🎤 L’interview de Lynks à Cabaret Vert : drag, psychologie et premier album

par | Sep 2, 2022 | Interview

Le 20 août dernier Elliot Brett, connu sous le nom de scène de Lynks, donnait au festival Cabaret Vert un concert déluré à l’énergie punk, très grandement inspiré par la culture de club et le drag… Rencontre.

Cela fait un petit moment que l’on suit l’artiste masqué·e Elliot Brett alias Lynks. Pour être exact, depuis le confinement de mars 2020. Iel avait livré lors d’un live Instagram du magasine DIY, une reprise déjantée et complètement drag du titre « Pedestrian At The Best » de l’Australienne Courtney Barnett. On l’avait ensuite vu·e en concert lors de la première édition du festival londonien Wide Awake Festival, ou iel avait retourné le public grâce à ses chorégraphies extravagantes et sa pop inclassable entre l’électro, l’indie, le punk et la comédie. Et à Cabaret Vert, même expérience. Le show a commencé avec une cinquantaine de badauds dans le public et s’est terminé avec une foule conquise, ne comprenant pas totalement l’expérience qu’elle venait de vivre. C’est avant ce show baroque que nous retrouvons Lynks dans loge, le visage nu – nous faisons donc partie du cercle restreint à connaître son apparence – en train de grignoter chips, et autres apéritifs avec ses deux danseuses. L’ambiance est légère, le ton est à la rigolade, Brett a une personnalité lumineuse.

Comment tu te sens avant de monter sur scène ?

Ça dépend vraiment. Je veux dire, aujourd’hui on est partis·es à 5 heures du matin. On a l’impression que c’est déjà l’heure d’aller au lit (il est 18h à l’heure de notre entretien interview NDLR). Quand on monte sur scène, c’est comme si l’énergie entrait en nous. C’est assez amusant. Mais avant ça, il peut y avoir n’importe quelle combinaison d’émotions, de l’épuisement pur à la douceur. Comme un enfant de deux ans qui est en mode : « je ne veux pas le faire !! » *rires*. Mais tu dois ignorer ce sentiment, parce qu’une fois sur scène, tout va bien.

Vous vous êtes réveillé·es à 5h ce matin ?

On était au milieu de nulle part. On était à une heure de Béziers. Pour venir on a dû prendre un taxi, puis un train puis un autre train, puis un autre puis un taxi et un avion. C’est super loin d’ici. C’était une longue journée et on est là.

Et on est très contents de te voir ici. Lynks est un personnage de scène et je me demandais quelle était l’histoire derrière ce personnage.

De base c’était un personnage drag. Je faisais des shows drags dans des soirées qu’organisaient mes ami•es. Ça a toujours était très bête, pas très sérieux. Je n’ai jamais pensé que ça allait devenir ce que c’est aujourd’hui. Quand j’ai commencé, je me maquillais entièrement le visage. C’était vraiment dramatique et très graphique. Mais en fait, je suis une personne qui sue beaucoup et donc après une demi-heure de danse sur scène, je n’avais plus de maquillage sur le visage. Du coup un jour, j’ai mis un masque pour voir si ça pouvait être une bonne alternative. Et en fait c’était le meilleur show que j’aie jamais fait. Il y a quelque chose dans le fait de porter ce masque. C’est assez compliqué d’être mal à l’aise quand vous portez un masque parce que vous n’êtes pas vous-même. Ça a débloqué une toute nouvelle confiance et m’a donné une « don’t give a fuck » attitude. C’était genre « Eh bien, personne ne voit mon visage, si je suis nul·le je peux enlever mon masque et quitter la salle tranquillement ». *rires*. Ça m’a permis de me lâcher plus que je ne l’aurais fait normalement. À partir de là, je n’ai jamais regardé en arrière.

Penses-tu un jour l’enlever ?

Je n’ai pas l’intention de le retirer de sitôt. À moins que je sois en recherche désespérée d’attention *rires*. Quand j’ai commencé, c’était juste un truc pratique. Je n’étais pas assez arrogant·e pour penser : « Ouhhh je vais être très connu·e ». Mais maintenant que le projet prend de l’ampleur, il y a quelque chose de tellement agréable à être capable de sortir de scène à son propre concert.

