Miro Shot : « Il est temps pour les groupes de repenser leur modèle »
Le 1er mai dernier, le groupe Miro Shot sortait Content, son premier album. Le groupe est dirigé par Roman Rappak, ancien chanteur du groupe Breton. L’occasion de nous entretenir avec lui sur cette nouvelle aventure, les ambitions du collectif ainsi que son rapport aux nouvelles technologies.
« Faire un album comme l’on fait un trip, un voyage semé de rencontres pour cerner notre époque et en restituer la pulpe. » Voilà l’ambition que s’était donnée Miro Shot pour la réalisation de l’album, son premier, mi électro mi post-rock Content, qui est sorti le 1er mai. Ce groupe est un collectif collaboratif de plus de….450 membres. À sa tête, on retrouve l’ancien chanteur du groupe anglais Breton, Roman Rappak. Miro Shot n’est pas moderne uniquement dans son choix d’inventer un nouveau format de groupe, mais il s’inspire également des nouvelles technologies pour créer son processus artistique inédit. Son leader nous explique les détails d’une formation vraiment pas comme les autres.
Comment définis-tu Miro Shot ?
Le son du groupe est en évolution constante. Nous nous centrons autour de l’idée de “Le futur est déjà là — il n’est simplement pas réparti équitablement.” Les genres commencent à se fondre de la même manière que les sons se mélangent. La technologie que nous utilisons pour créer ces expériences, cette musique, et nos films, évolue et change tous les mois, surtout en ce qui concerne la réalité augmentée et virtuelle. La façon dont nous écoutons la musique a changé, ainsi que la façon dont elle est produite et distribuée. Il est temps, pour les groupes, de repenser leur modèle qui est basé sur une industrie qui a maintenant 70 ans, et dont le fonctionnement actuel est totalement différent qu’à ses débuts. C’est pareil pour les producteurs, pour les chanteurs de musique pop et les rappeurs. Miro Shot ne pouvait qu’être “agnostique” en termes de genre musical, parce que s’identifier avec un “genre” serait en désaccord avec le monde dans lequel nous nous trouvons, et que nous essayons de décrire avec notre musique. En tant qu’outil expressif, notre ancien modèle de l’industrie musicale est caduc. Cette idée va plus loin que le genre musical.
Comment as tu lancé Miro Shot après Breton ?
La façon dont notre groupe est composé est une évolution par rapport à l’approche traditionnelle. Nous avons fondé une start-up en 2018, avec des actionnaires, et une politique de collectif ouvert que tout le monde est invité à rejoindre. À ce jour, plus de 500 personnes se sont inscrites, et chacun a la possibilité de contribuer. Nous ne parvenons pas encore à savoir si nous sommes un groupe qui peut fonctionner dans le monde tech ou si on est une compagnie de tech qui est en tournée pour promouvoir un album, et tout ça ne change rien au fait qu’il semblerait qu’on soit les deux en même temps. On va au-delà des streams, des ventes de billetterie, et du merch. Certains nous ont décrits comme “un groupe qui essaie d’envahir la Silicon Valley”, mais nous faisons juste ce que les groupes font depuis toujours : recueillir les sons, les technologies, et les histoires qui nous entourent pour créer l’album auquel nous croyons. À beaucoup de niveaux nous sommes un groupe très traditionnel. Nous créons des expériences immersives autour de notre musique, à CBK à Amsterdam ou à La Gaité Lyrique à Paris, où nous avons réalisé le premier spectacle interactif en réalité virtuelle. Nous avons également joué dans des hangars décrépits à Hambourg devant un public de hippies et d’addicts à l’adrénaline, et nous avons joué au Princess Anne Theatre à Londres pour un public d’artistes et de technologues. Nous créons et utilisons les outils que nous pensons les plus à même de pouvoir dire les choses d’une manière nouvelle, ou dire une nouvelle vérité, de la même façon que La Nouvelle Vague, qui utilisait de nouveaux outils pour voir le monde a travers de nouveaux yeux, plus honnêtes.
Combien d’artistes de Miro Shot ont participé à Content et comment s’est déroulée la conception du projet à distance ?
Chaque aspect de notre album, la direction artistique, les vidéos, les t-shirts ou même les posters sont fabriqués en collaboration avec la communauté. Pour notre dernière vidéo nous avons reçu des centaines d’images, de sketchs, de clips incroyables, des vidéos allant de la ville de Buenos Aires aux centres commerciaux de Tokyo, prises par téléphones. Dans le cas de nos vidéos, nous envoyons les paroles avec une trame approximative aux membres du collectif, mais sans exiger qu’ils contribuent à quelque chose de précis. De là, s’articule une espèce de cadavre exquis dans lequel chaque vidéo devient plus que l’oeuvre de l’un des artistes en particulier et dépasse une unique interprétation. Le travail à distance c’est quelque chose qui nous vient de manière très naturelle, et c’est fascinant de travailler avec un codeur à Paris, un photographe à Berlin ou un designer graphique en Nouvelle-Zélande. Ils apportent des choses différentes au rendu. Les musiciens sont très habitués au travail à distance, et c’est un autre exemple brillant de l’idée de Marshall Mcluhan, qui disait que « L’art est une sorte de système de détection à distance qui nous permet de détecter des phénomènes sociaux et psychologiques assez tôt pour nous y préparer ». Pour comprendre ce qu’il va se passer à l’avenir, il faut écouter et regarder ce que font les artistes. C’est assez évident quand on regarde ce qu’il s’est produit dans les derniers mois. Le confinement a changé de manière profonde la façon dont chacun interagit avec la technologie, les gens vivent de manière beaucoup plus virtuelle finalement en ce moment. C’est quelque chose que les musiciens et autres artistes font depuis plus d’une décennie. Les artistes habitent en quelque sorte dans leurs morceaux, dans leurs tableaux ou films. Une chanson est un environnement virtuel, une simulation de la même expérience sur scène, ou au cinéma, ou même dans la voiture en écoutant le morceau.
