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The Empire Line @ Positive Education 2018. Crédit : Malo Lacroix
19 novembre 2018

Positive Education #3 : Mega TE(u)F à Saint-Etienne

par Olivier Pellerin

Il existe une théorie parentale qui s’appelle la Discipline Positive. Elle est notamment basée sur les TEF, les Temps d’Echanges en Famille. Je ne pouvais pas laisser passer ça : je suis partis tester les TEF de Positive Education !

Après avoir bêtement raté Positive Education l’année dernière, me voilà à la quatrième édition du festival de Saint-Etienne, dont le monde entier parle. La preuve ? Resident Advisor le classe systématiquement dans son top 10 mondial des festivals de novembre. En vrai, c’est aussi pour moi une tentative de réparer une première visite ratée avec la ville. En 2013, j’étais venu faire du direct avec Le Mouv’, la radio qui m’employait, et la rencontre avec la ville n’avait pas eu lieu : ciel plombé, organisation épique, ambiance lourde… J’étais assez gêné de rester sur ce ressenti et de la réduire aux Verts, aux poteaux carrés et à son rôle de parent pauvre du voisin lyonnais. Quitte à réussir ces retrouvailles, je décide de m’immerger en covoiturage (merci le groupe Facebook « Hébergement/Transport Positive Education Festival ») et en auberge de jeunesse. Vendredi midi (je n’aurai malheureusement pas pu assister à la première nuit… Ahhh, Lena Wilikens, Simo Cell, Judaah, Laurent Garnier, je regrette vos sets) quatre Lillois.es me chopent Porte de Bagnolet et m’incluent dans leur road-trip. Ils sont adorables et la route file toute seule, même si elle est longue jusqu’à la préfecture de la Loire.

Un petit coup de tram et je rejoins l’auberge de jeunesse, cosy et parfaite, à deux minutes à pied du festival. Je dîne au Concept, le restau établi dans la Cité du design qui abrite le festival, avec des potes qui me présentent Voiski. On est absolument seuls dans le restaurant : « ce n’est pas notre clientèle » nous glisse la serveuse quand on lui signale le festival à 50m de là. Pour nous pourtant, c’est l’heure d’y aller. Le chef de la sécu accueille le public en blouson de l’ESF floqué Courchevel, tout en sourires. Charles, l’un des deux boss du festival, nous expliquera qu’à l’image de tout ce qui constitue l’événement, le type est exceptionnel, connaissant les spectateurs quasi par leur prénom. On est bien.

La Cité du Design, « brute mais pas froide ». Crédit : Malo Lacroix

Le lieu est utilisé dans son ensemble, brut mais pas froid. On sent l’ancienneté, vitres d’usine et pierres au sol mangées par endroits par la verdure, qui jouit de l’inoccupation du lieu à l’année. Le public vaque entre trois scènes, reliées par une vaste cour où trônent deux food trucks, à côté du chill out en palettes en fond de scène 1. Je choppe des tokens au bar, le demi est 3€ et la pinte à 6.25€, on vu a pire. Le temps de prendre mes marques et j’attaque scène 3 par Toresch, soit Tolouse Low Trax + Vicky Wehrmeister + Jan Wagner, sur un live tech dub à voix et percus tribales inégal, mais qui plante bien scène 3 l’ambiance Salon des Amateurs, le petit club de Düsseldorf actuellement fermé pour travaux et qui ne rouvrira peut-être pas, inquiétant son noyau dur formé de Tolouse Low Trax, Lena Wilikens ou Vladimir Ivkovic, tous présents au festival. Dans le public se trouve la productrice Myako, venue en spectatrice, et Krikor s’abandonne doucement sur le set au centre de la piste. Il remplace au pied levé Ron Morelli, malade et mortifié de l’être. C’est un peu la colo de vacances ici, les artistes vont s’écouter et discutent beaucoup. Si ce festival est un lycée autogéré (Positive Eduction, vous l’avez ?), le backstage c’est un peu la salle des profs, hyper bienveillante.

Le public est pointu, autant féminin que masculin, plutôt jeune mais pas que, détendu et attentif. Scène 2, l’américaine Volvox joue efficace. C’est un peu l’aérobic à la new-yorkaise. Cette salle sera la plus sportive du week-end, c’est ici qu’on vient transpirer. Pendant ce temps scène 1, Marco Shuttle, l’Italien de Londres, envoie une techno technique, très berlinoise, préparant bien la salle au set final de Dettmann. Cette scène est clairement la plus belle, pendrillonnée en boîte noire de velours, écrin parfait pour ses lights hallucinantes, je vous en reparlerai demain. Le festival se remplit. C’est fluide et dehors on discute à bâtons rompus, d’autant qu’il fera étonnamment bon toute la nuit. Je retrouve Voiski, tout détendu avant son set à 1h30. Tellement détendu que je lui parle du joli report que Positive Education a fait de son édition 2017 : AZF, Manu le Malin et Judaah (dont on note à nouveau la présence en 2018, si si la famille) s’y dévoilent intimement, Manu le Malin avouant par exemple son trac.

