On détaille ‘Électrons libres : Apocalypse No’ avec son programmateur C. Huchet
« Ceci n’est pas la fin du monde… quoiqu’il faille tout de même s’en approcher, pour comprendre l’urgence à changer le cours de l’histoire. » Du 9 au 11 décembre, Électrons libres revient pour une nouvelle édition à Stereolux. On a voulu détailler les événements de ce week-end chargé avec son programmateur, Cédric Huchet.
Comment présenter Électrons libres ? Déjà, on en est à combien d’éditions ?
Oulah, question piège (rires) ! Électrons libres c’est un événement trimestriel, créé en 2017 ou 2018. Ça se déroule en général sur une soirée, ou sur un week-end. Mais qui se veut quand même sur une dynamique d’événement, de temps fort pour faire un focus sur des formes vivantes. L’idée, c’est d’avoir un panorama le plus ouvert possible de la création numérique dans le champ de la culture électronique et des arts numériques.
Quel était l’objectif, l’idée directrice de l’événement ?
De manière générale, Électrons libres c’est dans l’ordre du bizarre. Des formes hybrides vers lesquelles viennent les artistes dans le champ de la création numérique et électronique. Là on voulait un peu étoffer la proposition, avec un week-end sur trois journées et trois soirées, qui allaient traiter d’un sujet dont on parle beaucoup en ce moment. Qui fait référence à la mauvaise santé du monde de manière générale mais aussi bien d’un point de vue écologique, climatique, sociétal, politique… Ce qui nous a amené à envisager cette thématique, c’était que beaucoup d’artistes évoquaient ces sujets-là, ou les détournaient à travers leurs projets. D’une façon qui peut être grave et sensible, mais aussi positive, ou en tout cas un motif d’espoir.
Côté concerts on a eu un beau plateau le vendredi. Quelle était la volonté, pour la programmation de cette soirée ?
On voulait des artistes divers, tant en termes de provenances qu’en termes de fibre artistique. On a identifié des artistes rares sur la scène française comme Iglooghost, jeunes trublions de la scène anglo-saxonne dans un registre d’electronica vraiment fouillée, avec des inspirations colorées, très lumineuses… Mais aussi Nkisi, artiste d’origine congolaise, très militante sur la question des minorités, la question de la femme… On a identifié des artistes comme Spime.IM, duo de Turin précieux dans ce qu’il travaille, sur la digestion ou l’indigestion d’une banque de données d’images. Ils sont sur un set à deux pour la soirée du vendredi, mais ils sont aussi sur un spectacle plus complexe du samedi.
Et puis, aussi des artistes plus jeunes qui commencent à se faire une belle place sur ce champ artistique. Comme Tryphène et Ulysse Lefort, qu’on avait accueillis à Scopitone il y a deux ans : c’était l’une des belles révélations de cette édition, et ils reviennent avec le projet « La Caresse » qui traite de croyances, de sorcières, de légendes un peu sombres…
Pourquoi avoir choisi ces artistes, qu’est-ce qu’ils représentent ?
On avait envie d’incarner la thématique du week-end, avec une petite ironie dans le titre. Et sur cette soirée, qui démarre en plus dans un format intéressant, à 20 heures jusqu’à 4 h, on a voulu ramener tantôt des notes colorées, tantôt plus sombres mais chaque artiste nous emmène dans ce voyage tiré de son imaginaire, que peut évoquer cette fin du monde… Ou cet espoir d’un nouveau monde !
Parmi les temps forts intrigants du weekend, il y a aussi la performance du samedi : The End Of The World
Oui ! C’est une performance très attendue, une proposition rare portée par Lubomyr Melnyk qui est vraiment de la famille des Steve Reich et Philip Glass… C’est un pianiste de plus de 70 ans, assez rare sur scène, connu pour sa technique de jeu continu au piano. Il a lancé ce projet en 2018, puis s’est entouré de la violoncelliste Julia Kent et du collectif de Turin dont je parlais. Un projet qui récupère un certain nombre de données, notamment sur l’évolution climatique et écologique de la planète, pour ensuite les re-traiter à leur façon et ainsi évoquer le chaos, le côté prévisible et les conséquences de l’action humaine sur Terre. C’est un projet à l’intensité folle, plein de poésie.
Ce sera précédé de Cølibri, un jeune artiste nantais venu d’une scène electronica un peu plus ‘sage’ qui présente, en avant-première française, une vidéo-documentaire qu’il a lui-même réalisée : sur la ville de Kuujjuaq, perdue au fin-fond du Québec, qui a la particularité d’accueillir l’une des plus grandes décharges à ciel ouvert du Québec. Mais derrière ça, en filigrane, se dessine aussi toute l’histoire des Inuits. Et de l’abandon, par les pouvoirs publics, de cette communauté et de ce territoire.
Et puis ça se prolonge, pour la partie spectacle, jusqu’à Quitter son caillou le dimanche. Un spectacle jeune public de haute qualité technique, comme un théâtre vidéo d’objets fait par Elie Blanchard, qui a beaucoup travaillé sur des questions de fond. Là, ça traite du déracinement, du retour aux sources, de rechercher son passé et ses racines…
Dans le reste du week-end, on sent une volonté de rassembler avec des moments de communion ?
On a voulu des moments de vie, de partage, en journée et en famille. Effectivement on a l’atelier culinaire du dimanche, qui va être raccroché au spectacle Quitter son caillou. C’est une proposition de Gwendoline Bloss, artiste cuisinière designeuse, qui va ici assembler (avec les familles) des mets assiettes et desserts, pour illustrer le champ du minéral et de l’organique à travers la cuisine.
Et puis la masterclass de S8jfou, qui est la suite d’un travail au long cours puisqu’il était à Scopitone l’an dernier – on avait co-produit sa proposition avec Simon Lazarus. Il est très singulier dans son approche de la musique et de la vie. Il mène un atelier sur la façon dont on peut travailler différemment des logiciels de MAO, et notamment Ableton. Et pour lier, on a aussi des ateliers de dégustation de vins, qu’on oriente sur des choses en phase avec les notions de vins libres, natures, vins vivants. On sent le besoin de lutter pour préserver cette nature-là.
Selon vous, quel est le temps fort n°1 du weekend, s’il fallait en retenir un ?
The End of The World avec Lubomyr Melnyk. On ne met pas l’accent là-dessus parce que c’était le hasard, je n’en fais pas un argument promotionnel, mais il se trouve qu’il est originaire d’Ukraine, même s’il vit depuis longtemps au Canada puis en Europe. C’est une petite symbolique qui nous tient à coeur, car c’est un artiste extraordinaire qui sera là pour une date unique en France.
On peut rattacher ce week-end à la performance Les Aveugles, qui a lieu à peu près au même moment ?
Oui, c’est une proposition singulière du premier au 18 décembre à Stereolux, en réalité virtuelle, qui est à vivre par 12 spectateurs simultanés. On a plein de séances au fil de la journée, c’est une inspiration d’un texte belge écrit au XIXème siècle, un roman devenu une pièce de théâtre, qui traite de 12 aveugles amenés par leur guide spirituel dans la forêt, et livrés à eux-mêmes. Ils instaurent un dialogue sans se voir, sans se connaître, en attendant le retour du guide. Il y a quelque chose de très sensible, de très immersif et technologique. On reste dans le doute et l’espoir de sortir de cette situation.