Neneh Cherry au Trianon : soul mother
Dans les escaliers qui mènent à la scène du théâtre, une spectatrice s’interroge : « va-t-elle chanter ‘Woman’ ? Elle est un peu obligée, non ? ». Mais Neneh Cherry n’est pas forcément là pour se livrer à un best of live. Quand elle arrive sur la scène du Trianon, après en première partie la bondissante et prometteuse Charlotte Adigéry, c’est surtout pour défendre la soul militante de Broken Politics, un dernier album qui la voit évoquer le sort des migrants, l’avortement, les sans-abris. « Voici le monde dans lequel on vit. Et je refuse de l’accepter », déclare-t-elle après avoir enchaîné plusieurs de ses récents morceaux (le mélancolique « Fallen Leaves » ou « Kong »). Les personnes venues bondir avec énergie rongent leur frein mais leur frustration est atténuée par la qualité de la musique. Si Four Tet est absent, le sextet qui accompagne la Suédoise mélange de manière très subtile machines et instruments acoustiques. Ainsi la Galloise Iona Thomas manipule au premier plan une harpe tandis que l’impressionnante Londonienne Rosie Bergonzi saute, elle, du vibraphone au clavier. Au fond de la scène Cameron McVey, mari et partenaire musical de Neneh, donne de la voix. La finesse obtenue par la troupe constitue un véritable écrin permettant à Neneh de se livrer à un tour de chant comme si elle était une diva jazz. En plus, la chanteuse ne triche pas. Quand elle se montre émue par le retour du public, il ne s’agit pas de pose. « J’ai pleuré hier. C’est la vie », déclare-t-elle avec un sourire éclatant. Revenant manifestement marquée de plusieurs dates en Europe de l’est – le droit à l’avortement est menacé en Pologne – elle déclare : « ce soir, j’ai l’impression d’être de retour à la maison ».
Alors que la plupart des chansons de Broken Politics adoptent un tempo trankilou, « Natural Skin Deep » et sa rythmique dansante viennent secouer le public comme le nerveux « Blank Project », seul extrait de l’album précédent. A bientôt 55 ans, Neneh Cherry se serait-elle totalement assagie ? Non : toujours combative et jamais fataliste, elle garde la foi. Et dès qu’elle se met à rapper, même fugitivement, un frisson parcourt les premiers rangs, encore plus ravis quand Neneh annonce une séquence old-school. « Mais pas pour la nostalgie… je ne me souviens de rien, de toute façon », lance-t-elle avant d’entonner « Manchild ». Au rappel, elle réutilise sa machine à remonter le temps pour interpréter « 7 Seconds », le tube qu’elle a obtenu avec Youssou N’Dour puis « Buffalo Stance » et « I’ve Got You Under My Skin » dans des versions totalement réarrangées et convaincantes. Pas de « Woman », donc, mais la spectatrice du début a certainement été ravie.