« Negro Swan », l’ange plein d’espoir de Blood Orange
Après une poignée d’aventures pop sous le nom de Lightspeed Champion, Devonté Hynes s’était alors métamorphosé en Blood Orange en 2011. Souvent comparé au récent gagnant du Prix Pulitzer Kendrick Lamar à la suite de son excellent album Freetown Sound, le Britannique est de retour avec un quatrième opus : Negro Swan. Enregistré aux quatre coins de la planète, il brille par un mélange subtil de r’n’b, pop progressive et rock languissant sublimé par des thèmes importants et une voix des plus envoûtantes.
Si les seize morceaux glissent parfaitement dans nos oreilles, c’est grâce au fil rouge de l’opus, mené et narré par l’écrivaine et activiste transgenre Janet Mock. Présente sur pas moins de cinq titres, en intro, outro ou dans l’interlude « Family » – déjà entendu dans le clip du fabuleux premier single « Charcoal Baby » -, sa voix nous guide dans l’histoire intimiste de Blood Orange.
Mais Janet Mock est loin, bien loin d’être la seule voix invitée dans cet album. Au fil des titres, du très beau monde se succède : Diddy – ou Puff Daddy – et Tei Shi s’approprient « Hope » quelques minutes avant une excellente collaboration avec A$AP Rocky et Project Pat sur « Chewing Gum ». Enfin, « Out Of Your League » offre un intéressant chamboulement des rôles où Steve Lacy de The Internet troque sa basse habituelle pour un clavier pendant que Blood Orange récupère son instrument phare.
En annonçant l’album, Blood Orange parlait d’une « introspection sur [sa] dépression » toutefois pleine d’espoir. Si « Take Your Time », à la croisée de Robert Wyatt et Air – c’est Devonté Hynes lui-même qui le dit – révèle le chanteur dans toute son intimité, « Runnin' » est sûrement le morceau qui caractérise au mieux l’esprit du disque. Entre démons enfouis et anxiété, les paroles sombres se voient illuminées par les couplets de Georgia Anne Muldrow, concluant par « Tout le monde passe par là, tu vas aller bien, accroche-toi à ta personnalité puissante ». On reste cependant loin de la positivité ambiante et chaleureuse du final « Smoke ». La guitare acoustique et les discussions de fond donnent au titre des allures de performance dans un jardin public. La douceur de la voix du chanteur et les choeurs solaires s’accordent à la perfection aux paroles répétées « The sun comes in, my heart fulfills within » (« Le soleil arrive, mon coeur s’épanouit à l’intérieur »).
Tout en rappelant le rêveur « April’s Daydream » issu de la bande originale de Palo Alto – que Blood Orange avait signée -, le percutant « Dagenham Dream » commence par des sirènes de police. Et c’est là que le chanteur britannique se révèle à son plus grand jour. Nommé après sa ville d’origine Dagenham, dans le comté d’Essex près de Londres, le morceau relate son enfance difficile liée à son style extravagant. Battu au point de finir à l’hôpital, il a alors été obligé de se censurer lui-même : nouvelle coupe de cheveux et adieu vernis et maquillage. En voyant cette transformation, son professeur d’anglais a pleuré. Dans l’outro, Janet Mock dit de la meilleure des manières ce qu’il n’a pas réussi à prononcer dans son titre : « Une partie de la survie est d’être capable de s’intégrer, pour être vu comme normal et « trouver sa place ». Mais je pense que, tellement souvent dans la société, afin de trouver sa place, il faut réduire des parties de nous-même. »
Auto-produit, le bijou qu’est Negro Swan nous offre un voyage à l’intérieur de Blood Orange. Personnel et mélancolique, il révèle les fragilités du musicien, entre masculinité, sexualité et couleur de peau.
En écoute :
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Blood Orange sera en concert le vendredi 2 novembre à Paris à la Grand Halle de la Villette, dans le cadre du Pitchfork Music Festival Paris.