On était à la première soirée du club La Nuit, on vous raconte
Une entrée plus que remarquée parmi les clubs de Paris. Avec une identité et un engagement fort : créer un dancefloor pour tous et toutes, en plein centre de la capitale. Débrief de la toute première soirée de La Nuit.
Vendredi, 23h30, boulevard de la Madeleine. Au milieu des commerces qui ont baissé le rideau depuis maintenant quelques heures, quelques irréductibles s’échauffent devant le “huit”. Face aux regards curieux des passants qui foulent le pavé à une heure tardive, une file d’une dizaine de personnes prend forme. Tous convergent vers les portes de La Nuit, qui s’ouvrent pour la toute première fois ce soir. En parlant de première fois, c’en est aussi une pour moi : je fais partie de cette jeune population qui s’est – à tort ? – quelque peu désintéressée des clubs. Mais qu’importe, il faut que je l’écrive ce papier, alors je fonce tête baissée. Et ça commence mal. Bonnie, qui tient la porte, entourée de plusieurs gars de la sécurité, ne trouve pas mon nom sur sa très longue liste. Faux départ. Quelques minutes plus tard, c’est Fabrice Desprez, l’une des trois têtes fondatrices de La Nuit, en charge de la com’ et de la programmation, qui me fait entrer.
“On est en rodage ce soir, tout le monde découvre”, glisse-t-il au moment de descendre les escaliers, recouverts de miroirs aux murs et de leds rouges du sol au plafond. Plus rien à voir avec le Key, ancien locataire orienté rap, qui louait le huit boulevard de la Madeleine depuis trois ans. Il faut dire que la DA n’est pas passée à la trappe. C’est l’artiste Etienne Bardelli, graphiste et ancien du label parisien Institubes, qui a habillé les lieux. Il est presque minuit et les clients entrent au compte goutte, “vu qu’on a ouvert à 22 heures on est déjà bien plein”, poursuit Fabrice, sur le pont toute la nuit. Les quelques groupes qui parviennent à se glisser dans les murs immortalisent le moment, le temps d’un “selfie miroir” dans les escaliers, que certains galèrent d’ailleurs à descendre – les leds au sol et l’obscurité n’y sont pas pour rien. Quelques enjambées plus tard et un petit tour du côté du bar, le dancefloor est à nous.
“Une vraie réunion de famille”
À la manœuvre pour faire vivre ce nouveau venu dans la famille des clubs parisiens, situé en plein centre de la capitale, trois personnalités. D’abord Guido Minisky, co-fondateur d’Acid Arab et ancien de la nuit parisienne, (il a été DA Chez Moune il y a quelques années) et armé d’un riche carnet d’adresses pour assurer les soirées de La Nuit. Pour l’accompagner dans cette aventure et collaborer sur la direction artistique, il fait appel à Themis Belkhadra, journaliste pour le média Nylon, avide de sonorités hyperpop et des récentes rencontres entre rap et musiques électroniques, qui participe aussi à inclure la communauté queer sur le dancefloor de La Nuit. “C’est une vraie réunion de famille, je connais Guido et Fabrice depuis un certain temps et c’est trop bien de voir nos trois univers sociaux se rassembler” sourit Themis, qui participe pour la première fois à la direction artistique d’un club. Avant d’ajouter “À 18 heures, il y avait encore des pots de peinture partout, des échafaudages littéralement dehors et à l’intérieur du club. Limite on a passé le dernier coup d’aspirateur à 22h10”.
Tout ça paraît loin à mesure que le public remplit l’espace de la piste de danse. Tout est plein pour le show délirant de Lucky Love, inondant le public d’un mélange entre variété et teintes électro-pop, du haut de la petite scène. Un moment de live plutôt intimiste pour un artiste habitué à la foule des festivals, qui a même récemment assuré la première partie de Louise Attaque. En coulisse, on profite du spectacle pour s’affairer sur les derniers préparatifs avant une succession de DJ sets. En guise de transition, une drag queen fait irruption sur scène, clope géante à la main et boa jaune autour du cou. “Moi aussi, je sais être DJette” envoie-t-elle à la foule, imitant le bruit des touches de la table de mixage. Sourires et applaudissements unanimes. De quoi donner le ton pour le reste de la nuit. Entre-temps, Guido change brièvement de casquette, et passe de directeur artistique à ambianceur, le temps d’un DJ set éclair bien efficace. Histoire de mettre dans le bain les nouveaux venus avant de poursuivre la nuit.
