Psychotic Monks : Moines Soldats
Cette interview de Psychotic Monks est extraite du Tsugi 121, paru en avril 2019. Propos recueillis par Clémence Meunier.
Si les révoltés de The Psychotic Monks sont maintenant signés sur un label et sortent leur deuxième album Private Meaning First, le quatuor n’a rien perdu de sa rage farouchement indé. Et s’impose comme l’une des sorties post-punk, psyché ou noise (rayez la mention inutile) les plus excitantes de ces dernières années.
Une démocratie punk. Les deux concepts, quasi contradictoires, l’un policé, l’autre chaotique, cohabitent pourtant au milieu du tumulte sonore des Psychotic Monks, sorte de magma post-punk et psychédélique défendu par quatre Parisiens, dans leur vingtaine, aux allures tourmentées de Ian Curtis. Arthur, Paul, Clément et Martin décident tout à quatre, débattent et se questionnent constamment, pris entre les sirènes de leur succès récent– après une signature sur Vicious Circle et deux dates charnières aux Trans Musicales et à Eurosonic – et un nihilisme chevillé au corps. Mais une fois les planches d’une scène foulées, ces moines psychotiques lâchent les concepts, improvisent et proposent des lives cathartiques où la rage des guitares se cogne à de longues plages bruitistes et psychédéliques. Quand le chant fait son apparition au milieu de cette apocalypse de fuzz, on ne sait jamais d’où il vient : le micro tourne, pas de cheffaillon ni de porte-parole ici. Reste une révolte sourde, à découvrir sur disque avec un second album, Private Meaning First, et surtout sur scène, chaque concert se transformant en transe collective. Comme si les Stooges rencontraient Nuit Debout, comme si le shamanisme tribal passait dans un blender de saturation. À vivre au moins une fois.
Il n’y a pas de chanteur principal dans The Psychotic Monks, vous chantez à tour de rôle. Pourquoi ?
Arthur : On s’inspire de musiques qui existent depuis un demi-siècle et qui sont très souvent basées sur la même formule, autour d’une personne, avec un trip un peu égocentrique. On veut sortir de ça. On ne crie pas non plus au génie, on n’a rien inventé. Mais ça ne nous vient pas à l’esprit de mettre l’un de nous en avant. On fonctionne de manière horizontale, pas hiérarchique. On essaye de faire les choses de manière démocratique. Chacun prend la parole quand il en a envie – si Clément veut chanter sur un morceau, on le laisse complètement libre sur la manière dont il veut s’exprimer. C’est presque comme si cela ne regardait que lui, et on ne lui demande quasiment pas ce qu’il veut dire dans ses paroles.
Clément : On a tout de même une ligne directrice dans nos textes, avec une volonté de rester très abstraits. On s’influence les uns les autres, et il faut que chaque morceau nous fasse tous ressentir quelque chose. Pareil pour choisir les set-lists des concerts : que quelqu’un chante ou pas sur le titre en question, s’il ne le sent plus, on arrêtera de le jouer.
Quelle est la part d’improvisation dans vos concerts ?
En gros, on a les deux guitaristes qui font à peu près n’importe quoi, avec heureusement un batteur génial qui vient rattraper les autres. (rires) Plus sérieusement, il y a en effet une grosse part d’improvisation et d’écoute entre nous. On sait toujours d’où on vient et où on va sur un morceau, mais entre les deux, il peut se passer plein de choses.Ça fait trois ans qu’on tourne énormément, nos concerts évoluent car on découvre constamment de nouvelles musiques. C’est parfois déstabilisant pour les gens qui viennent nous voir, car ils peuvent s’attendre à un groupe psyché. Or on leur sert peut-être du punk ce soir-là, si on est dans une phase où on écoute les Stooges.
Pendant l’enregistrement de ce deuxième album, qu’écoutiez-vous ?
Clément : Nick Cave et The Birthday Party à fond, mais je ne sais pas si ça se ressent dans la musique. Et avant cela, Sonic Youth, Swans ou des trucs plus post-punk et un peu nihilistes comme The Fall ou Captain Beefheart.
Vous êtes allés composer cet album dans une petite maison perdue dans la Creuse. C’était comment ?
Martin : On était sur la dernière ligne des poteaux électriques du lieu-dit, il n’y avait pas âme qui vive. On se demandait un peu ce qu’on foutait là. Mais en fait, c’était parfait, on avait l’impression d’être dans un film post-apocalyptique, on a seulement croisé deux personnes en trois semaines, et on était entassés dans cette petite maison, avec le salon complètement rempli de matos. On était complètement isolés, dans le néant, et c’était exactement ce que l’on cherchait.
Vous aviez un temps imparti dans cette maison pour travailler sur l’album. Ça met la pression d’avoir une deadline?
Arthur : Oui. Mais le jour où tu as l’impression de faire de la musique comme si tu allais au bureau, il faut arrêter. Avant, nous avions des jobs à côté, qu’on a lâchés pour vivre cette expérience à fond. Quel est notre but dans ces conditions ? On se réveille, on fait de la musique, mais pourquoi ? Ça te met face à un tas de questions de ne plus avoir ce traditionnel duo “petit boulot alimentaire la journée et musique le soir”. Quand on monte sur scène, ce n’est pas pour que l’un se fasse plaisir et que les autres l’accompagnent : on cherche une union à quatre, et ça passe par se questionner, débattre et se connaître par cœur, pas uniquement musicalement. C’est aussi une volonté d’aller à l’encontre d’une culture de l’ego et de l’individualisme.
