MDRNTY Cruise : journal de bord de la croisière la plus démontée de l’histoire
Mercredi 20 septembre 2017, sur le port de Gênes, Italie. Nous montons à bord d’un bus qui doit nous ramener à l’aéroport de Nice. Il est à peine 10h du matin. A l’intérieur, des gens ivres de fatigue affichent un sourire béat. Ils n’en reviennent toujours pas des quatre jours hors du temps et de l’espace qu’ils viennent de passer à bord du MSC Magnifica, un immense bateau de croisière. A vrai dire, on ne peut pas vraiment la ramener, notre état n’est pas très différent du leur. Sur le paquebot, la musique s’est arrêtée il y a deux heures à peine. Voilà quatre jours que les BPMs s’y sont exprimés sans discontinuer. L’alcool et la nourriture y étaient servis à volonté, gratuitement. L’orgie. On retrouve l’un de nos confrères journalistes qu’on avait égaré sur le dancefloor on ne sait plus trop quand. Lui n’a pas dormi depuis trois jours. Sa cabine était située juste sous la scène diurne qui offrait de la musique de 7h à 20h en plein air avec piscine et jacuzzi. Il n’a pas osé demander une autre chambre plus excentrée. Il est au bout de sa vie et ça se voit. Mais il n’exclut pas de revenir l’année prochaine. A l’aller, on avait évoqué avec lui les exploits de Kilian Jornet, l’alpiniste de l’extrême qui a escaladé l’Everest en courant. La MDRNTY Cruise est au clubbing ce que l’ultra-trail est au semi-marathon : un truc de jusqu’au-boutistes. On rassemble nos souvenirs et on reprend tout depuis le début. Journal de bord de la croisière la plus démontée de toute l’histoire.
Samedi 16 septembre. A l’invitation de nos amis suisses de MDRNTY – organisateurs entre autres du Caprices Festival de Crans-Montana – nous voilà débarquant au port de Gênes pour la première édition de la MDRNTY Cruise. L’agence basée à Lausanne avait déjà proposé des plans dans des lieux insolites, parfois en mouvement notamment dans une montgolfière avec Magda ou encore une télécabine avec Jamie Jones. Mais le défi de remplir un paquebot de croisière était d’une tout autre envergure. Ce n’est pas historiquement la première croisière électro, il existe déjà « The Ark » organisée par une agence belge et le Ministry Of Sound londonien, mais la MDNRTY se présente comme « underground ». Point d’EDM ou de « deep soupe » ici. Ça s’annonce donc plutôt bien. Arrivés devant le bateau c’est déjà le premier choc. Le bâtiment est un monstre, un véritable immeuble flottant. 300 mètres de long, 40 de large, 15 ponts – étages si vous voulez – 1000 membres d’équipage. On ne s’est pas foutu de notre gueule. Evidemment, on a en tête une image de la croisière avant tout destinée à de paisibles retraités ou à des familles avec enfants profitant à fond des escales organisées. Mais on sent bien en scrutant nos compagnons à l’embarquement, que l’ambiance sera ici tout autre. Après avoir pris nos quartiers, fait un tour du bateau – ne pas se faire piéger au casino, ne pas se faire piéger au casino, trop tard ! – retrouvé nos contacts de l’organisation pour les accréditations, mangé un morceau et fait une petite sieste – on est parti très tôt de Paris – on se lance à l’assaut du principal : la fête quoi !
