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Crédit : @pop1500
24 janvier 2018

Positive Education, BFDM, Metaphore : trois collectifs au bout de la techno

par Tsugi

Article extrait de Tsugi 108, dispo à la commande ici

Loin de Paris, trois excitants collectifs d’activistes basés à Saint-Étienne, Lyon et Marseille réinventent la rave, poussés par une irrépressible envie d’innover.

Le week-end du 11 novembre, Saint-Étienne était l’épicentre musical électronique de notre pays. L’avant-garde de la scène techno se rassemblait dans la ville au passé industriel à l’occasion de la deuxième édition du Positive Education. Techno, vraiment ? Une techno d’un autre genre, infusée d’indus, un oeil sur l’EBM ou la drum’n’bass. Une musique plurielle portée par une scène nébuleuse ; à bien y regarder, la plupart des artistes invités sont des proches du festival, et on note vite que les Lyonnais de BFDM et le collectif marseillais Metaphore sont deux autres barycentres de cette figure dont on peine encore à tracer les contours. Ensemble, ces trois collectifs portent haut les couleurs de l’avant-garde française.

Dans un pays où il est rare de voir des propositions artistiques connaître le succès sans passer par Paris, l’existence de ces trois entités fait figure d’exception : Positive Education comme Metaphore sont deux projets pensés pour les villes qui les ont vus naître, respectivement Saint-Étienne et Marseille, comme BFDM, qui est très lié à la scène lyonnaise, dont la plupart de ses artistes sont issus. Trois collectifs qui se ressemblent, portant une même idée de la musique club, “alternatifs” pour sûr, mais de moins en moins outsiders.

L’ÂGE DU COLLECTIF

Les trajectoires sont similaires. Au départ, “une bande de potes, que des passionnés”, explique Charles Di Falco, fondateur de Positive Education. Comme dans d’autres villes, au même moment, une bande d’amis se fédère autour d’un projet : défendre les musiques qu’ils aiment, là où cela manquait. “On s’est dit qu’on allait inviter les artistes qu’on a envie d’entendre à Marseille, et qu’on ne nous proposait pas”, se souvient Julie Raineri de Metaphore. BFDM en porte le nom (Brothers From Different Mothers) et a commencé dans le même esprit de fratrie. “Avec mon pote Billy, on organisait des soirées dans un petit rade à Aix-en-Provence”, avant que Judaah ne déménage à Lyon et ne rencontre les Pilotwings, avec qui il va sortir le premier disque du label, lancé sans savoir “où [il] allait ou ce qu’[il] allait sortir ensuite”. “Sans aucune ligne directrice” peut-être, mais porté par un besoin de faire autre chose. Un son de cloche à Saint-Étienne (“On était à la fin de toute cette vibe minimale chiante, qui a tué la rave”), ou à Marseille où “il n’y avait que de la tech house, ce n’était pas facile”.

Tous ces projets ont fleuri comme des contre-propositions, des contre-feux à une esthétique décriée, pour soutenir une création naissante et développer leur propre famille musicale, représentée par les Pilotwings, J-Zbel, les Fils de Jacob, Deuil1500, Simo Cell, et tous les autres projets prometteurs qu’il reste à dévoiler pour Metaphore et Positive Education, dont les futurs labels respectifs seront uniquement dédiés aux artistes de leur ville. Un long processus découlant du parti pris d’exigence, de “faire primer l’artistique”, plutôt que de céder au déjà-vu et au format balisé des musiques de club. Car c’est bien là le fond du propos. Derrière les raves, les soirées dans des lieux improbables ou les festivals intenses, une différence tenue : l’idée de toujours faire primer la musique sur la fête.

L’ESTHÉTIQUE DE LA GALÈRE

Metaphore

“On nous a beaucoup fermé de portes, on nous a beaucoup débranché le son… On a un peu fait comme ça pendant des années”, explique Julie Raineri. “J’avais l’impression d’être tout seul”, confirme Antoine Hernandez du Positive Education. Pour tous, les débuts ont été longs et laborieux, difficile de défendre une musique nouvelle là où les lieux ne sont pas prêts à l’accueillir, le public pas toujours au rendez-vous… Mais la traversée du désert se transforme vite en réseau de la galère, où les uns s’entraident, se reconnaissent et s’invitent à jouer pour que, vite, les scènes entrent en connivence – “Ça s’est fait tout seul”, affirment-ils tous. Pendant des années, les soirées bancales, les brouilles avec des promoteurs, les lieux inadaptés (pour un résultat parfois heureux, comme le Boxboys à Lyon, club échangiste investi par l’équipe BFDM, qui fit les belles heures de la scène locale). La détermination paie un jour, sans crier gare, comme la lumière au bout d’un long tunnel : “On a fait Paula Temple ici, on attendait 200 personnes et on en a eu 700”, se souvient Charles Di Falco. Des bonnes surprises et des occasions : la veille de cette date, Paula Temple jouait à Marseille, invitée par… Metaphore. Le motif d’un premier contact, qui en suivra un autre, puis des invitations de Marseille à Saint-Étienne. Un réseau d’entente musicale : CLFT Militia (collectif techno lyonnais) se voit invité à jouer à Marseille, et conseille à l’équipe Metaphore de jeter une oreille à BFDM, pendant que les Pilotwings rencontrent Charles di Falco et Antoine Hernandez… Et toujours l’esthétique DIY qui prévaut, témoin d’une authenticité héritée des débuts difficiles. L’ambition initiale toujours intacte ou l’émulation aidant, chacun développe ses projets. Il y a deux ans, Positive Education lance son festival (“édition 0”, pour l’édition test). Plus récemment, accablé par le manque d’opportunité et de lieu accueillant, Metaphore trouve une solution à sa manière (“À Marseille on ne nous donne pas toujours le droit, donc on prend souvent le gauche”) avec son propre lieu et les soirées bimensuelles Meta Zone Libre, qui affichent toujours complet.

