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19 mai 2014

On est retourné… au Teknival !

par rédaction Tsugi

Dix ans qu’on n’avait plus osé y mettre les pieds ! Tournant en rond musicalement, rempli de clones kakis à casquette et dépossédé du frisson de l’illégalité, le Teknival ne nous disait plus rien. Mais la scène free est toujours vivante, elle a retrouvé des couleurs et s’est ouverte à d’autres univers musicaux. On est allé le vérifier à l’occasion du grand rassemblement du 1er mai.

Ultra populaire à l’aube des années 2000, avant de subir une répression féroce de la part des autorités – la fameuse loi Mariani – la scène free party n’a pas disparu pour autant. Certes, on en entend moins parler qu’auparavant, que ce soit dans les pages faits divers de la presse régionale ou dans les bacs hardtek des disquaires. Mais elle compte toujours de nombreux adeptes et activistes. Il y a 10 ans, enfermée dans ses propres clichés – esthétiques et musicaux – cette scène dite “alternative” nous avait littéralement écoeuré. Mais des discussions, entre autre avec Guillaume Kosmicki – musicologue et auteur de “Free Party, une histoire, des histoires” – pour qui la nouvelle génération de teufeurs aurait évolué dans le bon sens, nous ont donné l’envie d’y retourner, pour voir. A l’occasion de la 21ème édition du Teknival du 1er mai, rebaptisé Teknimutation pour l’occasion, nous avons donc pris la route de la Base Aérienne 112, tout près de Reims.

 

Le hardcore toujours présent

Bien entendu, établir un parallèle entre ce Teknival médiatique – organisé, encadré et financé par le ministère de l’Intérieur – et la réalité de la scène free hebdomadaire – des petites soirées clandestines rassemblant moins de 500 personnes par obligation légale – n’a pas lieu d’être. Néanmoins, en tant que plus gros rassemblement annuel du “mouvement”, le Teknival permet de constater les évolutions – ou  non – de ce qui a longtemps été considéré – en France tout du moins – comme l’underground techno.

 

Une impression de fête foraine

Le premier choc en arrivant sur le site est visuel. Exit l’organisation anarchique qui prévalait dans les teknivals d’antan. Ici la plupart des sound-systems sont alignés le long de la piste qui accueillait il n’y a pas si longtemps des avions militaires. On ne retrouvait également plus vraiment les installations sonores typiques, constituées en “mur” d’enceintes hétéroclites. Beaucoup de “sons” avaient choisi de venir avec du matériel plus professionnel, parfois de location. Le revers de la médaille : une course à celui qui proposerait le plus de kilowatts – une dérive consumériste qui existait déjà il y a dix ans. Au grand dam des riverains, l’un des points noirs cette année était que la BA112 se trouvait à proximité immédiate des faubourgs de Reims.

 

Les DJ’s ne se cachent plus

Par ailleurs, c’est vrai, on notait un effort particulier sur la décoration des sound-systems : vaisseau spatial, statues de l’île de Pâques, horlogerie… Les tentures noires et blanches avec signes tribaux d’antan ont laissé la place à des espaces plus colorés, les camions récupérés à l’armée remplacés par des véhicules de location. Les artistes/DJ’s ne se cachent plus, certains jouant même sur des scènes en hauteur. Et puis, les inévitables et innombrables stands de merguez/frites sans parler des vendeurs de textiles et autres accessoires pour teufeurs, donnaient l’étrange impression de se trouver plus dans une foire/fête foraine que dans un remake de Mad Max sous acide comme jadis. Sur la fin, avec la déresponsabilisation des participants, induite par l’organisation étatique, le lieu ressemblait même carrément à une vaste décharge.

 

Où sont passés les “petits pois” ?

Concernant le public, on remarquait la relative disparition du “petit pois”. Bien sûr, on croisait des gens lookés entre le roots et le punk à chien, mais le stéréotype baggy/parka militaire/casquette à pointe beuglant “fais péter !” n’est visiblement plus à la mode. Certains viennent aussi déguisés, souvent en animaux, avec beaucoup de couleurs, chose impensable il y a encore peu. Les générations aussi semblent se renouveler, le teknival n’est donc pas devenu un rassemblement de vieux cons de la free, intégrant des plus jeunes, ceux-là même qui ramènent de la couleur. Mais avec 26 000 participants au plus fort de la nuit de samedi à dimanche, la fréquentation n’a plus rien à voir avec les “glorieuses” années – 100 000 personnes dénombrées en 2004. Et encore, une part non négligeable de la population était constituée de jeunes de la région venus s’amuser là, plus que de véritables caciques de la free party.