Pour être honnête j’avais peur de ne pas te reconnaître en arrivant. *rires*

En vrai, c’est chouette ! Ça me permet d’avoir une distance saine avec ma musique et mon art. Je n’ai pas ce besoin d’aller sur Instagram pour regarder des photos de moi, parce qu’en fait il n’y a que ce personnage. C’est comme mon bébé, ce n’est pas moi. Et tu ne veux pas être ton propre bébé, ça peut créer des « daddy issues » assez sérieuses. *rires*

Est-ce que tu avais des références de drag queen pour créer Lynks ?

Oui ! J’ai fait le parcours classique, de grand·e fan·e de Drag Race à grand·e fan·e de drag. C’était ma porte d’entrée, comme pour beaucoup de personnes. J’avais quoi, 14 ou 15 ans quand j’ai découvert Drag Race, c’était la saison 4. Mais ça m’a retourné·e, j’étais là « c’est quoi ce bordel ? ». Et je ne pouvais pas m’arrêter de regarder. Et puis de là, j’ai commencé à aller dans beaucoup de spectacles de drag queens à Londres. Et à Bristol d’où je viens. Il y a quelque chose de génial dans les spectacles de drag queens, parce que quand tu regardes à la télé, c’est très lisse, mais quand tu vas à un spectacle de drag queens, inévitablement il y aura toujours une personne qui sera absolument nulle… ou alors si bizarre que ça va devenir le meilleur show de la soirée. *rires*. C’est celui dont tu vas te souvenir.  Ce sont probablement ces spectacles-là qui m’ont le plus marqué·e et inspiré·e. Mais s’il y a une Drag Queen à citer, c’est Leigh Bowery. C’est un artiste performer masqué. C’est la base de mon esthétique, même si maintenant Lynks devient son propre truc.

 

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Dans une interview tu as dit être anti-cool, ce que tu racontes-là rejoint cette idée.

Je pense qu’en tant qu’artiste, s’efforcer d’être cool est la pire chose que l’on puisse faire. C’est la recette pour créer des choses vraiment ennuyeuses, très peu inspirantes, parce que c’est très arbitraire. Ça peut être sympa de regarder quelque chose de cool. Mais généralement, ce n’est pas la raison pour laquelle c’est bon. Et normalement dès que tu essaies de créer quelque chose de cool, tu vas probablement perdre de ta pâte personnelle. C’est pourquoi je suis très anti-cool. Est-ce que je rends l’anti-cool cool en disant ça ? *rires*

Est-ce pour cela que tes performances sur scène sont toujours un peu bordélique, les chorégraphies ne sont pas hyper carées ? ( on doit se l’avouer depuis la dernière fois qu’on a vu Lynks sur scène en 2020, les chorégraphies qu’iel réalise avec ses danseuses sont montées d’un cran NDRL)

J’ai l’impression que les moments où le show est sur le point de tomber en miette, sont les plus palpitants. Est-ce qu’elles (ses deux danseuses, NDLR) vont se détester, tomber de la scène ? Qui peut le dire ? Et il y a quelque chose de chouette avec ça. Quand tu vois un groupe de danseurs professionnels sur scène, c’est un truc qui semble éloigné.  Mais quand c’est des gens qui font des pas de danse stupides, t’es là : « Oh, je pourrais faire ça ». *rires*

Concernant tes paroles, elles sont très sarcastiques. Tu as dit dans une précédente interview que c’était  un moyen pour toi de parler de sujet plus profonds, que c’était un mécanisme de défense.

