Owen Pallett : « l’indie music ne sert plus que de BO aux pubs Taco Bell »
Owen Pallett vient de sortir son quatrième album, In Conflict, et c’est un chef d’oeuvre. Il fallait bien qu’on en profite pour parler à celui qui a aussi arrangé des albums mythiques, de Beirut à The Last Shadow Puppets en passant par Arcade Fire (dont il est aussi membre live). Il joue aussi ce vendredi 23 mai à la Maroquinerie : foncez-y, ses lives sont toujours fascinants.
Tsugi : Tu as passé la moitié de ta carrière à bosser sur de gros albums indépendants ou à tourner pour Arcade Fire. C’est très différent de revenir au processus de faire ta propre musique ?
Owen Pallett : C’est totalement diffèrent, j’ai vraiment besoin d’avoir une balance entre les deux, chaque activité m’aide à mieux apprécier l’autre. Quand je bosse sur ma musique je deviens très émotif, je m’inquiète beaucoup, notamment quand je commence à penser à l’argent ou plutôt au manque d’argent, qui met tout de suite dans une situation de stress. Quand je travaille pour d’autres j’oublie mes sentiments personnels, je suis l’extension d’un groupe, je cherche à leur écrire les arrangements dont ils rêvaient, c’est plus léger.
… Et puis écrire des arrangements pour les meilleurs musiciens de la planète n’est pas le gagne-pain le plus désagréable qui soit, si ?
Oh je ne sais pas, beaucoup de mes activités préférées sont administratives, ou tout au moins répétitives… comme les exercices cardio ! Quand je suis en plein dans le processus si compliqué d’écrire une chanson ou un album, je regarde mes amis qui ont des jobs administratifs avec une certaine jalousie. J’ai eu ce genre de jobs plus jeune, notamment un job de production en radio qui en fait comportait plein de paperasse, j’en garde des souvenirs émus.
Tu as bossé avec des artistes plus mainstream… Comment est-ce arrivé ?
J’ai bossé sur un album de Linkin Park (il y a eu aussi Mika ou Taylor Swift, ndlr). Ils m’ont envoyé une chanson sans percussions et j’étais très excité à l’idée de remplacer cela par un orchestre de cordes. Je ne les connaissais pas personnellement alors je voulais les impressionner, je leur avais préparé des démos très intenses où je jouais plein de trucs tout seul et quand ils les ont entendues ils les ont aimées et gardées… Puis ils ont ajouté des percussions. Mon idée initiale m’a été renvoyée dans la gueule, non seulement ils ont rajouté des percussions alors que je voulais que mes cordes les remplacent, en plus ils ont utilisé mes démos alors que je voulais un vrai orchestre de cordes. Mais le morceau final, ”I’ll Be Gone”, sonne bien.
Tes copains d’Arcade Fire sont devenus gigantesques là où ta carrière reste plus confidentielle. Comment gères-tu les différences de notoriété ?
C’est compliqué, j’ai un fort sentiment d’égalité avec les autres gens, je déteste toute situation où les gens se sentent inférieurs à moi, se prosternent devant moi d’une certaine manière, et de la même façon je déteste être dans une relation où l’autre se sent supérieur.
Par exemple je ne gère pas bien du tout le fait d’avoir des fans et je hais travailler avec des célébrités. J’aime vraiment être sur un pied d’égalité. Donc les trucs comme les oscars (il était nominé avec Arcade Fire pour la bande originale de Her, ndlr) sont très compliqués à gérer et me mettent assez mal à l’aise.
Comme tu étais mal à l’aise en recevant le prix Polaris (en 2006) ?
Non c’était différent ça, ce qui me gênait c’était que le sponsor principal était une firme de téléphonie qui, l’année précédente, avait engagé des contrats avec des agences de recouvrement de dettes et je n’avais vraiment aucune envie de prendre leur argent.
Tu as commencé comme violoniste. Quelle relation avais-tu à l’instrument, adolescent ?
J’ai commencé le violon vraiment jeune et je suis arrivé assez haut très jeune. J’ai quitté l’orchestre à 14 ans parce que l’un des chefs avait un comportement abusif. J’ai pratiquement arrêté le violon pendant toute mon adolescence, à la place je jouais dans des groupes, du piano le plus souvent. J’ai repris au début de l’âge adulte et j’ai étudié l’art de la composition ensuite à la fac.