Dimanche 17 septembre. Le navire a largué les amarres la veille vers 18h00 et il est déjà plus de minuit quand on foule pour la première fois le dancefloor, tandis que le bateau longe la Côte d’Azur toute illuminée. C’est Sven Väth qui est aux platines, « papa Sven » qu’on avait déjà aperçu en fin d’après-midi lors de l’exercice d’évacuation. Sage, il s’était pointé comme nous avec son gilet de sauvetage près d’une sortie de secours, à l’inverse d’un grand nombre de festivaliers déjà bien entamés et qui n’avaient visiblement jamais entendu parler du Titanic ou du Costa Concordia. Sven mixe toujours au vinyle, au grand dam de certains qui lui reprochent de toujours jouer les mêmes morceaux. C’est vrai, on a entendu « Domino » d’Oxia ou « Memory » de Paul Nazca mais on ne va pas faire la fine bouche. On hallucine complètement de se retrouver là à danser sur de la techno sur cet imposant navire. On repense à nos premières années de fêtes électroniques à se cacher dans des clairières paumées avec les flics qui nous attendaient à la sortie. Que de chemin parcouru… En cette première nuit le public est plutôt calme et clairsemé. On apprendra plus tard que le bateau a embarqué environ 2000 fêtards alors qu’il pouvait en accueillir plus de 3000. Les prix sans doute, en ont découragé beaucoup. A 700 euros par personne au minimum pour les cabines les moins confortables – sans vue extérieure ou balcon – et même si la nourriture et l’alcool sont servis à volonté, l’événement n’était pas accessible à tous. Pour tout vous dire c’est ce qui nous faisait un peu peur au départ d’ailleurs. L’idée de ne se retrouver qu’au milieu de personnes évoluant dans des milieux très aisés ne nous enthousiasmait que moyennement. Mais en discutant avec un peu tout le monde on se rend vite compte que, pour cette première édition, le crew MDRNTY a invité de nombreux « leaders d’opinions » pour communiquer sur l’événement. Journalistes, community managers de pages Facebook, blogueurs… Cela assurait au final une mixité sociale salutaire. On conclue cette première nuit avec le set techno plus frontal d’Anthea qui joue dans un espace habituellement réservé à la piscine couverte et pour l’occasion transformé en un dancefloor. C’est d’ailleurs cet endroit qu’on a préféré, les deux autres dancefloors nocturne ressemblant plus à des discothèques classiques, un peu kitsch même. L’après-midi on profite de l’escale à Barcelone pour flâner dans la ville et se reposer les oreilles. Tandis que les plus acharnés ont filé sur la colline de Montjuïc pour le Brunch Electronik, on préfère admirer le coucher de soleil depuis les hauteurs du Parc Güell.
Sven Väth lors de la croisière MDRNTY
Lundi 18 septembre. Le bateau a déjà repris la mer, direction Majorque puis Ibiza. On spécule sur le nombre de personnes qui vont se perdre dans les clubs de l’île au point d’en oublier de revenir à temps. Le bateau est un peu plus rempli, de nouvelles personnes sont montées à bord à Barcelone et l’ambiance s’en ressent. Les fêtards ont pris leurs repères et commencent à se lâcher. On croise des gens improbables, comme cette vieille connaissance, artiste dans le milieu de la free party, qu’on n’aurait jamais imaginé voir ici. On est tellement surpris de se revoir là après 10 années sans trop de nouvelles qu’on se prend dans les bras. Il est temps d’aller danser un peu. On ne tient pas vraiment en place, passant de Ripperton à Martin Buttrich avant d’aller écouter le duo helvétique Adriatique. Mais cette nuit-là c’est DJ Tennis qui finit par remporter nos suffrages avec un set bien emmené et surtout pas monotone, surfant avec aisance entre électro, house classique et phases bien plus deep. Malheureusement pour lui, il est programmé dans le club le plus excentré, un peu caché à l’arrière du bateau et joue devant seulement quelques dizaines de personnes. On rentre dormir un peu non sans faire quelques rencontres surréalistes dans les couloirs. Comme ce type aperçu vers les 6 heures du matin, le pantalon baissé et semblant complètement perdu. On lui demande si tout va bien, il ne répond pas, nous laisse passer avec notre copine bras dessus bras dessous puis finit par nous interpeller à une dizaine de mètres : « Are you gay ? ». Le gars avait visiblement confondu MDRNTY Cruise et cruising bar. On préfère se reposer un peu, faisant l’impasse sur l’escale matinale de Majorque – dont on a aperçu les magnifiques montagnes – pour profiter à fond de l’après-midi en mode danse, piscine et jacuzzi. Le ciel est bleu, la Méditerranée défile de chaque côté de notre champ de vision, on pense aux copains en train de bosser à Paris. A tel point qu’on en oublie qu’on est en train de se trémousser sur la tech-house minimale sans grand intérêt du DJ Archie Hamilton. Les rivages d’Ibiza se profilent à l’horizon. On sent l’excitation monter d’un cran. On entend une voisine de cabine s’exclamer depuis son balcon « Oh My God ! Ibiza ! ». Evidemment on rejoint la terre ferme, non pas pour aller clubber comme nos amis les marathoniens mais pour visiter la vieille ville, son château et ses petites ruelles pleine de charme. On croise une sorte de fanfare qui fait la promotion de la soirée du Pacha. Mais on préfère rejoindre notre bateau. Il y a du lourd aussi ce soir à bord.
