Øya Festival : la Norvège à l’honneur
Techno allemande, rock anglais, rap belge, gabber hollandais… Au petit jeu de l’Erasmus, chaque pays européen pourrait se targuer d’une spécialité musicale. Mais vu de France, difficile de vraiment placer la Norvège sur la carte. Il y a bien le PØLAR, joli rendez-vous annuel dédié aux musiques venues du froid, qu’elles soient finlandaises, islandaise, danoises, suédoises et, donc, norvégiennes. Mais de l’aveu même des professionnels d’Oslo, notre pays de Gaulois n’est pas une priorité pour l’export, les labels du coin préférant se consacrer aux marchés allemands ou britanniques. Et pourtant : en faisant un (long) tour à l’Øya Festival, énorme rendez-vous osloïte ayant fêté son 20ème anniversaire au début du mois d’août, force est de constater qu’on devrait un peu plus se pencher sur cette scène de vikings. Et on ne parle pas (que) de black metal. Car en sus de têtes d’affiche impressionnantes (James Blake, The Cure, Robyn, Tame Impala, Erykah Badu, Connan Mockasin, IDLES et Earl Sweatshirt, pour ne citer qu’eux, sur quatre jours… Qui dit mieux?), le festival a intelligemment mis l’accent sur sa scène locale, histoire de faire découvrir aux nombreux invités internationaux ce que la Norvège avait de meilleur à offrir. Morceaux choisis.
André Bratten
C’est sans aucun doute celui qui a le plus squatté nos pages depuis le début de sa carrière entamée en 2013 avec l’album Be A Man You Ant. Et on comprend pourquoi après avoir pu profiter du live d’André Bratten au beau milieu de l’après-midi (drôle de choix d’horaires, on y reviendra) sous le grand chapiteau Sirkus du festival : départ ambient, visuels de forêts nordiques, et, petit à petit, la tension qui monte, qui gronde, pour frôler la techno sans jamais vraiment lâcher les chiens. Subtile mais sans concession, y compris pour nos petites oreilles – la Norvège n’ayant visiblement pas les mêmes restrictions sur les décibels idiotement imposées cette année aux festivals et clubs français.
Fakethias
Dans le Clubben (pas besoin de traduction) du festival, toujours en plein milieu d’aprem, un mec en short et rangers danse comme s’il était au Berghain un samedi à 4 heures du mat’. Pas trop le choix : en Norvège, tout ferme plus tôt qu’ici, et les festivaliers peuvent profiter du Øya de 13 à 23 heures 30, avant d’éventuellement filer à l’un des nombreux afters en club… Jusqu’à 3 heures 30 du matin. Ensuite, c’est l’extinction des feux, et hors de question d’avoir l’air trop bourré dans un bar, sinon c’est la porte – si on se sent très safe à Oslo, c’est aussi parce que ça ne déconne pas avec le règlement. Ce qui n’empêche pas les quelques 100 000 participants sur quatre jours de danser comme des petits fous au Oya. Donc il a beau être 16 heures quand Fakethias prend les platines du mini club planté en haut d’une des collines du Tøyen Park, c’est une ambiance de fin de nuit enfumée qui s’installe, pour un set titillant la techno hardcore sans une once de culpabilité. Et c’était drôlement bien fait.
Bendik HK
Certainement LE coup de cœur du festival, alors qu’il s’agissait seulement de son premier « gros » live en solo – Bendik HK n’est cependant pas un perdreau de l’année, puisqu’il accompagne depuis quelques temps en concert le grand Pantha du Prince. Mais quel live ! D’abord caché sous une espèce de chapeau-moustiquaire, avec un début de concert assez expérimental, il lâchera vite le costume et se fera plus facile à écouter, entre des productions rappelant parfois les voisins scandinaves The Knife/Fever Ray, un morceau planant avec chanteur dont on veut absolument l’ID, de petites touches UK à la Bicep et une foule de rythmes breakés. Ça flirte avec la drum tendance liquid, ça groove comme c’est pas permis, et on ne sait plus si l’on doit danser sans lendemain ou écouter attentivement l’orfèvrerie. A revoir encore et encore.
