Pete The Monkey 2019 : la force tranquille
Il nous avait prévenus. Toujours se méfier des homonymes. Mais ses cris perçants et ses grands gestes simiesques n’y ont rien fait. Nous avons foncé tête baissée dans l’écueil le plus évident. C’est pourtant ce que Pete nous hurlait : il existe deux communes qui portent le nom de St-Aubin-sur-Mer en Normandie. La première se situe dans le Calvados et borde son chef-lieu, Caen. La seconde est un peu moins facile d’accès : il faudra sillonner plusieurs routes de campagnes, couper à travers champs et voir avec impuissance la barre de réseau de son téléphone s’amenuiser, avant d’entrer dans un charmant village couvert par les arbres et ouvert sur la côte. Pas étonnant donc, que lorsque qu’on compose le nom dans une application de navigation, le premier St-Aubin soit automatiquement sélectionné. Mauvaise pioche. Après l’incompréhension (« C’est quand même étrange que rien ne soit indiqué »), le déni (« Nan mais je t’assure que c’est le bon, regarde y’a même d’autres festivaliers paumés »), viennent la rage et la fatalité de devoir faire deux bonnes heures de conduite supplémentaires pour rejoindre la Seine Maritime et enfin voir ce que Pete The Monkey a dans le ventre.
Conçu il y a huit ans dans cette bourgade balnéaire où la plage côtoie des champs remplis de paisibles bovins, le festival installe chaque année ses stands et plante ses tipis à l’ombre des arbres, garantissant un riche séjour pour le visiteur urbain. Car Pete n’a pas besoin d’une programmation pachydermique pour écouler ses places ; l’expérience pourrait presque se suffire à elle-même. L’ambiance est unique et enchanteresse, entre animations pour petits et grands enfants, karaokés, bonne bouffe et magnifiques décorations. Mais elle est surtout propulsée par des artistes aussi intéressants que variés, des musiques électroniques au rock indé en passant par le hip-hop et la chanson française, et de belles valeurs écolo visant notamment à créer une réserve de singes en Bolivie. Récit de notre périple en jungle normande.
Suite à notre petite mésaventure routière donc, nous foulons pour la première fois les fameuses terres festivalières à une heure du matin. Heureusement que la nuit est longue pour Pete ; à peine le temps de traverser un long couloir sablonneux, baignant dans la fumée et les touches de lumières colorées, que nous nous retrouvons en face de KOKOKO!, tête d’affiche de ce jeudi soir. Le collectif franco-congolais est fidèle à lui-même : combinaisons jaunes en guise d’uniforme, énergie sauvage, synthés étranges et granuleux, polyrythmes et percussions DIY sont au rendez-vous. Mais une fois sur scène, les expérimentations parfois cryptiques des musiciens se font plus dociles et se mettent au service du groove, voire de la transe. Parfois déroutants en version studio, les hululements mâtinés aux effets de voix en tous genres deviennent des gimmicks très efficaces, repris en cœur par la foule. À cela s’ajoutent une solide charpente de beats électroniques dansants et syncopés, et surtout un charisme ravageur.
Le lendemain, après quelques moules-frites et un bon bain de mer, nous nous arrangeons pour arriver au début des festivités du vendredi, entamées par les frangins franco-américains de Faux Real. Nichés sur la petite scène de l’amphi, les prénommés Virgile et Elliott hypnotisent la foule en les prenant de front, s’avançant sous les arbres pour un show halluciné. S’enchaînent les échanges de micro et les solos de flûte traversière, sur fond de pop détraquée ; on aurait pu facilement penser que les garçons étaient sous l’emprise de quelque substance psychoactive. Eh bien même pas : deux minutes après le concert, ils réagissent de manière parfaitement lucide à la supposée ressemblance d’Elliott avec Mick Jagger : « Nan mais c’est surtout les vêtements et la coupe de cheveux. Remarque, j’ai regardé les concours de sosie de Jagger, et les mecs qui gagnent ne lui ressemblent absolument pas… » En cas de coup dur, la reconversion est donc toujours possible…
Après une visite du site à la lumière du jour, on retrouve un duo qu’on aime beaucoup : Mauvais Œil. Sarah et Alexis, accompagnés par un bassiste à la coiffure assortie, récitent leur tout récent répertoire, qui sortira au mois de septembre sous la forme d’un premier EP. Les danses orientales se mêlent à des chansons tantôt en français, tantôt en arabe, ainsi qu’à de beaux interludes de synthés et de cordes arabisantes. La recette instrumentale est assez similaire chez Derya Yildirim & Grup Şimşek : la jeune femme germano-turque joue du saz (luth au long manche) et chante, associant les classiques anatoliens au rock psychédélique. Un beau métissage, porté par un groupe de musiciens venus de toute l’Europe de l’Ouest. Pour couper cet instant ottoman, on avait à peine eu le temps de voir le morceau clôturant le concert de Michelle Blades. La rockeuse panaméenne basée à Paris était venue défendre son nouvel album Visitor : elle achève sa prestation avec un morceau progressif et noisy. Mais finies les guitares électriques : place à l’électronique. Et même si ce n’est pas la plus grande, c’est bien la scène Jibou qui fut reine de la soirée. Tout d’abord avec une rappeuse londonnienne. Dans une ambiance explosive, Nadia Rose se lance dans une démonstration de grime et de dancehall tandis que sa DJ assure les back et les sons d’ambiances (avec une main un peu lourde à certains moments). Il nous reste un peu de marge pour apercevoir le court et silencieux DJ set de Fishbach (la scène Amphi proposait en effet des sets et concerts sonorisés uniquement via des casques sans-fil individuels, créant une expérience inédite et très amusante) puis nous plongeons dans celui de Folamour, toujours festif et fruité. La nuit se finit en apothéose avec la bande de Pain Surprises : électro radicale et jouissive pour tout le monde.
Le dernier jour de Pete est fidèle à l’ensemble du festival : bon enfant et surprenant. Il est tout de même très agréable de faire une petite sieste électronique au son cotonneux du duo Domenique Dumont, se réveiller pour assister à la parade – tambours et costumes échassiers en première ligne -, puis au concert de Papooz, qui a bravé le stress palpable, les problèmes techniques et les marées humaines pour proposer un show à la hauteur du talent de ses membres. On a également apprécié tromper la nuit sur la rumba entêtante de Kasaï Masaï avant d’entendre le groupe norvégien Kakkmaddafakka entonner une reprise rock de « Numa Numa Yei » d’Ozone ; pas très fin mais bougrement efficace. Sans oublier les découvertes, de la mixture rap/r’n’b/chanson française signée Moussa au rap langoureux de Fils Cara ; et les valeurs sûres, avec un Camion Bazar toujours fidèle au poste.
Ainsi s’est achevée notre aventure, bercée par les basses et la mer, dorlotée par les arbres. À Saint-Aubin-sur-Mer, les choses se passent tranquillement tout en restant excitantes ; Pete The Monkey nous offre un univers onirique et très méticuleux – mention spéciale à l’immense orang-outan au pelage d’herbe qui somnolait au centre du site -, des concerts de qualité partagés entre artistes établis de la scène indé et nouvelles têtes, le tout dans un cadre absolument parfait. On se reverra, Pete.
Meilleur moment : les interminables solos de soukous du guitariste de Kasaï Masaï nous ont mis en transe
Pire moment : quelle idée de donner le même nom à deux villes de la même région…