Tu as toujours chanté, par-dessus ?
Tout à fait. Quand j’étais adolescent et au début de la vingtaine, le post-rock était très populaire et je n’ai jamais vraiment aimé ça, notamment parce qu’il n’y avait pas de voix. Donc j’ai décidé très tôt que je chanterai toujours sur mes chansons. Aujourd’hui, bien plus tard, j’en suis un peu au point opposé, je n’écoute quasiment plus que de la musique instrumentale. J’ai racheté tout le catalogue de Krank Records (label de Chicago expérimental et électronique qui abrite notamment Grouper, Tim Hecker ou les premières sorties d’Atlas Sound, le projet solo de Bradford Cox de Deerhunter, ndlr)…
Ton précédent album, Heartland, entamait un gros changement dans ta musique, l’électronique a pris une grande place. Pourquoi est-ce arrivé ?
Toute cette partie électronique ne vient pas d’une lassitude du violon. C’est surtout qu’avant je ne savais pas comment faire. J’ai grandi en m’intéressant à la musique électronique. Deux des premiers disques que j’ai écouté en boucle sont la bande originale des Chariots de Feu (composée par Vangelis, ndlr) et “Sweet Dreams” de Eurythmics. Ces sons font partie de mon background musical depuis toujours, j’ai entendu ces disques alors que je n’avais même pas 5 ans. Pour In Conflict j’ai écrit les chansons au piano ou sur papier et quand il était venu le temps d’enregistrer j’utilisais des synthés que je remplaçais en suite par une harpe électronique. Je voulais que ça sonne comme si ça avait été fait dans les années 70.
Heartland était un album conceptuel, qu’en est-il de celui-ci ?
Certaines de mes chansons n’ont pas de personnages, “Scandal at the Parkade” par exemple était un genre d’incitation à la violence. Mais sur In Conflict il y a tout de même un concept. Les chansons examinent des états d’esprit humains construits sur des antagonismes, d’une part le côté sain et de l’autre le côté malsain ou fou. Je documente des moments de ma vie où je me suis trouvé dans une situation confuse, pris entre deux notions divergentes, où je ne me sentais plus moi-même. Par exemple quand j’avais laissé mon désir sexuel se mettre en travers de mon bon sens, quand je m’étais retrouvé dans une ébriété énorme ou sous l’effet de drogues, quand j’étais dans une relation non traditionnelle, sortant avec quelqu’un de beaucoup plus jeune ou beaucoup plus vieux que moi. In Conflict, le titre de l’album, résume ces situations que je décris.
C’est plus difficile d’avoir confiance en ce que tu écris quand tu glisses vers l’autobiographie ?
Pour ce disque il y a en effet des moments où je sentais que j’étais beaucoup trop littéral. Et je me disais que les gens pourraient interpréter le disque trop facilement. Pour le moment on me dit que le disque est aussi opaque que le précédent (rires). C’est bizarre pour moi, je ne sais pas pourquoi les gens comprennent si mal ce que j’écris.
Quel a été le point de départ de In Conflict ?
Musicalement la genèse du disque vient d’une commande qu’on m’a faite de jouer Heartland en entier en live, du premier au dernier morceau dans l’ordre, un peu comme si c’était prématurément devenu un classique comme ceux des gros groupes de rock patrimoniaux. L’exercice était rendu impossible par le morceau “Tryst With Mephistopheles”, pour lequel il me manquait sur scène un vrai batteur. Du coup j’ai rappelé deux de mes meilleurs amis, musiciens, avec qui je formais le groupe Les Mouches quand j’avais 20 ans. On n’avait pas joué ensemble depuis une dizaine d’années. L’alchimie s’est avéré toujours incroyable, jouer Heartland comme ça était exceptionnel, j’avais l’impression que mes morceaux explosaient, prenaient feu. Du coup In Conflict est né avec l’envie d’explorer l’écriture de chansons pour nous trois. On a écrit huit chansons ensemble, j’en ai écrit douze seul et ai mis le meilleur dans l’album.
Tu as une façon étrange de jongler entre un romantisme flagrant et un humour très cynique, voire potache…
Je ne sais pas, je ne me vois pas vraiment comme un romantique… ou un non romantique d’ailleurs. Quand j’écris mes chansons je me concentre en fait sur le fait d’être drôle. Évidemment ma définition du “drôle” m’est assez spécifique, en tout cas ce ne sont pas des blagues, des punchlines, mais quelque chose de drôle à lire, en profondeur. Comme de la bonne poésie ou les premiers disques de Smog par exemple qui sont une inspiration énorme.
