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Ou plutôt la légende du bureau
6 avril 2020

Pour sa dernière saison, « Le Bureau des légendes » livre ses secrets musicaux

par Patrice BARDOT

Interview avec le compositeur Rob, responsable de la musique de la série d’espionnage d’Eric Rochant Le Bureau des légendes, dont la cinquième saison est disponible sur les écrans de Canal+.

Elles, ils sont de retour. Malotru, Rocambole, Marie-Jeanne… Ils nous avaient manqué les personnages, ô combien réalistes, du Bureau des légendes dont on découvre aujourd’hui l’ultime saison toujours imaginée de main de maître par Eric Rochant.

Derrière la musique de celle qui a été classée par le New York Times parmi les trois meilleures séries internationales de la décennie, le compositeur Robin Coudert alias Rob. Son CV, long comme le bras en matière de BO de films (Belle Epine, Maniac, ou Jimmy Rivière) et de séries (Les Sauvages) cache cependant une autre vie. Au début des années 2000, il est l’auteur d’un album mythique, jamais réédité, Don’t Kill sur le label Source, manifeste éclaté de pop extravagante et romantique, et surtout déjà très cinématique. Également compagnon de scène aux claviers derrière Phoenix et Sébastien Tellier, Rob est aussi le responsable d’un projet singulier sur le défunt label Institubes : les six volumes/EP d’un Dodécalogue halluciné, entre ambient psychédélique et électronique futuriste. Cette personnalité particulière n’a pourtant pas eu besoin de faire des concessions pour composer la musique des cinq saisons du Bureau des légendes. Il nous raconte. Au téléphone, confinement oblige.

« C’est la fin d’un monde cette saison. »

Rob

Rob ©Charlotte Ortholary

Comment en est tu arrivé à travailler sur cette série ?Eric Rochant avait entendu parler de moi, parce qu’il connaissait la réalisatrice Laïla Marrakchi pour qui j’avais composé la musique de Rock the Casbah. Eric a vu aussi que j’avais bossé sur des BO de film d’horreur comme Maniac par exemple. Mon profil qui oscillait entre films d’horreur donc et films dramatiques, voire mélodramatiques, correspondait à ce qu’il cherchait.

Tu as composé toute la musique de la série, que ressens tu aujourd’hui  avec cette dernière saison ?

Je ne peux pas parler de tristesse puisqu’on est juste au début de la diffusion de la cinquième saison. Rétrospectivement, je suis impressionné par la somme de travail que cela m’a demandé. Cela me paraît titanesque. Depuis cinq ans que je bosse sur ce projet, cela représente cinquante heures de films, plusieurs centaines de morceaux. À vrai dire, je n’en connais même pas le nombre exact. C’est de loin l’œuvre la plus colossale que j’ai jamais produite. Si je me retourne en arrière, je crois que je suis étourdi par tout ça.

 De manière pratique, comment est ce que cela se passait ?

Au début de chaque saison, on avait une longue conversation avec Eric. Il me livrait les grandes tendances, l’esprit qu’il voulait mettre dedans. Par exemple, il me disait : “on n’est plus dans le terrorisme, mais dans le cyberterrorisme”, donc ça allait changer la couleur de la musique. Il me faisait passer les scripts au fur et à mesure, et je ne connaissais pas la fin de la saison. Après, j’allais en studio avec mes synthés, mes ordinateurs, mes machines. Je me laissais totalement embarqué dans une sorte d’écriture automatique, guidé par ces conversations avec Eric, mes lectures du scénario, et j’enregistrais tout. Cela créait une masse de musique, que je donnais de temps en temps à Eric et dans laquelle il faisait son marché. Il me disait : “ce morceau, ça m’intéresse ou alors c’est hors sujet ou encore il faut l’approfondir, l’orchestrer différemment.” Cela aboutissait à une sorte de banque de sons qu’ils pouvaient utiliser au montage. On choisit donc la musique de la série avant de l’avoir sous les yeux.