Lorsque j’ai commencé Lynks, je n’étais pas du tout sûr·e de qui j’étais. C’était un moyen pour moi de travailler sur beaucoup de choses que je n’aimais pas vraiment chez moi. Mes chansons étaient comme une petite thérapie physique pour moi. Et maintenant, je m’aime vraiment beaucoup. Je me sens bien. *rires*. Je peux à présent me plonger dans des choses plus intéressantes. J’utilise toujours la musique pour parler de trucs difficiles et de ce que je ne comprends pas du monde. Mais je me penche beaucoup plus sur l’identité queer et sur les pans les plus durs d’être une personne queer. Parce qu’on est arrivé à un point où il y a plein d’artistes qui montrent qu’ils et elles sont fier·es d’être gay, c’est cool, mais c’est toujours des phrases du genre « les personnes gays sont parfaites, on est géniaux·ales ! ». En réalité, être une personne queer est difficile. Nous avons beaucoup de bagages et de honte intériorisée. La prochaine étape pour que l’on soit véritablement accepté·é c’est de pouvoir chanter nos problèmes et difficultés, comme les hétéros le font tout le temps. C’est ce dont ma chanson « Straight Acting » parle. C’est l’une des premières chansons que j’ai écrites, et c’est toujours l’une de mes préférées.

Et j’ai l’impression que tes paroles sont aussi libératrice pour les femmes, dans le sens qu’elles représentent ce que les femmes ressentent lorsqu’elles ont affaire à des hommes tous les jours. Sur  « Silly Boys » tu chantes « Poor, little, straight boy, nobody cares that you’ve watched Pulp Fiction / Pauvre petit garçon hétéro, tout le monde se fiche que tu aies regardé Pulp Fiction ».

Eh bien, j’ai l’impression que la difficulté est réelle *rires*. Les hommes gay et les femmes partagent cette expérience de faire face à des hommes hétérosexuels ennuyants. Autant s’unir, non ? *rires* . « Silly Boys » est la chanson du set que je préfère jouer. J’évacue toute cette agressivité envers les hommes hétérosexuels. Il y a beaucoup d’hommes hétérosexuels que j’aime dans ma vie, comme celui-là (se tourne vers son tour manager NDLR) ! Mais c’est bien d’avoir un peu de détox. *rires*

En tant qu’artiste britannique émergent·e, je me demandais à quel point il est difficile de faire des tournées en Europe en ce moment avec le Brexit.

Je suis très, très anti-Brexit, sans surprise. Je suis une personne queer qui vient de Londres. *rires*. Le Brexit nous impacte sur plein de trucs. Le niveau d’administration a beaucoup augmenté, et puis la TVA sur la marchandise, la taxe d’entrée sur la marchandise…. Je ne gagne pas d’argent sur 70 ou 80% des concerts que je fais. Et donc d’avoir juste ce dernier petit bout de profit, juste écrémé à travers ces coûts, ce temps et cette administration supplémentaires, c’est vraiment la merde. Et c’est juste inutile.

Parviens-tu à vivre de ta musique ?

J’ai une chambre pas très chère à Londres. Depuis cet été, c’est la première fois de ma vie que je vis uniquement de mon art. Et c’est génial. Je ne sais pas combien de temps je pourrai le garder comme seul emploi. Je vais peut-être devoir reprendre mon ancien travail de soutien scolaire dans le futur. J’enseignais la psychologie. J’adore la psychologie, mais c’est mon plan de secours. Après avoir fini la musique, je deviendrai thérapeute *rires*. C’est mon plan.

Tu as sortis plusieurs EPs, ou mixtapes, je ne sais pas comment les appeler …

Je préfère chefs-d’oeuvre. *rires*

Et du coup, est-ce que tu vas bientôt sortir le grand chef-d’oeuvre, ton premier album ?

Eh bien c’est pour l’année prochaine, je crois. Je travaille dessus actuellement. Je ne sais pas si tu as vu, mais j’ai perdu mon ordinateur portable. J’avais tous mes fichiers dessus et je n’avais pas fait de sauvegarde depuis quelques mois. C’était tellement de travail. Donc je suis en train de refaire tous les sons. Ce que je peux dire, c’est que c’est à des millions de kilomètres de ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je suis si excité·e. C’est les meilleures chansons que je n’ai jamais écrites. Ça va être incroyable, ça va changer l’industrie.*rires* Personne ne sera plus le même. Cet album va redéfinir la musique et j’aurai une photo de mon visage dans le dictionnaire. Ne plaçons pas les attentes trop hautes, mais ça va changer le monde.*rires*

Lynks jouera le 24 septembre à Lyon, lors de la Soirée Garçons Sauvages au Sucre, le 13 octobre à Paris au MaMA festival et le 19 novembre à Bordeaux au Bal Queer à Grand Parc.

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