Kommode
De la pop ensoleillée : on a beau être bien au nord, elle est là la spécialité norvégienne. Car si les trois artistes cités précédemment tendent clairement vers les musiques électroniques, c’est la pop, la pop, la pop, et à la rigueur l’électro-pop qui squattent les charts locaux. Avec Kommode, elle se pare d’accents à la Parcels, et tout le monde s’est collé un petit sourire serein en écoutant le groupe, assis dans l’herbe, pour le premier concert de la journée du jeudi – le Øya pensant vraiment à tout, on trouvait un salutaire distributeur de crème solaire non loin de là.
Silvana Imam
Ok, on avoue, on était clairement lost in translation sur ce concert-là : Silvana Imam est rappeuse, féministe, parle pas mal entre ses morceaux pour diffuser quelques messages politiques, fait lever le poing à tout le monde… Mais le tout en norvégien. Or en cinq jours sur place, on n’a malheureusement retenu que « tak » pour « merci », « skoll » pour « à la tienne », et « klem » pour « câlin » comme seul vocabulaire, tout le monde parlant parfaitement anglais ici. Il n’empêche que cette belle voix du hip-hop a mis tout le monde dans sa poche.
Safario
Il a une tête de bébé, un corps de brindille et qu’une poignée de morceaux en ligne. Mais quand son rap en anglais se pare de productions un poil oldchool, Safario fait mouche – et ça jump en conséquence sous le chapiteau.
KAMARA
La Biblioteket, sorte de micro salon avec bouquins et tapis où se donnaient concerts et conférences, était bien trop petite : avec ses deux choristes, son batteur, son bassiste et son guitariste autour d’elle, KAMARA ne pouvait pas autant bouger qu’on aurait aimé. Mais devant sa voix soul complètement dingue et ses morceaux solaires, c’est le public qui prendra le relais niveau danse, pour une ovation finale inversement proportionnelle à la taille de la scène. Méritée !
The Switch et Arthur Kay
Si le gros du Øya se passait au Tøyen Park du mercredi au dimanche (et c’est déjà pas mal), une première soirée avait lieu dès le mardi, pour un parcours dans toutes les salles de la ville et des showcases d’une demi-heure. On en retiendra un : The Switch et sa pop feel-good aux claviers bien sentis. D’ailleurs, Arthur Kay, l’homme au synthé, était également programmé au festival en solo, à la Biblioteket, pour un live un poil plus funky, marqué par un « Holiday Pay » de circonstance.
brenn.
Punk-rock pas forcément hyper original mais attitude de slacker clairement charmante : c’est la recette brenn., et rien que pour cette mini reprise de « Boys Don’t Cry » histoire de rendre hommage aux Cure qui jouaient ce soir-là, ça valait le coup de faire le déplacement.
Le Jaeger
Pas un groupe, mais une boîte : en plein centre-ville d’Oslo se niche un club dans lequel on aimerait bien passer une bonne partie de nos week-ends. Bar tout en bois, terrasse à loupiottes, minuscule arrière-cour avec DJ-booth dans une petite caravane pour des sets souvent disco ou house, sur lesquels une poignée de Norvégiens dansent comme des malades un verre (hors de prix, on est dans la capitale la plus chère d’Europe) à la main, et, au sous-sol, une salle de club plus classique dans laquelle se sont acharnés Anetha ou I Hate Models, pour ne citer qu’eux. Sacré spot.
Mais aussi…
Tous les cool kids d’Oslo devant Connan Mockasin, un concert épique de 2h15 par les Cure (l’occasion, à quelques jours de son passage à Rock en Seine, de vérifier que la voix de Robert Smith est toujours aussi enchanteresse), des filles en pleurs devant la « queen of pop » Robyn (l’expression ayant été utilisée par Christine & The Queens quelques heures plus tôt après un concert tout en chorégraphie et messages d’acceptation de soi), un soutien-gorge balancé à la tête de Kevin Parker de Tame Impala, le génial Ezra Collective qui cite autant Miles Davis et Sun Ra que Kendrick Lamar parmi ses inspirations, le rappeur anglais slowthai et ses pogos de l’enfer, James Blake et son sublime nouveau live tout en mélancolie… Alors oui, le verre de pinard est à plus de dix euros dans ce joli monde norvégien où le soleil se couche parfois plus tard que les gens. Mais ils s’y connaissent sacrément bien en festivals.