Qu’est-ce que cela t’apporté de travailler sur Le Bureau des légendes?

Avant, j’avais une approche artisanale, très sensible. Cette série m’a imposé une façon de travailler qui a fait de moi quelqu’un de plus professionnel. Je suis un artiste un peu confidentiel et même quasiment maudit, et là pour la première fois de ma vie, j’ai produit quelque chose qui est populaire, regardé à la télé par des gens que je ne touche jamais d’habitude. Et ça, c’est magnifique, je trouve.

« C’est de loin l’œuvre la plus colossale que j’ai jamais produite. »

Contrairement à d’autres séries, il n’y a pas de thème musical récurrent à l’ensemble des saisons…

Il y a quand même quelques références musicales que l’on peut retrouver, mais c’est assez masqué. C’est vrai qu’il n’y a pas un grand thème qui revient chaque saison. C’est parce que dès le début, il y a eu le choix de ne pas faire de générique. Cela a donné le ton à une absence de signature, qui était une signature en soi. Il y a toujours une même trame qui correspond à ma sensibilité, mais il n’y a pas un seul vrai thème qui se retrouve du début à la fin.

Qu’est-ce qui t’as particulièrement inspiré dans la dramaturgie de cette saison ?

C’est difficile sans spoiler. Mais rien que le fait que Eric annonce que c’était la dernière saison, donc avec quelque chose de testamentaire, c’était très inspirant. C’est la fin d’un monde cette saison. Il y a un côté apocalyptique qui colle très bien à l’air du temps. Des personnages ont des destins très forts et dramatiques. Je trouve ça très poignant.

Pourquoi les morceaux ont des noms étranges comme “Fronde 10” ou “Research 518” ?

Quand je donne un nom trop explicite, ça influence trop son utilisation. Par exemple, si j’appelle un morceau “Malotru” et qu’il ne plaît pas à Eric pour un passage avec Malotru, le morceau va être mis à la poubelle. Mais si je lui donne un titre générique, il peut l’utiliser comme on veut. Mais il y a également une autre raison. Nous avions tellement de musiques, qu’il fallait inventer une codification pour que l’on puisse s’y retrouver. C’est pour cela qu’il y a ces noms à tiroirs assez ignobles, ce que je regrette, mais finalement cela correspond bien à l’univers cryptique de la série.

« Je suis un artiste un peu confidentiel et même quasiment maudit, et là pour la première fois de ma vie, j’ai produit quelque chose qui est populaire. »

Quand tu composes, est-ce que tu as l’ambition que ta musique puisse s’écouter sans les images?

Non je n’y pense pas particulièrement. Mais avec ma méthode, la musique existe d’abord pour elle même. Puisque pour Le Bureau des légendes, je compose avant d’avoir vu les images. D’ailleurs ce sont souvent ces versions que je mets dans les disques des B.O. C’est une musique que l’on peut écouter en imaginant ce qu’il va se passer. Je serai incapable de composer de la musique qui soit uniquement ce que l’on appelle de l’underscore ou du “bed”. C’est à dire juste un drone avec une nappe très discrète pour souligner la tension. Cela ne se compose pas sans voir les images. Moi j’aime l’idée de passer par une vraie phase de composition avec un thème, des accords….

Quels sont tes prochains projets ?

Je travaille sur des documentaires. Un domaine que je connais mal, mais qui m’intéresse beaucoup. J’ai la nostalgie des documentaires animaliers de mon enfance avec la musique de Vangelis où il se passait quelque chose de grandiose. Cela a été oublié, et leurs musiques sont assez standardisées maintenant. Mais nous sommes dans une période où on est en pause. J’étais censé commencer un gros projet aux USA avec un film de Alexandre Aja avec qui je travaille régulièrement, mais c’est reporté en 2021. Donc je profite du confinement pour surtout me reposer.

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