours d’une énergie et d’une curiosité incroyable. À défaut d’y aller deux à trois fois par mois, celui qui vit au sein d’une communauté à Kreuzberg ne s’accorde plus qu’une seule sortie mensuelle. « Je suis parfois invité à des évènements ou des fêtes alors je n’ai plus le temps d’aller en club tous les dimanches, réalise le septuagénaire. Je me sens si bien après le club. Ça me porte pour toute la semaine suivante. La danse est mon lien à la vie, à la joie de vivre. »
“Le hipster de 104 ans”
Et pourtant, sa découverte des clubs et de la musique électronique demeure assez récente. Tout part d’une photo prise par un touriste dans la station de métro de Kottbusser Tor en 2015. Fasciné par le style de Günther, un jeune britannique lui demande de poser. « Je n’étais pas sur les réseaux sociaux à cette époque. Je n’étais pas trop pour qu’il publie la photo en ligne, explique Günther. Il l’a pourtant fait en mentionnant quelque chose du style ‘Le plus vieux hipster de Berlin a 104 ans’. Et la photo a buzzé… »
Les gens commencent alors à reconnaître Günther dans les rues. C’est le cas de deux jeunes filles alpaguant le grand-père un dimanche matin dans le métro. « Elles ont une vingtaine d’années. Me trouvant cool, elles me proposent de les suivre au Berghain alors que je suis sur le point de rejoindre mes amis à Warschauer« , se souvient-il. Le papy branché ne se fait pas prier et accepte l’invitation. À l’entrée du club, lorsque les videurs demandent l’âge des jeunes femmes, Günther se permet même une blague sur le fait qu’on ne lui demande pas le sien. Une fois à l’intérieur, ses accompagnatrices du jour le prennent par la main et veillent sur lui. « Elles me font visiter et me présentent leurs amis qui me mettent à l’aise, détaille Günther. J’y suis resté huit heures en tout. J’ai dansé comme s’il n’y avait pas de lendemain. J’ai eu l’impression de léviter. C’était incroyable ! Sur le chemin pour rentrer à la maison, je me suis dis qu’il fallait que je raconte ça à mes amis. »
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“Vieillir en beauté”
Depuis cette expérience, Günther entretient une relation passionnelle avec la musique électronique et la danse. « C’est plutôt nouveau pour moi mais danser sur de la house et de la techno me libère et me permet d’exprimer mes émotions. J’adore me laisser emporter par l’histoire racontée par le DJ« , décrit le clubbeur. Ajoutant cette nouvelle passion à la première, à savoir son goût pour l’élégance et le style, le Techno Opa s’est rapidement fait un nom dans la scène club. Car Günther se démarque depuis son adolescence.
« Je ne savais pas forcément à quoi je voulais ressembler. Je voulais juste être différent. J’ai expérimenté divers styles. Avant Berlin, il y a eu cette phase d’existentialisme, où je ne portais que des cols roulés noirs », s’amuse le grand-père originaire de Hanovre. À 23 ans, il déménage à Berlin et opte pour un style de friperie en portant des vêtements de seconde main. Des longs manteaux, des chaussures en cuir, des casquettes irlandaises, des vestes de travail qu’il teintait lui-même, etc. Progressivement une allure de dandy se dessine. « Je veux vieillir en beauté et en dignité. J’ai opté pour ce style avec quelques variantes sans tomber dans le cliché du lord anglais. J’apporte toujours un twist, un truc à moi dans ma tenue », note Günther en ré-ajustant son chapeau. « Le vêtement souligne la personnalité. Il est là pour l’intensifier. On peut se construire une personnalité grâce aux vêtements. Un connard reste un connard. Tu dois trouver ce qui est fait pour toi. » Un style et une attitude qui se remarquent lorsque le vieil homme se promène sur les bords du canal entre Kreuzberg et Neukölln.
Avant d’affirmer cette personnalité haute en couleur de la capitale allemande, Günther a été un homme en quête d’identité. À Hanovre, il vivait avec sa femme et sa fille jusqu’à ses 32 ans. Cette année-là, après dix ans de mariage, Günther fait son coming-out, entame une procédure de divorce et déménage à Berlin. Dans cette ville davantage progressiste, il découvre la communauté des Gay Fathers. « On pense toujours qu’on est seul au monde et au final, notre groupe a initié la création d’associations similaires dans d’autres villes allemandes, se souvient Günther. C’était différent pour chacun d’entre nous. Certains savaient qu’ils étaient gays, d’autres se le cachaient. Je n’avais jamais réalisé ça. Je ne couchais qu’avec des femmes. Tout d’un coup, je me suis retrouvé dans une situation qui a retourné ma vie et celle de ma famille. » Une famille qui est toujours restée derrière lui. Après un an de divorce, sa femme a laissé leur fille rejoindre Günther à Berlin sur sa demande. « Elles m’ont soutenu. À l’école dès qu’une personne faisait une blague homophobe, ma fille la remettait à sa place. C’est aussi un combat pour l’acceptation. Beaucoup de mes amis gays sont désormais pères voire grand-pères alors qu’on était non classifiables à l’époque« , rappelle justement le dandy allemand. Aujourd’hui, il fréquente toujours cette bande et part même en vacances avec certains d’entre eux, une fois par an. « On se connaît depuis que les enfants sont petits. On se réunit souvent à Majorque avec les femmes et les enfants. Tout le monde s’entend très bien. C’est presque trop beau« , ajoute Günther.
Si beau que le monsieur souhaite rester entouré de ses amis. « Au Berghain, j’ai rencontré quelqu’un qui travaille dans les vieux cimetières de Berlin. Après m’en avoir fait visité quelques-uns, j’ai réservé une concession au cimetière St.-Matthäus-Kirchhof. Mon ex-femme y est déjà et je veux m’y retrouver avec mes amis », relate Günther, décomplexé à l’idée de la fin à tel point qu’il aimerait qu’on la célèbre de manière festive. « Je ne peux pas vraiment leur demander ça mais ça serait génial qu’ils dansent lors de mon enterrement, imagine le septuagénaire. Peu importe la musique. Quelque chose de beau. »
D’ici là, Günther ne compte pas s’arrêter de vibrer aux rythmes des BPM des clubs berlinois. « D’apparence je ressemble à un vieil homme, mais, à l’intérieur, j’ai envie d’accomplir toutes les folies de la jeunesse », explique le dandy danseur. Une jeunesse qui lui demande souvent à quoi il carbure pour être capable de sortir autant en club à cet âge. Ce à quoi il répond que sa seule drogue « sort des enceintes ». Depuis 2015, le Techno Opa attise la curiosité des autres clubbeurs. Si certains n’osent pas lui demander son âge, d’autres se jettent facilement à l’eau. « Je n’ai pas besoin de cacher mon âge. Je sais très bien comment ils réagissent quand je leur dis. Ils en parlent avec leurs amis et reviennent me dire que ça leur fait moins peur de vieillir après m’avoir vu, détaille Günther qui se délecte de ces compliments. Je cultive cette énergie et cette envie de nouveautés. Je ne sais pas d’où ça vient mais c’est mon moteur ! »