On était au Cabaret Vert : le festival écolo mais pas en carton.
De tous les festivals français se prétendant écologiques, le Cabaret Vert peut se targuer de figurer parmi les plus anciens. Depuis onze ans, le projet s’attache autant à la musique qu’au développement durable, l’intégrant à chaque chainon de l’organisation, des stands aux bénévoles. Une façon de rappeler qu’un weekend de festival rassemblant des milliers de personnes implique toujours un cout environnemental. Situé en plein coeur de Charleville-Mézières, le Cabaret Vert a pour ambition de figurer parmi les références nationales en terme de programmation. L’année dernière, environ 94 000 festivaliers avaient répondu présents, presque un peu trop pour le parc de Bayard à la limite de la saturation. Cette année, la jauge a été légèrement revue à la baisse pour rendre le lieu plus respirable (entre 85 000 et 90 000 personnes attendues) et fluidifier la circulation entre les 2 grandes scènes. De tradition plutôt rock, le festival de Charleville-Mézières fait chaque année un pas de plus vers l’éclectisme et la pluridisciplinarité dans sa sélection. À notre arrivée vendredi, les Californiens de Wand se sont ainsi fait les seuls vrais défenseurs d’un rock tumultueux, bien aidé par un répertoire psyché et agressif grossissant à vue d’oeil (3 albums sortis en à peine un an !). Alors que sous un soleil de plomb, l’après-midi avait un gout plutôt hip-hop avec Black Industrie, pur produit ardennais, et surtout Jurassic 5, autre vedette de la côte Ouest. Les quatre MC en feu du groupe, qui avaient été les stars de Coachella deux ans auparavant, sont les auteurs du premier gros temps fort de ce weekend bouillant.
Entre deux sets, la chaleur nous a poussés à l’extrémité ouest du festival, à l’ombre des arbres la foire de Bayard. C’est ici que se sont regroupées les plus belles attractions non musicales du festival, autour de la statue du célèbre chevalier sans peur et sans reproche. Une véritable fête foraine hors du temps jonchée de petites caravanes et de tentes dédiées aux arts de la rue. Chacune est un lieu de spectacle intimiste, accueillant des petits groupes de dix festivaliers plusieurs fois par jour. Sur toute la durée du festival, seules quelques dizaines de chanceux (parfois tirés au sort) auront pu les visiter pour découvrir un “micro-cirque”, un théâtre miniature et un autre mécanique.
De retour à la musique, après un petit détour par le set festif de Dan Deacon, nous avons assisté à l’entrée en scène de Ratatat. Le duo ne fait que deux dates en France dont une vous l’aurez compris au Cabaret Vert pour présenter son nouvel album. Un de plus, mais la recette n’a pas changé. Après un départ sur les chapeaux de roue, la performance s’essouffle bien avant l’heure de concert. Difficile néanmoins de bouder son plaisir sur les classiques du tandem, ou les récents singles “Abrasive” et “Cream And Chrome”.
À l’heure du diner, on ne sait plus où donner de la tête. Après avoir échangé nos euros contre la monnaie du festival, le Bayard, on découvre qu’ici la saucisse n’est pas la (seule) star aux côtés des stands qui se font les promoteurs de produits régionaux artisanaux et bio. Parmi les spécialités, difficile de passer à côté de la salade au lard, la tarte aux maroilles (excellent pour l’haleine) ou encore le pâté croûte. Et ce qui marche pour la nourriture est également valable pour la sainte des saintes du festival : la bière. De la fierté locale, l’Oubliette, à la Jenlain, en passant par la Chimay Belge, finalement la carte de bières semblait presque aussi riche que la programmation musicale. À la fin de la dégustation, on apporte ses assiettes au stand pour que tout finisse directement au compost. A la nuit tombée la musique électronique se voit donner carte blanche. Vedettes du vendredi soir, les deux Britanniques de Chemical Brothers figurent largement parmi les plus grandes têtes d’affiche de l’histoire du festival. La folie s’empare donc de la foule réunie sur la pelouse de la scène Zanzibar dès les premières secondes de leur show. Cependant après une poignée de minutes sur scène, alors que The Chemical Brothers commencent à faire l’étalage de leur imposant dispositif visuel (raz-de-marée lumineux, clips vidéos sur grand écran) le courant saute une première fois pendant “EML Ritual”, extrait du dernier album Born In The Echoes.
Après de longues minutes d’un silence pesant, et évidemment mal vécues par un public que l’attente à gonflé à bloc, le groupe redémarre la chanson avant que cela ne plante à nouveau quasiment au même instant. Seul le concert de Lido qui a débuté sur l’autre scène un peu plus loin vient rompre le silence. Le show reprend une troisième fois, la bonne cette fois ci. Le tandem peut enchainer avec “Go” et son impressionnante vidéo à la chorégraphie roller-disco. Loin de la perfection attendue, la performance n’en aura pas moins été la grande fête du weekend. Juste après Mr. Oizo a achevé la transformation du cabaret en club, clôturant la journée de concert à 3h du matin. Le lendemain, l’événement est probablement l’ouverture du festival dans le festival : l’espace BD, qui permet de rencontrer plusieurs dizaines d’auteurs et dessinateurs. Parmi eux on s’est réjoui de découvrir une table réservée à la célébrité locale Philippe Buchet, derrière les superbes dessins de la série de science-fiction “Sillage” éditée chez Delcourt et déclinée en une vingtaine de tomes depuis 1998. Cultissime. Mais revenons à la musique. Les deux scènes ne laissent pas paraitre de la folie furieuse de la veille. Pendant la nuit, le site a effectivement été astiqué par des hordes de bénévoles et les déchets se font rares. Drenge ouvre le bal du samedi entre deux groupes rock de la région. Le duo garage s’est converti en trio à l’occasion de la sortie de son deuxième album “Undertow” cette année. Une petite basse en bonus qui fait toute la différence au niveau sonore, donnant une impression de profondeur bienvenue à la musique de cet ancien duo guitare/batterie. Peu démonstratif et charismatique, le groupe ne prend pas la peine de soigner la forme, même si le teeshirt Taylor Swift du chanteur Eoin Loveless a fait beaucoup sourire. Musicalement, la rage et la puissance du groupe fait la différence, à l’image d’un titre qui à lui seul résume leur état d’esprit : “We Can Do What We Want”.
La suite était assurée par le blues de John Butler Trio, qui a fini par laisser sa place sur la scène Zanzibar à Jungle. Le collectif britannique déçoit rarement en live, et cette sortie au Cabaret Vert en est une nouvelle confirmation. Un show qui fonctionne par duo : deux voix perchées, deux choristes soul habités et deux percussionnistes déchainés accompagnant un bassiste. La pelouse de Zanzibar se change en piste nu-disco le temps de cette performance, la plus fraiche du festival. Une longue suite de tubes pop qui s’avalent avec autant de douceur et de gourmandise qu’un smoothie bio, avant de finir épiques sur “Busy Earnin’” et “Time”, deux morceaux qui ne laissent pas le public indifférent.
Après un show intriguant d’Algiers, Rone termine notre virée Ardennaise sur la scène des Illuminations. Une scène qui n’a jamais aussi bien porté son nom, tellement l’effort visuel et scénographique de l’artiste a ravi tous nos sens. On ne demandait pas mieux pour finir en beauté. Pendant toute la durée du Cabaret Vert, les innombrables déchets collectés ont été transportés dans un centre de tri sur le site même du festival. Parmi eux notamment, tous les gobelets en plastiques seront recyclés. Les participants peuvent repartir à la fois comblés et la conscience tranquille.