REDESSINER LA CARTE FRANÇAISE

Si aujourd’hui BFDM n’est plus vraiment basé à Lyon, l’effervescence musicale qu’a connue la ville a contribué à développer le label, conjointement à d’autres entités : Macadam Mambo, Groovedge, CLFT Militia, Lyl radio. Cette scène a nourri l’ADN du label monté par Judaah, que les projets professionnels ont aujourd’hui amené à Marseille. La ville est tout nouvellement attirante et sa scène électronique bourgeonnante. Depuis des années, le collectif Metaphore se bat pour la défendre ou plutôt pour la faire exister. Simplement “parce que c’était nécessaire pour [lui], parce qu’[il] n’avait pas besoin ni envie de faire ça ailleurs”. Dans un pays aussi centralisé que la France, cela relève presque du projet politique. Difficile de parler d’un antiparisianisme primaire cependant, mais plutôt d’un ancrage naturel, qui a terme fait bouger les lignes. “Ce n’est pas du tout volontaire. Mais c’est cool parce que pendant longtemps, dès que je voulais aller voir tel concert, ou que j’étais intéressé par telle scène, c’était à Paris…” (Simon Felce, Positive Education). Si les blagues footballistiques vont bon train, ce réseau musical a tout autant ses relais à Paris, et le Positive Education s’est lancé en octobre dernier dans une édition parisienne de son festival, “toujours inférieure à l’édition de Saint-Étienne”, à La Station – Gare Des Mines, là où les artistes de Metaphore ou BFDM ont régulièrement joué. Dans un futur proche, les labels de Positive Education et Metaphore montreront à nouveau l’importance des liens qui nouent ces familles et qui redonnent de la valeur à l’idée de collectif. Tout ça avec la volonté assumée d’inventer les nouveaux creusets de l’avant-garde.

REDÉFINIR LES CARTES MUSICALES

Positive Education

Car il s’agit bien de cela, comme ils s’appliquent à le répéter : la musique, d’abord. Un projet commencé “en réaction à”, mais qui va vite construire ses propres codes, pour définir la musique de club de demain, transversale, moins monolithique, curieuse et fière de ses influences. Une musique qui regarde au loin, et qui avance éclairée par quelques modèles fédérateurs en commun, des phares à chercher plus loin sur la carte de la musique contemporaine : le label L.I.E.S., et son boss Ron Morelli, qui fait certainement figure de trait d’union, le son UK bass via le label Livity Sound (invité au festival Positive Education l’an dernier, et dont l’artiste Simo Cell signe également des sorties chez BFDM), ou plus récemment la scène de Düsseldorf, qui à sa manière repousse également les limites de la dance. Une capacité à intégrer des énergies différentes et nouvelles, qui est aussi caractéristique de ces scènes que de notre nouvelle garde française : le projet Positive Education est clairement sous l’influence industrielle de la ville de Saint-Étienne, et de la découverte de la scène punk locale par Charles Di Falco. C’est la même musique punk qui est citée comme influence première de Shlagga, qui forme avec Israfil le duo deuil1500, tous les deux à la ville, étudiants au conservatoire de Marseille. Si Judaah peine à définir l’esthétique de son label autrement que “club”, il prépare en ce moment un sous-label dédié à ses premières amours musicales, le dub et le dancehall, avec lesquelles il a commencé le deejaying. Des projets forts de leur métissage, et des voyages toujours en cours, mais déjà à bon port : le 1er novembre, le label BFDM fêtait ses trois ans avec une sortie en collaboration avec L.I.E.S, pendant que Metaphore accueillait tout récemment Ron Morelli. Positive Education prépare les premières sorties de son label pour les mois à venir – comme Metaphore. Des projets qu’on attend uniques et qui continueront à dessiner le futur de la musique.

(Benjamin Leclerc)

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