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© Bartosch Salmanski
23 novembre 2021

Portrait : Cheap House, nouveaux protégés d’Arnaud Rebotini

par Lolita Mang

Improvisation : voilà le maître mot du quatuor strasbourgeois Cheap House. En tout cas, ces musiciens couvés par Arnaud Rebotini pratiquent la techno avec des instruments organiques et forment comme une jonction entre la french touch et le swing de Charles Mingus. Pour prouver que le jazz et la house créent la même transpiration ? Vérification.

Article issu du supplément Trans Musicales 2021 (du 1 au 5 décembre) de Society.

J’ai quand même dû enlever une cymbale. Tu peux l’écrire et le souligner. Si c’est moins bien, ce sera à cause de ça.” Il fait déjà nuit quand Matthieu, le batteur du groupe Cheap House, confie les sacrifices qu’il a dû faire pour pouvoir jouer sur la scène du Pop Up du Label. Scène de la pop indé française par excellence, non loin de la place de la Bastille, elle est taillée pour les petites formations, au creux d’une salle qui peut accueillir jusqu’à 170 personnes. En bref, un petit défi pour Nils, Paul, Théo et Matthieu, qui transportent leurs propres instruments, tous plus volumineux les uns que les autres, manquant presque de déborder en dehors de la scène. “Au pire, on s’invitera dans le public” plaisante Paul, le saxophoniste, alors que la basse de Théo frôle le mur d’un peu trop près. Au pire, oui. À peine sortis de trois jours de résidence, les Strasbourgeois oscillent entre une fatigue physique et psychologique et une excitation presque enfantine à l’idée de jouer à Paris –quasiment pour la toute première fois. Il y a bien eu une date au Supersonic, localisé à 500 mètres, mais celle-ci semble si lointaine qu’on pourrait ne pas la mentionner. À mesure que la soirée avance, le public fourmille, s’impatiente, vient grossir les rangs face à la scène minuscule. Il se murmure même que le producteur Arnaud Rebotini pourrait passer faire un coucou, lui qui a découvert le groupe presque avant tout le monde –au point d’entrer en studio avec eux, et de les accompagner sur scène lors de la prochaine édition des Trans Musicales de Rennes. On se demanderait presque d’où vient cet engouement…

 

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Pionniers jazz et french touch

Contrairement à beaucoup de jeunes groupes, l’histoire de Cheap House ne débute pas sur les bancs du lycée. Ni même sur ceux du Conservatoire, qu’ils ont tous les quatre fréquenté. Au cœur du projet, il y a un collectif, Omezis, et une envie : l’improvisation. Depuis 2015, Nils, Théo, Matthieu et Paul se croisent et se re-croisent, dans différents groupes et formations, au cours des soirées organisées par ce collectif qu’ils ont eux-mêmes fondé. Le lieu, c’est presque toujours le même: le Local, bar microscopique, niché au cœur du quartier étudiant de Strasbourg, pouvant accueillir jusqu’à 70 personnes, “grand max”. Pendant trois ans, les garçons cumulent des projets qui semblent aujourd’hui bien éloignés de Cheap House. “Esthétiquement, ce qu’on faisait avant n’avait rien à voir, replace Théo. On avait d’autres projets dans Omezis, certains plus punk, d’autres plus tournés vers l’ambient. L’important pour nous, c’est l’improvisation. Faire du jazz une musique vivante et actuelle.” Il faut donc attendre fin 2018 pour que Cheap House voit le jour. À l’heure d’une nouvelle soirée du collectif, un groupe manque à l’appel. Ni une ni deux, les Strasbourgeois se réunissent et forment le quatuor qui depuis, ne s’est plus quitté. Un objectif : faire de la musique électronique avec des instruments. Une philosophie : celle de l’expérimentation, qui met l’instant présent au cœur du projet. Une volonté qui a séduit Pierre Favrez, l’ingénieur du son qui les accompagne en studio depuis le premier disque. Ce dernier s’est spécialisé dans les groupes qui font le pari de mêler clubbing et musique organique, une scène qu’il qualifie volontiers d’infinitésimale en France: “Ça a commencé avec Cabaret Contemporain, que j’accompagne depuis longtemps, mais Cheap House a croisé ça avec la nouvelle scène jazz de Londres.” 

« Le jazz peut vite devenir un entre-soi qui a perdu son rapport au réel, au social. »

© Bartosch Salmanski

Après des années à étudier des courants de jazz traditionnels au Conservatoire, les musiciens n’avaient plus qu’une envie: replacer l’improvisation dans quelque chose qui aurait du sens pour eux. “Quand j’ai monté Omezis avec un copain ingé son (Thomas, qui accompagne Cheap House en live), rejoue Matthieu, j’ai remarqué que le jazz peut vite devenir un entre-soi…” Avant que Paul ne complète : “… un peu hors-sol, qui a perdu son rapport au réel, au social.” Première leçon : le jazz est une musique vivante et en constante évolution, nourrie des courants qui lui sont contemporains. À savoir : les musiques latines, les musiques africaines, le rock, le hiphop… jusqu’à la techno, chère aux enfants des années 1990 qui forment Cheap House, biberonnés à la French Touch. Car une hantise anime le quatuor : se retrouver déconnectés des nouvelles musiques qui s’écoutent comme des nouvelles manières de jouer. D’où l’importance des soirées Omezis, dont le prix est libre et les programmations variées, afin de continuer à échanger avec un public mixte. Comme un clin d’œil aux premiers clubs de jazz, époque Charles Mingus, dont les enregistrements témoignent de réels échanges entre le public et les musiciens. “On emprunte ça aux pionniers du jazz, mais aussi à la culture club. Le DJ sent le public et le public lui donne des informations pour que la soirée se passe bien”, précise Matthieu. Paul ajoute même comme une théorie: “Le but c’est que ça circule: on donne, et l’énergie nous est redonnée. Il y a une alchimie impalpable.” 

Au moins quinze synthés

Dès lors, pourquoi ne pas tenter d’élargir le cercle d’énergie à l’échelle d’un hall géant du Parc des Expos, théâtre assez propice aux épiphanies sonores et nocturnes, bien connu des habitués des Trans Musicales de Rennes? Dans la nuit du 4 décembre prochain, 9000 personnes pourraient se connecter à Cheap House, et rien que d’imaginer la transe collective à venir, Théo hallucine: “On a regardé des vidéos sur YouTube et c’est assez impressionnant. La scène est à elle-même plus grande que la salle dans laquelle on joue ce soir.” Et puis les Strasbourgeois accueilleront aussi, en fin de live, un nouveau membre en la personne d’Arnaud Rebotini. “Il ramènera certainement deux ou trois synthés… Et je minimise un peu les dégâts, s’amuse l’un des musiciens. On va essayer de faire en sorte qu’il en ramène moins de quinze!” Un pic de chaleur en plein mois de décembre ? En réalité, la simple mise en application des manifestes signés Eddie Amador –“House music. It’s a spiritual thing. A body thing. A soul thing”– et Albert Ayler –“Music is the healing force of the universe”. Mathieu fixe le plafond du Pop Up du Label et formule sa théorie sur ce moment où l’énergie collective venue du dessous ruisselle à grosses gouttes jusqu’au-dessus. “Un concert de Cheap House réussi, c’est quand à la fin, tout le monde a autant transpiré. Nous comme le public.

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