 

Des sound-systems et des musiques plus colorés

Côté drogue – nier sa présence serait pure hypocrisie – on remarquait la disparition de la vente à la criée, les choses semblant se faire plus discrètement, ce qui n’est guère surprenant vu l’effectif policier surdimensionné qui entourait la fête. On notait même une pénurie d’herbe, plusieurs personnes étant venu nous en demander, à tout hasard. Les ballons de protoxyde d’azote avaient eux toujours la cote.

 

Une plus grande diversité musicale

Mais l’événement est avant tout musical. Alors venons en au fait. Une première remarque pour commencer. Trop de sound systems tue le sound system ! Entre 80 et 100 installations – dont pas mal d’anglais et de hollandais – c’est beaucoup trop au regard de la fréquentation. Certes, tout le monde veut avoir son moment de gloire derrière les platines, mais quel intérêt à jouer devant un dancefloor vide ? On s’est senti un peu perdu, d’autant qu’on ne connaissait, de nom, qu’une demi douzaine d’entre eux – Ornorm, MST, Malfêteurs, Récréa Circus, Shteken Crew, les anglais de KSS. Ensuite, c’est vrai, le monde de la free s’est ouvert à de nouvelles sonorités, de nouveaux rythmes. La trilogie infernale hardcore-hardtek-drum’n’bass – sans oublier le reggae-ragga pour chiller en journée – n’est plus le son exclusif du teknival. La trance est notamment de retour avec plusieurs crews jouant de la full-on.

 

Pour peu, on se croirait à Ibiza

Un autre sound-system avait pris le parti de jouer de la tech-house toute la nuit. Le plus surprenant, c’est que ce fut l’un des endroits les plus remplis ! D’autres jouaient de l’électro-tek énergique mais pas toujours de très bon goût, de la minimale, de la techno trancey, du dubstep à gros wobble ou du hardstyle hollandais, là aussi devant un public fourni. Hélas, si la free s’est indéniablement ouverte à d’autres sonorités électroniques, ce n’est pas forcément aux plus intéressantes – de notre point de vue. Difficile de trouver du dubstep style Hotflush/Hyperdub, de la techno Berghain et encore moins de l’IDM ou du breakcore.

 

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes

Paradoxe, c’est après avoir erré le long de la piste pendant plusieurs heures, que l’on a fini par trouver notre bonheur auprès d’un son belge, nommé “Exit23” qui a choisi de se focaliser sur le son free “à l’ancienne” , celui de 1995/96, que l’on nommait alors par défaut “acidcore”, avant que la hardtek-tribe ne parte dans des délires trop cheesy. Là, un liveur français appelé “25ème dimension” livrait une performance 100% analogique, un voyage improvisé au long cours fait de boucles répétitives noyées dans des effets psychédéliques pour ne pas dire lysergiques, dans le plus pur style Curley ou Rzac – Spiral Tribe.

 

La old-school moins visible mais toujours là

Peut-être, si elle avait poursuivi dans une veine hypnotique et expérimentale, plutôt que de partir dans des facilités “punk” rigolotes version techno, amenant un plus large public, la free party ne serait pas devenu le monstre qu’elle a été dans les années 2000. Peut-être que ces teknivals un peu étranges, cernés par les forces de l’ordre et où ne plane plus le frisson agréable de l’illégalité, de l’interdit, n’auraient, du coup, jamais vu le jour. Ils sont aujourd’hui plus des rassemblements de la techno “amateur” – et passionnée, cela ne fait aucun doute – qui ont toute leur légitimité mais ne sont certainement plus des lieux d’expérimentations sonores et de subversion. On y retournera ? S’il y a encore des gens comme Exit23, pourquoi pas.

Pour les curieux, le live intégral (4h30) de 25ème Dimension au Teknival 2014

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