C’est pour ça qu’on vous voit assez peu sur scène et que vous rendez difficile la possibilité de vous distinguer?
Arthur : Traditionnellement, on va voir un concert dans une salle, des musiciens montent sur scène et nous gouvernent pendant tout leur set. Ce schéma nous donne la gerbe. On veut que ça soit une expérience collective, que les gens qui assistent au live se posent des questions sur eux-mêmes plutôt que de se demander qui est qui ou
ce qu’on veut leur dire. On voudrait qu’ils oublient qu’ils sont à un concert.
Paul : Je ne sais pas si c’est le nom The Psychedelic Monks qui nous a conditionnés, mais c’est presque devenu religieux ce qu’on veut proposer, dans le bon sens du terme : une réunion d’individus, un lâcher- prise collectif pour essayer de vivre une expérience un peu rituelle.
Vous avez l’air d’être pris dans un paradoxe: vous avez envie de développer le groupe sans vous vendre. C’est d’avoir fini un deuxième album et d’avoir signé sur un label qui vous met dans cet état ?
Tous : C’était déjà le cas avant…
Arthur : On ne veut pas être fermés ou faire un truc snob que personne ne comprendra, mais on veut rester intègres, sincères, et proposer quelque chose de personnel.
Clément : Malheureusement, tout est normé dans la musique en France aujourd’hui. Les trucs comme les Inouïs
du Printemps de Bourges, les séances de coaching scénique, d’accompagnement… Il y a des règles et on se retrouve à voir encore et toujours les mêmes spectacles.
Pourtant, vous avez participé au prix Chorus – et gagné, avec à la clé 10 000 euros de dotation…
Clément : Ça nous mettait mal à l’aise, cette compétition avec un prix à la fin et un passage devant un jury où des groupes parlaient de budgets prévisionnels. C’est loin de ce qu’on veut faire avec la musique.
Paul : Mais c’est grâce à cet argent qu’on a pu investir dans du matériel, partir dans la Creuse pour travailler sur l’album, et notre van a lâché donc ça nous a bien dépannés…
Arthur : C’est génial qu’il y ait encore des gens dans cette industrie qui choisissent de prendre des risques parce que clairement on ne remplit pas des salles – à la limite on les vide, comme à Chorus d’ailleurs ! Mais
à partir du moment où tu as une industrie centrée sur le formatage et les ventes qui commence à t’accepter, il faut aussi se demander si ce n’est pas parce que tu te conformes petit à petit à ses normes. On essaye de rester vigilant par rapport à cela. Paul : On se heurte aujourd’hui à une autre échelle de l’industrie de la musique. C’est vertigineux, ça nous met une grosse pression et il y a une certaine responsabilité qui en découle : tu es sur une scène devant
3 000 personnes, on te tend un micro, et on te demande ce que tu as à dire, ce que tu veux faire.
Et qu’est-ce que vous voulez faire avec vos concerts ?
Arthur : On voudrait créer un espace. Qu’on soit dans la rue, au concert d’un groupe qu’on aime bien ou chez nos parents, on ressent constamment une pression et on a l’impression de suffoquer – bien qu’on sache très bien qu’il y a des gens qui vivent des choses bien plus difficiles que nous. Mais ce qu’on essaye de faire avec la musique, c’est de créer un endroit où les gens qui ressentent les choses comme nous puissent se sentir moins seuls, ou juste avoir la sensation de moins étouffer.
Clément : Mais c’est compliqué dans le système dans lequel on évolue. Par exemple, les places pour notre concert à la Maroquinerie sont à 20 balles. On trouve ça cher. On se retrouve bookés au Bilbao Festival, c’est super, mais c’est 60 balles la place. Est-ce qu’on a envie que la musique soit réservée à une tranche bien précise de la population ?
Arthur : Du coup on essaye d’agir un tout petit peu. Paul est membre d’Utopia56, une association d’aide aux migrants, et on a gardé des places pour les réfugiés, et l’argent récolté par la vente de disques sur place reviendra à l’association (le groupe a également annoncé une cinquantaine de places à prix réduit pour les demandeurs d’emploi, les étudiants ou encore les handicapés, ndr).
Paul : Les gens qui ont les moyens de payer 60 euros pour leur journée de festival ont tout autant le droit d’avoir accès à la musique, ils se sentent potentiellement aussi seuls que les autres, ont peut-être autant de souffrances. Mais on ne voudrait pas faire la rétrospective de nos concerts dans quelques années et se rendre compte qu’il n’y a eu que des Bilbao ou des Rock en Seine.
Pourquoi avoir absolument besoin de cet espace aujourd’hui?
Paul : On subit tous une injonction au bonheur et à la réussite. Il faut se définir rapidement, vite trouver une place dans ce système, parce que sinon ça va continuer sans toi. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Nos amis qui sortent de master aujourd’hui sont dans un mode “il faut entrer sur le marché du travail”, “il faut s’installer”, “il faut” ceci ou cela, et surtout il faut être heureux en le faisant !
Martin : On a arrêté les études, mais pas de se poser des questions, d’apprendre. Je ne me suis jamais autant senti étudiant que depuis que j’ai cessé de vouloir l’être. Clément : Si on ne s’était pas rencontrés tous les quatre, je pense qu’on aurait été un peu perdus, à ne pas savoir où se placer… Bon, je ne sais toujours pas, mais au moins je suis avec eux.
Ils seront présents le 16 décembre prochain au Temps Machine à Joué-les -Tours à l’occasion du Tsugi Birthday Tour! On les retrouvera ce soir-là aux cotés de La Mverte (Tsugi Radio) et Amande … On vous attend nombreux !