Pourquoi certains clubs resteront fermés cet été, malgré l’autorisation
Malgré une fête de la musique très contrainte, le 21 juin a pourtant été une source de joie pour beaucoup. Après plus d’un an de fermeture continue, les clubs et discothèques ont enfin obtenu une date de réouverture : le 9 juillet prochain. Une nouvelle très rassurante pour le milieu, mais qui est loin de garantir la reprise de la fête. Car entre le délai très court, un protocole contraignant, le tempo propre à cette industrie et un contexte parfois peu propice à la réouverture, de nombreux clubs vont rester fermés jusqu’en septembre.
Les nouvelles ont été meilleures que prévu, chose assez rare pour être soulignée. Alors que les bruits de couloirs parlaient d’une exigence accrue sur la ventilation, une interdiction du service au bar et surtout l’obligation du port du masque sur la piste de danse, rien de tout ça n’est apparu dans le protocole présenté. Au final, l’ouverture des clubs au 9 juillet sera surtout soumise à deux critères : une jauge de 75 % en intérieur (100 % en extérieur), et surtout l’obligation du pass sanitaire, quelle que soit cette jauge. Pour rappel, le pass peut être obtenu soit par une vaccination complète, un test négatif de moins de 48h, ou un test positif de plus de deux semaines, et moins de six mois. En revanche, l’autotest est proscrit : il faut avoir recours au classique test PCR, ou au test antigénique (résultats en 15 à 30 minutes). Quant aux gestes barrières, ils restent obligatoires à l’intérieur, et seuls les employés seront obligés de garder leur masque.
Près des trois quarts des clubs de France pourraient rester fermés jusqu’en septembre
Plus largement, les aides financières sont prolongées tout l’été, que ces clubs choisissent de rouvrir ou non. C’est enfin la lumière au bout du tunnel pour la totalité du secteur, et tous sont unanimes pour saluer ces annonces. « On peut se féliciter du travail accompli » estime Patrick Malvaës, du Syndicat National des Discothèques et Lieux de Loisirs (SNDLL). Pourtant, selon lui, « c’est une minorité qui va rouvrir, c’est certain ». Si tous les lieux n’ont pas encore pris de décision, il estime que près des trois quarts pourraient rester fermés jusqu’en septembre : « Je ne vois pas l’intérêt pour les grosses discothèques, ou celles de Paris, de rouvrir ». Pour lui, cette annonce va surtout bénéficier aux clubs saisonniers, « qui n’ont pas touché un centime depuis septembre 2019 ».
Pour les autres, la situation est bien plus compliquée. Beaucoup ont été pris de court par une annonce aussi soudaine, alors que des travaux étaient en cours. Comme par exemple au Bikini, lieu incontournable de Toulouse. Depuis le 9 juin, la salle a ouvert un espace extérieur, le Petit Bikini, qui accueille de nombreux DJs de la scène locale, ainsi qu’un live par semaine. « Maintenant que c’est lancé, on va privilégier cet espace plutôt qu’ouvrir le club » précise Antoine Fantuz, le programmateur. La jauge y est bien inférieure à celle de la salle intérieure, mais « ça permet de reprendre progressivement. C’est difficile de comparer, mais on voit que la reprise des concerts [le Bikini est d’abord une salle de concert, ndr] est frileuse du côté du public. Il faut prendre ça en compte. Mais c’est génial de retrouver cette ambiance. Ce n’est pas pareil, il n’y a pas le gros son toute la nuit, mais le public s’y retrouve. » Tout est un problème de timing, donc, car le protocole sanitaire lui paraît acceptable. « S’il faut en passer par là, on en passera par là. Dans un premier temps, on était plutôt déroutés de la soudaineté de l’annonce. Mais au final, ce sont des bonnes nouvelles, ça va dans le bon sens. »
« On ne pourra pas faire une programmation digne de ce nom d’ici là. »
Même son de cloche au Rex à Paris, où le club a été loué à un studio de télévision jusque début septembre. « Le temps qu’ils démontent leur matériel, notre réinstallation nous prendrait 15 jours, donc on ne peut pas ouvrir avant mi-septembre » nous explique Victorien Jacquemond, chargé de communication du lieu. Mais dans tous les cas, l’ouverture au 9 juillet restait impossible : « On ne pourra pas faire une programmation digne de ce nom d’ici là » poursuit Victorien. « Et une jauge de 75 % est trop contraignante. On préfère attendre le mois de septembre, en espérant qu’on puisse ouvrir à 100 % d’ici-là ». Selon les dernières informations, le protocole annoncé restera en vigueur jusqu’à mi-septembre, dates où seront renégociées les conditions. Malgré tout, les annonces vont également dans le bon sens, pour lui : « Les autorités ont pris en compte ce qu’il s’est passé l’an dernier : des free parties, pas encadrées. Donc autant laisser les professionnels de la nuit rouvrir avec un protocole strict, pour que ça ne soit pas n’importe quoi. »
Toujours dans la capitale, le Badaboum compte également rester fermé. Pour son co-directeur Aurélien Delaeter, « on se félicite de cette ouverture. Mais pour nous, l’été a toujours été la pire période de l’année. » Le départ en vacances des Parisiens est d’habitude compensé par l’arrivée de touristes « qui risquent de ne pas être là cette année ». Et surtout « on a une concurrence nouvelle cet été avec les dizaines d’open air montés dans Paris et ses abords. On ne peut pas faire le poids, avec notre jauge restreinte. Je défends ces extérieurs : les Parisiens, les Français, ont trop longtemps été emprisonnés, ils ont envie d’exulter, et on est très contents de ça. Donc on préfère laisser passer l’orage et rouvrir fin août. C’est notre objectif. » Avant d’ajouter, plaisantant à peine : « Ça fait deux ans qu’on nous dit qu’on n’est pas essentiels, on va le rester encore deux mois. »
L’important, pour lui, est de rouvrir dans de bonnes conditions : « On ne veut pas que le public vienne chez nous en se demandant s’il ne préfère pas être dans un open air, on les veut pleinement. Et puis, on a toujours été un club d’hiver. » Cela ne les empêche pas de participer à la fête : le Badaboum et le Rex se sont associés sur plusieurs événements hors les murs durant l’été, notamment le 24 juillet au Kilowatt. « On va exister cet été » conclut Aurélien.
