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15 mars 2022

đŸ—žïž Nilüfer Yanya : Guitare héroïne de son nouvel album Painless

par Clémence Meunier

Après avoir absorbé toute la culture pop et rock britannique en l’espace de quelques années, la chanteuse et guitariste Nilüfer Yanya sort son deuxième album Painless, un disque familier, qu’on a l’impression d’avoir toujours connu, mais qui sonne pourtant nouveau. En concert ce dimanche au Trabendo Ă  Paris.

Article issu du Tsugi 147 : Radio Activity, La folle histoire des radios musicales : des pirates aux webradios, disponible à la commande en ligne.

Se plonger dans la liste des influences de NilĂŒfer Yanya revient Ă  prendre l’Eurostar fissa pour dĂ©penser toutes ses Ă©conomies chez un disquaire londonien : Radiohead, The Cure, Joy Division, King Krule, The Strokes, PJ Harvey… Ces icônes hantent les articles consacrés à la jeune chanteuse et guitariste anglaise de 26 ans, comme s’il fallait absolument comparer Nilüfer Yanya à tout ce que la musique britannique a enfanté de meilleur depuis un demi-siècle. Pourtant, c’est presque sans pression que la principale intéressée vit la sortie de son deuxième album, le bien nommé Painless. Un disque au charme inexplicable, car inclassable, où le jazz rencontre le post-rock, à moins que ce soit le rock qui ne rencontre le post-jazz, quand on n’entend pas çà et là des beats hip-hop ou la douce cavalcade de la drum’n’bass si chère à nos voisins anglais.

Sur Miss Universe, son premier album sorti en 2019, Nilüfer Yanya cherchait déjà à tout prix à abattre les murs en carton qui séparent trop souvent les esthétiques musicales. Au risque de partir un peu dans tous les sens, malgré des interludes qui venaient relier les morceaux entre eux, façon album concept. « C’était tentant de revenir avec un concept, une histoire, admet-elle trois ans plus tard depuis son appartement londonien. J’y ai pensé, mais je n’avais pas envie de trop en faire cette fois, je voulais laisser aux gens la possibilité d’interpréter les chansons, de trouver ce qu’elles voulaient dire pour eux avant tout. Personnellement, c’est comme ça que je me connecte à la musique que j’écoute, comme les Pixies, SAULT, Alabama Shakes, Elliott Smith, Big Thief, The Cure, PJ Harvey… Aussi, j’étais fière des morceaux. C’était effrayant de ne pas les “enrober”, mais c’est un sentiment plutôt agrĂ©able sur lequel plusieurs personnes sont intervenues, et ont donc apporté plusieurs vibes, nous n’étions que deux ou trois à travailler sur celui- ci, ce qui l’a rendu plus cohérent, entre pop et rock, avec tout ce qui peut aller entre les deux. »

Pas de concept donc mais un fil rouge : la guitare. C’est sur elle que Nilüfer Yanya écrit et compose, c’est elle qui est sublimée par la production de Wilma Archer, et c’est elle qui sait se faire oublier pour mieux faire ressortir une nappe, un refrain ou une belle mélodie chantée d’une voix grave, légèrement voilée. « Je ne serais pas capable de faire un disque avec uniquement ma guitare et ma voix, vu que je n’aime pas faire la même chose trop longtemps », confie-t-elle, avant de laisser son regard se perdre par la fenêtre de son appartement, le visage éclairé par la lumière étonnamment ultra-bright de l’hiver londonien.Décrocher de cette manière, ça lui arrive beaucoup. Pas par ennui ou impolitesse. Mais Nilüfer Yanya fait partie de ces gens qui s’arrêtent en plein milieu de phrase et reviennent à eux quelques secondes après pour lancer un « yeah » ou un «you know» plein de douceur. Lunaire, diront certains. Rêveuse, diront d’autres. Mais certainement pas inconsistante. Parce qu’il est des moments où elle s’anime particulièrement : pour évoquer le mouvement Black Lives Matter, la situation catastrophique de la politique de logements sociaux dans la capitale anglaise, elle qui a grandi dans des HLM du West London comme la plupart de ses amis, ou pour parler des workshops qu’elle organise avec sa sƓur pour les communautés défavorisées ou les réfugiés n’ayant accès à aucune pratique artistique. L’occasion pour les deux sƓurs de « rendre ce qu’on leur a donné quand on était enfants ».

NilĂŒfer fait du Yanya

Fille de deux artistes, métissée (sa mère est irlando-barbadienne, son père turc), sƓur d’une artiste visuelle (qui a d’ailleurs réalisé certains de ses clips), Nilüfer a grandi dans le genre d’environnements qui encouragent la crĂ©ation, la laissent mĂ»rir librement, et c’est dĂšs l’enfance qu’elle commence Ă  jouer de la guitare et Ă  Ă©crire quelques petites chansons. Tout juste vingtenaire, elle poste ses premiĂšres dĂ©mos sur Soundcloud et se fait repĂ©rer par Louis Tomilson des One Direction, qui cherche Ă  monter un nouveau girls band et faire d’elle une star. Elle prĂ©fĂšre dĂ©cliner, signe sur un label indĂ©pendant, se produit dĂšs qu’elle peut, reçoit d’excellents retours critiques, et rempile pour ce trĂšs rĂ©ussi deuxiĂšme disque oĂč elle ose petit Ă  petit Ă©crire sur ses sentiments et sa claustrophobie de citadine en plein confinement. À son rythme, en douceur, mais sĂ»re de ce qu’elle ne veut pas, avec toujours une guitare Ă  portĂ©e de main alors qu’en 2022 la six-cordes ne squatte plus vraiment les sommets des charts, trustĂ©s par le rap et le R&B. « Il y a tellement Ă  explorer avec cet instrument. Mais je garde l’esprit ouvert et j’Ă©coute Ă©normĂ©ment de choses qui ne sont pas de la « musique de guitare », comme du R&B. » Parce qu’il est besoin de le prĂ©ciser : il est dĂ©jĂ  arriver que NilĂŒfer Yanya, plus rockeuse qu’autre chose, soit Ă©tiquetĂ©e « musique urbaine ». « Les gens lisent mon nom, voient que je suis une femme, que j’ai des origines mĂ©tissĂ©es malgrĂ© ma peau blanche, et vont penser que je fais du R&B. C’est dommage qu’encore aujourd’hui certains se concentrent plus sur le nom et l’origine des gens que sur leur musique, mais j’ai surtout l’impression de voler ce qualificatif Ă  de super artistes qui le mĂ©ritaient bien plus que moi. » En même temps, pas besoin de « qualifier » Nilüfer Yanya. Elle fait du Nilüfer Yanya, point, et ça n’est que le début.

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