Voiski n’y est lui pas sujet. Il m’explique qu’au moment de monter sur scène, il est dans sa bulle : « j’essaie de faire mon truc au mieux, je suis physiquement assez expressif et je me dis que si ça me plait, ça peut avoir des chances de plaire au public. Mais je ne le vois pas, surtout en festival où avec la distance, le public devient une abstraction. »

En effet, dès le début de son set scène 1, le garçon placide se transforme en DJ déchaîné, qui cueille le public dès son premier track aux flûtes andines pour dérouler une techno aussi chaleureuse qu’efficace. Il sautille d’une platine à l’autre, tel le standardiste à roulette du Playtime de Jacques Tati. Sur la scène 2, Gesloten Cirkel envoie une tech bien acid sous son bonnet. Le bémol de cette scène sera le son métallique aigu, qui ne rend pas toujours justice aux sets. Volvox revient dans la salle où elle a précédé Gesloten, check le son en retirant ses bouchons d’oreille, dubitative. Ce qui n’empêche pas des spectateurs de la féliciter et de se selfier avec elle. Scène 3, l’Amstellodamois Interstellar Funk joue bien dans l’ambiance de la salle, la plus lente, celle des basses lourdes et du dub. Dettman prend la suite de Voiski et fait du Dettmann sans surprise. En 2, Krikor supplée avec brio Ron Morelli, et apporte sa pierre à l’édifice acid qui se construit ici à grand renfort de TB303, comme en miroir au graphisme du festival, qui fait l’unanimité. Il tape tout en envoyant percus et voix hyper dansantes. En 3, Vladimir Ivkovic force un brin sa nature et envoie du lourd, horaire oblige, tutoyant aussi l’acid. C’est Salon, mais pas amateur du tout. Les derniers intervenants scène 2, les marseillais Deuil1500, grattent mes tympans sur un live machines + voix caverneuse. C’est du Volition Immanent version slow, comme si Parrish Smith s’était mis au slim et à l’iroquoise. Je retrouve mes lillois sûrs. Eux aussi ont kiffé leur nuit, et sont plus satisfaits du set de Dettmann que moi… y’a débat.

C’est là que je fais une erreur : je ne vais pas à l’after, qui se déroule dans le bar pro. Et à midi, j’ai la forme. C’est malin, je vais faire quoi jusqu’à ce soir ?! Comme il fait beau, je m’aventure dans Sainté. Je déjeune dans le vieux centre, puis le Musée d’Art Moderne et Contemporain étant fermé pour travaux, je me rabats sur celui d’Art et d’Industrie. Seconde erreur, j’aurais dû visiter le Musée de la Mine, dont j’apprendrai plus tard qu’il est lié à Positive Education. Le dernier étage est une véritable armurerie. En fait, la Cité du Design où a lieu le festival, c’est l’ancienne Manufacture d’Armes de Sainté. La ville est belle et se coule entre deux versants sous le soleil d’automne. Tout le monde dormant du sommeil des justes, je continue ma promenade jusqu’au Jardin Botanique, je check l’Opéra, bâtiment de béton de 1969 façon Le Corbusier, puis sur un coup de fatigue, je décide de rentrer faire une sieste. Mais chemin faisant, je tombe sur Le Camion Rouge, ciné qui joue Bohemian Rhapsody et je ne résiste pas. C’est ma 3ème erreur : pendant que je suis en train de chialer sur la vie de Freddie, je rate la team Geoffroy Guichard, qui assistera à la victoire de Saint-Etienne sur Reims (en Ligue 1 de foot, pour ceux qui ne suivent pas)… on peut pas tout faire !