Cohabitation
Aux alentours d’une heure et demie, c’est l’heure de pointe. Sur le dancefloor tout comme dans la file d’attente, il y a foule. Mais “les gens sont hyper patients, ça gueule pas, ils ne sont pas relous, personne n’est bourré, et surtout il y a un bon melting pot” rassure Bonnie, habituée des portes des grosses soirées queer parisiennes. Et à l’instar de toutes les premières fois, il y a quelques couacs. Problème de sono, un système de lights qui plante pendant la soirée et réparé en urgence… Pas suffisant pourtant pour rompre l’énergie des danseuses et danseurs, qui n’ont même pas eu le temps de ressentir ces petits soucis techniques. “C’est vraiment la soirée 0, un baptême du feu, et pour le moment tout roule” conclut Fabrice, le temps d’une pause rapide dans les escaliers du club avant de retourner au charbon sur la piste. Sur scène, c’est le duo électronique Château Flight qui a pris le relais, enchaînant depuis une demi-heure un DJ set à la fois puissant et sophistiqué. La foule, qui s’est répartie autour des Djs – la partie scène est ouverte au public, l’occasion de se déhancher au plus près des artistes, on se croirait dans un Boiler Room – est ultra réceptive, l’énergie monte encore d’un cran. Sur des sonorités downtempo boostées à de la house, Gilbert Cohen et Nicolas Chaix, alias Gilb’R et I:Cube, déchainent le public.
Parlons-en du public. Outre l’ambiance plus que bienveillante qui règne en maître, sans prise de tête apparente, c’est la diversité de la foule qui surprend. Fabrice, Bonnie et Themis tirent le même constat, sans appel : “on est heureux parce que le message de dancefloor pour tous et toutes, qu’on a voulu mettre en avant, a été compris. Et donc on a plein de gens qui viennent de milieux et de mondes différents”. Car c’est aussi ça, La Nuit, un lieu où se rassemblent jeunes, vieux, hétéros, queer, pour créer une atmosphère de partage. Une belle cohabitation qui donne de l’espoir. “Le fait que tout le monde soit mélangé, ça crée une atmosphère de respect mutuel. Les gens se rendent compte qu’autour d’eux tout le monde est différent. C’est bon signe pour la suite” conclut Themis.
La diversité derrière et devant les platines. Château Flight remballe pour laisser place à Dactylo. Elle qui a d’ores et déjà animé les plus grosses soirées queer des quinze dernières années – Jeudis OK, Possession, Flash Cocotte -, tiendra même une résidence tous les jeudi à La Nuit. Et ce soir encore, elle n’est pas venue pour plaisanter. À grands coups de techno et de beats frénétiques survoltés, Dactylo met le feu à la foule qui l’entoure. Derrière elle, le public fait un cercle autour d’un groupe de techniciens, qui installent progressivement une barre de pole dance. Ce n’est que quelques minutes plus tard que débarquent, en plein DJ set, deux danseuses, qui se lancent dans un show complètement fou, s’accrochant même au plafond, suspendues aux barreaux des lights. Grand moment quand elle passe le titre “Dónde esta la discoteca”, de Canelle Doublekick. Plus tard, la plupart du public s’est rassemblé sur scène autour de la DJ et productrice Malaise Vagal, qui assure la suite jusque sur les coups de cinq heures. Pour les dernières heures, l’une des protégées de Guido Minisky a transformé le club en fournaise, sur de la house teintée de trance-oriental-funk. No limit, à l’image de cette première vraiment réussie. On retient La Nuit..