« La vocation de Miro Shot est celle d’apprendre à utiliser ces nouveaux outils pour en faire quelque chose de profond et de beau, avant qu’ils ne se dressent contre nous. »
Dans un entretien accordé aux Inrockuptibles, vous aviez déclaré : « Je crois qu’un groupe doit fonctionner comme une histoire ». Quelle est l’histoire de Miro Shot ?
Dans un certain sens je continue à le croire. Mais peut-être que j’aurais dû être plus clair. Ce que je voulais dire par là, c’est que l’art est toujours une question de narratif. C’est une erreur de penser que l’art se réduit à une belle image, une chanson bien écrite ou peut-être un film qu’on aime, ou même que les gens se rendent dans une galerie d’art dans le but de voir de belles couleurs, ou encore au cinéma pour voir de belles images. La vérité, c’est que les humains adorent les histoires, et sont séduits par le schéma narratif de l’oeuvre. Avec Miro Shot, ce qu’on essaie d’exprimer sur l’album ce n’est pas simplement des morceaux qui sont cool. L’histoire qu’on essaie de communiquer, c’est celle du groupe en lui-même, ce sont les contradictions face auxquelles on se trouve quand on essaie d’écrire en album en 2020. C’est notre premier album, alors évidemment on essaie beaucoup de choses, on tente de comprendre qui on est en tant que groupe et de comprendre le monde autour de nous. C’est toujours une histoire, mais finalement l’histoire d’un groupe et celle du monde autour de nous. Nous vivons une époque pendant laquelle ces mêmes outils sont en train de fragmenter et de déformer non seulement notre société, mais notre sens même de la réalité. La réalité virtuelle en est une métaphore parfaite. Il n’y a pas besoin de mettre un casque de réalité virtuelle pour faire disparaître la réalité, et se voir soi-même et les autres de manière différente. Il suffit d’allumer son téléphone. La vocation de Miro Shot est celle d’apprendre à utiliser ces nouveaux outils pour en faire quelque chose de profond et de beau, avant qu’ils ne se dressent contre nous.
Comment a évolué votre place d’artiste au sein du collectif par rapport à l’époque de Breton ?
Ma place en temps qu’artiste a changé parce que le monde a changé. Globalement, je trouve que le rôle d’artiste dans la société a changé ou peut-être évolué. Dans une interview, David Bowie parlait justement de l’artiste, de son rôle et sa place, et la manière dont l’art moderne et même postmoderne laisse une place grandissante au public. L’art finalement devient une co-construction avec le public qui participe au processus créatif et décide de la manière dont il va interagir avec, et consommer, ce que l’artiste a créé. Par extension, l’oeuvre, telle que présentée par l’artiste, devient simplement le début de l’histoire de l’oeuvre, qui est alors appropriée et remaniée par le public. En contrepartie, consommer une oeuvre devient un processus d’interaction avec le monde de l’artiste. L’un des plus grands artistes que j’ai rencontré à Paris en écrivant cet album est Raoul Barbet. Il est l’exemple parfait d’un créateur français moderne, qui apprend à s’exprimer au travers d’une nouvelle forme artistique. Sans faire trop de bruits, il est devenu l’un des artistes les plus respectés dans son champ. Il a un talent rare et est pour moi une grande source d’inspiration.
Pour revenir sur le thème très actuel de notre rapport aux nouvelles technologies. Ce projet est rempli de pensées et de références au numérique. Comment vous situez-vous face à cette utilisation des technologies s’installant de plus en plus naturellement dans nos rapports avec les autres?
Le but de notre groupe est justement de donner un autre regard concernant le rôle de la technologie dans nos vies quotidiennes. La technologie n’est pas froide et contre nature, en référence à Marshall McLuhan, c’est “l’extension de notre système nerveux central.” Avec Miro Shot, nous essayons de donner un modèle, une hypothèse, pour faire en sorte que ces technologies soient au service d’un avenir plus beau. Les principaux thèmes évoqués dans l’album lancent un message d’espoir, voire de résistance. Notre collaboration est un tableau vivant de cet avenir possible, un système collaboratif entièrement virtuel où les membres participent ensemble à la construction d’un monde meilleur.
« Si un groupe peut effectivement lancer un défi à la Silicon Valley alors peut être que tout n’est pas perdu. »
En laissant à chaque individu l’opportunité de participer au collectif, on retombe un peu sur les prémices d’un internet collaboratif, alors qu’un des thèmes principaux de l’album est l’ère numérique dans laquelle nous vivons actuellement. Est-ce un choix délibéré?
C’est une question très intéressante, avant tout parce qu’elle implique que nous avons déjà perdu la lutte pour la liberté de l’Internet, (telle que articulée dans la Déclaration d’indépendance du cyberspace). À plusieurs niveaux, je suis d’accord avec cette idée. L’internet (et de manière plus large l’utilisation de la technologie) était censé refléter la beauté et la liberté, mais si on pense aux faits relatifs à la Cambridge Analytica, ou aux fake news, il est facile de devenir pessimiste, et de se dire que tout est perdu. Cependant, à tous ceux qui pensent qu’effectivement nous avons perdu la guerre, et que nous sommes maintenant voués à vivre dans un monde Orwell-Zuckerberg, je voudrais dire qu’il y a un mouvement qui commence, un nouveau champ de bataille : la technologie et la réalité virtuelle. Miro Shot est en première ligne pour mener ce combat. Si un groupe peut effectivement lancer un défi à la Silicon Valley alors peut être que tout n’est pas perdu.