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© Claire Marie Bailey.
4 août 2022

Pourquoi Gwenno a toutes ses chances de gagner le Mercury Prize 2022

par Juliette Soudarin

Début juillet la Gallo-cornouallaise Gwenno sortait son troisième album Tresor. Un album chanté dans une langue quasi-disparue, le cornique, qui nous transporte dans un univers mystique entre folk et folklore. Juste pour cela elle mérite de remporter le prestigieux Mercury Prize pour meilleur album de l’année auquel elle est nommée.

Dans l’imaginaire collectif, le progrès est synonyme de développement technologique, c’est faciliter le quotidien par l’invention de machines. Pourtant dans cette course au progrès, du savoir-faire et des techniques anciennes se sont perdus. Serions-nous capables de reproduire aujourd’hui avec autant de détails, les drapés sinueux des statues greco-romaines ? Et puis il y a les machines impérialistes et capitalistes qui, en suivant une vision obscurantiste du progrès, écrasent des peuples jugés différents, arriérés ou sous-développés. Ainsi des cultures, des dialectes ont été effacés et continuent à l’être aujourd’hui.

Dans les Cornouailles, au sud du Royaume-Uni, autour de l’an 600, s’est développée une langue celtique appelée le cornique. Elle s’est transmise pendant 1000 ans, avant que les Anglais n’obligent les peuples locaux à cesser de la pratiquer. Selon la légende la dernière personne à l’avoir parlée couramment est Dolly Pentreath, une marchande de poissons, morte en 1777. Au XXe siècle, certain·es ont tenté de lui donner une seconde vie. Cette tentative nous a mené à Gwenno et au chef d’oeuvre qu’est son troisième album Tresor.

 

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Élevée par une mère galloise activiste – qui a notamment chanté dans une chorale sobrement appelée « la chorale rouge de Cardiff » – et par un père cornouaillais poète, Gwenno Mererid Saunders fait vivre album après album la culture celtique. Début juillet, elle sortait Tresor, un magnifique opus chanté entièrement en cornique à l’exception d’un titre en gallois :  « NYCAW », acronyme de « Nid yw Cymru ar Werth ». Traduisez « le Pays de Galles n’est pas à vendre ». Les chiens ne font pas des chats…

Après avoir parlé de l’aliénation technologique dans Y Dydd Olaf, de l’idée de patrie dans Le Kov, la musicienne, partage son introspection dans Tresor.  Elle aborde un sujet quelque peu tabou dans notre société : la maternité. Elle parle d’exploration du désir, de reconquête des corps et de la quête d’identité lorsqu’on se dédie à autre individu,  son enfant. La maison et le soi. Enfin cela c’est pour celles et ceux qui ont la chance de comprendre le cornique. Pour nous simple profanes, on a l’impression d’effectuer un voyage intérieur vers une autre époque. Une époque où l’on savait réaliser à la main toute sorte d’ornements précis en bois ou bronze et où il n’était pas rare d’apercevoir derrière un rocher une fée, un troll, ou n’importe quelle créature magique.

Car avec Tresor, Gwenno nous invite, par ses pérégrinations pop, folk psychédéliques, parfois mystiques, dans un monde de légendes. Impossible de ne pas penser à Kate Bush et à l’univers de « Wuthering Heights » – surtout lorsque dans la plupart de ses clips et visuels, Gwenno, arbore un vêtement rouge vif. Déjà, l’album débute à la manière d’une pièce de théâtre d’épouvante sixties avec le titre « An Stevel Nowydh ». Les claviers retentissent avant de laisser place à la mélodie d’un conte ancien. Dans Tresor, Gwenno s’amuse avec les superstitions, ce qui a de quoi rappeler sa compatriote galloise, Cate Le Bon, en particulier sur les titres « Anima » et « Tresor ».

Et puis aux côtés de ces ballades, il y a les basses et guitares de « NYCAW », pouvant évoquer l’inquiétant « A Forest » de The Cure et l’oppressant « Ardamm », rappelant les productions UK/Irish post-punk revival les plus récentes de Dry Cleaning ou de Sinead O Brien. Au milieu de tout cela, il y a le court et expérimental « Men an Toll », qui annonce l’atmosphère beaucoup plus ambient qui clôture l’album, « Keltek », « Tonnow » et « Porth la » – dont les bruits de clocher finaux nous transportent dans un petit village cornouallais. C’est comme si Tresor n’était finalement qu’un rêve, une chimère. Un peu comme ces deux années passées enfermé·es.

Car Gwenno a commencé à écrire cet album à Ives, en Cornouailles, juste avant qu’éclate le confinement. Elle l’a terminé chez elle à Cardiff avec son coproducteur et collaborateur musical, Rhys Edwards, pendant la pandémie. C’est une oeuvre qui fait écho à l’isolement, devenu expérience universelle.

Pas étonnant qu’avec de telles compositions qui font vibrer ce qu’il y a de plus profond en nous, Gwenno soit nommée au prestigieux prix britannique Mercury Price, pour le meilleur album de l’année. On espère – on croise très forts les doigts – que celle-ci le remportera !

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