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Cependant, tous les clubs n’ont pas encore pris de décision ferme, à l’image du Macadam, à Nantes. Eux qui s’attendaient au pire, pensaient rester fermés. Mais les nouvelles rassurantes les ont poussés à y réfléchir. Que ce soit sur le masque non obligatoire, la possibilité de service au bar ou l’absence d’exigences particulières sur la ventilation, « c’était les fondements de la possibilité d’ouvrir, pour nous » pose Alexis Tenaud, co-fondateur du collectif Androgyne qui pilote le club. « On fait tout ce qu’on peut pour retrouver notre public le plus tôt possible » continue-t-il, mais certains enjeux doivent être examinés, comme le pass sanitaire, qui « entrave la spontanéité ». « On se prononcera dans les premiers jours de juillet. On attend de réunir toutes les informations nécessaires sur les contraintes et nos possibilités. » Rien n’est exclu, que ce soit la date du 9 juillet, ou une reprise en septembre seulement.
« On ne va pas louper cette opportunité d’ouvrir »
Malgré tout – et ils font figure d’exception – certains clubs font le choix de rouvrir. Parmi eux, le Sucre, à Lyon. Comme promet le directeur Cédric Dujardin : « Nous allons rouvrir en format club dès le 9 juillet. On a entendu tellement de rumeurs folles avant lundi, mais là, ça nous paraît accessible. On ne va pas louper cette opportunité d’ouvrir. Il y a une vraie attente de la part du public, et de notre direction artistique. » Pour lui, une telle ouverture est permise par la situation exceptionnelle du lieu. Le lieu est « au cœur d’une ville active ». Ils peuvent se permettre de créer une programmation « sur le pouce », à l’aide d’un travail d’accompagnement des artistes locaux, ce dès le début de la pandémie. De nombreuses résidences ont été organisées, avec la création d’un crew de DJs. Depuis septembre, ceux-ci forment de nouveaux talents, permettant d’avoir un large vivier d’artistes disponibles.
Par ailleurs, le lieu héberge une partie du festival Nuits Sonores, avec qui il partage la même équipe de programmation. En préparation depuis plusieurs semaines déjà, il pourra amener plusieurs têtes d’affiche dans le lieu. La reprise se fera donc en douceur : « Ce sera 50 % de jauge, puis 60 %, et 75 % pendant Nuits Sonores », précise Cédric. Pour lui, le pass sanitaire n’est pas un problème : « Le Sucre fonctionne plutôt sur le modèle d’une salle de concert : on regarde la programmation et on achète sa place. On ne vient pas au Sucre par hasard, c’est un acte réfléchi. Donc on anticipe plus, et on peut prévoir un test. » C’est donc ce modèle très particulier qui permet d’envisager une réouverture.
« Et ceux qui sortent tous les soirs ou presque, vont-ils passer l’été avec le coton-tige dans le nez ? »
C’est peut-être ce point qui nécessite le plus de précisions. Tous les clubs interrogés sont prêts à accepter le pass sanitaire. Mais c’est l’incertitude qui règne quant à son application et la volonté du public de s’y plier. Pour l’heure, seuls 10 % des moins de 30 ans sont totalement vaccinés. Pour Patrick Malvaës, du SNDLL : « Comment se faire tester facilement le week-end quand on veut sortir le dimanche soir ? Et ceux qui sortent tous les soirs ou presque, vont-ils passer l’été avec le coton-tige dans le nez ? Ça me semble compliqué. » Mais surtout, il craint que ce pass ait un effet de concurrence déloyale. « Nous exigeons que les bars à ambiance musicale soient astreints au pass sanitaire à partir du moment où ils ont une activité de discothèque. L’été dernier, tout le monde a fait discothèque sans le dire, entraînant une hausse de la circulation du virus. Notre objectif c’est de rouvrir durablement, dans des conditions normales. Et pour ça, il faut qu’il n’y ait pas de quatrième vague. » C’est peut-être là tout l’enjeu de cette ouverture. Pour Cédric Dujardin, « si on arrive à prouver qu’il n’y a pas de clusters dans un club, on aura gagné ». La fête n’est pas encore de retour, même si elle se profile. Mais l’espoir, lui, semble bien là.