Pour le coup j’arrive tôt sur site. La famille Positive Education ouvre le bal : Vincent Glandier chauffe la scène 2 sur une ambient ciselée ; Nuit débute sur une tech qui claque sec scène 1, déjà magnifique dans des rouges de velours ; DJ Gratte Ciel et Ace Tone mixent éclectique scène 3. J’en profite pour rejoindre backstage les boss Antoine et Charles, aka les Fils de Jacob. Ils me racontent leur épopée sur le canap dévolu à Manu le Malin, pas encore là. Les deux Stéphanois font de la musique depuis une vingtaine d’année, organisent des soirées depuis sept ans et Positive Education depuis 2015. Un des tournants a été le succès de la soirée avec Jeff Mills au Fil, la SMAC locale qui a un temps accueilli le festival, en février 2014 (Antoine se rappelle de toutes les dates). La mairie qui les voit d’un bon œil leur confie le Musée de la Mine, où ils programment Kangding Ray et Esplendor Geométrico. Un succès qui les dépasse tellement que ça déborde du double de la capacité. Malgré ça, les relations sont au beau fixe entre le festival et la mairie, qui lui ouvre les portes la Manufacture, ce qui permet de pérenniser le bébé : 2018 est la première année rentable. L’édition 2019 s’étendra au dimanche et d’autres surprises sont sur le feu. Comment voient-ils l’avenir ? « La programmation ne nous échappera jamais, la DA c’est nous. Mais l’année prochaine on fera attention à respecter la parité hommes-femmes dans la prog ». Ils devancent eux-mêmes la question que j’ai entendue plusieurs fois posée. Ils m’expliquent programmer sur la seule foi de la musique, dont ils ne savent bien souvent pas quel être humain se cache derrière. Pour preuve, ils ont côtoyé Voiski pendant deux ans sans savoir que c’était lui, jusqu’à ce qu’ils le programment cette année ! Vu le sans faute du festival à part ce point qu’ils relèvent eux-mêmes, donnons-nous rendez-vous l’année prochaine.

Dopplereffekt. Crédit : Raphael Delorme.

Je retourne en salles. Abelle joue un bon set acid scène 2, Automat break une techno dépouillée mais ronde en 1 et Andre Pahl parfait l’ambiance de la scène 3 sur un set aux accents acid-orientaux. On dirait un Muslimgauze apaisé qui aurait signé sur Disco Halal. Le Grec Anatolian Weapons poursuivra le bail oriental en plus low tech. La sélection est tellement bonne que je comprends enfin ce que je ressens depuis hier : je n’ai pas du tout l’impression d’être en festival, mais de danser dans mon salon. Avec juste des gens que je ne connais pas, tous très cool ! Scène 1, Dopplereffekt démontre sa maîtrise scientifique sur fond de vidéos d’équations et de tableau de Mendeleïev… « Ça y’est, c’est Drexciya ! » me souffle-t-on. The Empire Line hurle scène 2 : « It’s fucking hardcore music now! » On est border pogo, c’est plein à craquer sur une belle énergie keupon : on reconnaît bien là ton héritage Sainté ! Giant Swan y poursuit hardcore mais plus noise et Soft War, aka AZF et December, fait jumper même les plus lourdes des rangers. L’année dernière, AZF avait déjà joué avant Manu le Malin, qui clôt ce soir la scène 2 en beauté.

Scène 1, Niños du Brasil mettent le feu. C’est la jungle tropicale, les lights semblent faire surgir des yeux rouges derrière le duo. Je n’y tiens plus, je demande à l’ingé lumières comment il parvient à faire autant de trucs avec seulement douze spots : « ce sont des K20, totalement matriçables, du coup je peux faire tourner toute la corolle du faisceau ». C’est presque gênant tellement c’est poétique ! Le gars se nomme Joshua et il est clairement un des artistes qui aura magnifié ce Positive Education. Maenad Veyl recentre la salle sur une tech bien tech. Puis Paula Temple vient faire ses amitiés au festival en pliant la salle en toute maestria. « On a programmé une de ses premières dates européennes, le 3 mai 2014. Elle l’a laissée parmi ses photos de profil facebook, ça prouve que ça compte pour elle », nous indique Antoine.

Alexis Le Tan et Phuong Dan se chargent de clore la scène 3 tout en techno d’orfèvres, dans une ambiance qui fleure désormais plus Hambourg et son Golden Pudel que le Salon de Düsseldorf… Enfin bref, ça sonne Positive Education ! C’est la BO parfaite pour tirer ma révérence, non sans avoir acheté le t-shirt du festival et le 1er vinyl de Worst, le label maison. Encore une fois, je zappe l’after, ou Antoine et Charles clôtureront leur marathon par un set de 2h des Fils de Jacob ! Le lendemain, il fait grand soleil quand je contourne le vert cimetière de Crêt de Roc pour aller attraper mon train retour Gare de Châteaucreux. Je rentre ravi de constater, en posant ce Worst 01 sur ma platine, qu’il fait partie des vinyles que j’adore parce qu’on peut les jouer en 45 comme en 33 tours. Merci Sainté, on s’est enfin trouvés !

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