C’est vrai que ton copain et manager a appelé sa boite de management Boyfriend Management ?
Oui ! Mais il a trouvé ça tout seul ça ne vient pas de moi.
Il y a un côté très grandiose dans ta musique, presque… Disney. C’est un univers qui te fascine ?
Pas du tout et je crois même que tu as tout faux en disant que ça ressemble à ça ! Tu n’es pas le seul à dire ça mais je pense que ça vient de la surdité totale que les gens ont vis-à-vis de la musique orchestrale. Les gens entendent ça en écoutant ma musique mais vous devriez aller voir des symphonies plus souvent.
Ça vient de ta voix peut-être, très pure et naïve ?
Je ne sais pas, j’essaye de chanter comme Brian Eno !
À ce propos, il est sur l’album. Comment êtes-vous entrés en contact ?
Il m’a invité à jouer à un festival dont il dessinait la programmation, j’avais déjà lu dans deux magazines qu’il était fan de Heartland. Je ne jouais même plus live à l’époque mais évidemment on a remis le groupe en marche et on est allé jouer là-bas. Ça s’est très bien passé, il a été très effusif en compliments donc on a gardé une relation par emails. J’ai joué à un concert caritatif un peu plus tard, il était là, est venu me dire à quel point il était admiratif d’une nouvelle chanson que je venais de jouer. Je savais qu’il était passionné par les chœurs alors je lui ai demandé d’en chanter pour moi, ce qui l’a enthousiasmé.
Tu as toujours montré un intérêt sincère pour la pop mainstream, notamment les grandes divas, tu avais repris Mariah Carey. Que penses-tu de celles qui occupent la pop aujourd’hui ?
Au début des années 2000 j’avais l’impression que des artistes mainstream, spécialement des femmes noires, n’étaient pas traitées avec autant d’intérêt ou de respect que disons… des rockeurs blancs. Je ne suis évidemment pas le seul à dire ça. Mais j’ai essayé de me battre contre ça en reprenant certaines de ces femmes, des chansons que j’aimais beaucoup, comme “Fantasy” de Mariah Carey. En 2005 quand je l’ai reprise pour la première fois le monde tournait autour de l’indie rock. J’avais entendu Ben Gibbard de Death Cab for Cutie reprendre “Complicated” d’Avril Lavigne et tout le public riait, c’était du foutage de gueule, de l’ironie, ça m’a rendu triste. Même si je n’aime pas cette chanson moi-même ce mépris m’attristait. Pour moi les deux genres sont aussi importants.
Aujourd’hui évidemment c’est l’inverse, personne ne supporte plus l’indie music, qui sert de bande originale aux pubs Taco Bell, tu ne peux pas allumer la télé sans entendre un ukulélé ou un glockenspiel, tous ces vieux clichés DIY. Portlandia est une série entière consacrée à se moquer des années 2000 et de la culture indie. Aujourd’hui je devrais sûrement reprendre du Death Cab (rires).
Je ne suis plus un grand amateur de pop actuelle, je m’intéresse beaucoup plus au hip-hop et au R&B. Bien sûr comme tout le monde j’adore l’album de Beyoncé. Mais je n’ai jamais entendu l’album de Lady Gaga, parce que je considère que ce qui est intéressant chez elle ce n’est pas sa musique, je n’ai jamais aimé ses chansons. Je ne connais rien de Miley Cyrus, j’ai lu quelques articles, mais tout ce que j’ai entendu d’elle ne m’a pas plu. Mais je la défendrais, quand on la lapide en la traitant de salope, les gens oublient à quel point elle est jeune et à quel point il est difficile d’être une pop star.
In Conflict (Domino) sort le 26 mai.
En concert à la Maroquinerie le 23.
Owen Pallett étant le genre d’artiste à ne rater sous aucun prétexte en live, nous vous offrons donc 5 places pour son concert de la Maroquinerie !
Pour participer, rien de plus simple, il suffit d’envoyer un mail à [email protected] avec « concours owen pallett » en objet du mail en mentionnant bien vos coordonnées. Bonne chance !