Sebastian Mullaert en live
Mardi 19 septembre. C’est déjà l’avant dernière nuit. Les dancefloors sont un peu plus calmes que la veille. Beaucoup ont préféré sortir à l’Amnesia – où joue encore Sven Väth avec les mêmes disques – ou le DC10. On a de la place pour danser et ce n’est pas plus mal. On ne voulait pas louper le live de Sebastian Mullaert – moitié de Minilogue – et on a bien fait. L’Allemand extirpe de ses machines une deep techno mélodique et raffinée sur laquelle viennent se plaquer des ritournelles de claviers jazzy. Un régal, une des meilleures prestations de la croisière, sans hésitation. On déambule, mais on n’est pas plus excités que cela à l’idée de voir Jamie Jones alors on passe écouter Magda, exilée dans le fameux club excentré à l’arrière du navire, dur à trouver. Elle joue entre acid-house et productions minimales mais surtout devant un public plus que clairsemé – cet espace aura décidément porté la poisse aux DJ conviés. A tel point que son agent nous interpelle et nous interdit de prendre des photos de sa « star » devant si peu de monde. On en rigole tout en se disant que la techno a bien changée et pas toujours en bien. Dans la matinée, les Parisiens de dOP on parait-il effectué un excellent live sur le pont extérieur mais notre corps nous avait intimé à ce moment-là de faire une pause. Dans l’après-midi, on retrouve Bill Patrick B2B Shaun Reeves B2B Crosson mais une autre invitée imprévue vient se joindre à nous : la houle. Les artistes et le public sont transférés à l’intérieur. On part faire une pause dans notre cabine et c’est parti pour 3 ou 4 heures de mal de mer. On parvient finalement à vaincre notre malaise pour aller écouter Guy Gerber. On ne fera pas de jeux de mot douteux avec son blaze et notre état physique à ce moment-là. En fait, ce qui nous a fait fuir, c’est la présence du MC de dOP qui improvise sur le set de Guy. Il répète toujours la même chose « Are you on ? Are you on ? ». Il nous les brise menu et on en profite pour filer au Cabaret Bizarre dans le théâtre du paquebot où le projet d’un type est notamment de s’agrafer les avant-bras. Bizarre vous avez dit ? C’est la dernière nuit, il faut en profiter. On retrouve Livio & Roby pour une tech-house d’after planante et sympathique. On commence aussi à faire le bilan de cette MDRNTY Cruise. On a été reçu comme des pachas, on s’est éclatés comme rarement et on a rencontré des gens aussi improbables qu’attachants. Et puis, danser pied nus sur le pont d’un paquebot au soleil avec la mer à perte de vue de chaque côté est une expérience inoubliable. Mais s’il fallait émettre quelques critiques on en verrait principalement deux. La programmation de la part de MDRNTY d’une part, un peu trop uniforme à notre goût. House, tech-house, minimale, techno soft. On aurait aimé entendre d’autre chose notamment en journée. Un set disco, funk, garage à la Body & Soul par exemple. Ou du reggae, du dub, du trip-hop, de la musique pour chiller un peu. De la techno plus mentale et sévère la nuit aussi. De la bass music pourquoi pas. D’autre part le principe de la croisière « all inclusive » avec des gens pas toujours sensibilisés aux problématiques du gaspillage, de l’écologie, de la surconsommation. On prend un verre, on le pose à moitié plein quelque part, on l’oublie, on s’en fout on en reprend un autre, c’est gratuit. Ces considérations établies on rejoignait Ben Klock pour le dernier set de notre séjour. Intro deep-house avant une longue montée techno. Merde, il est 6 heures du matin. Il faut libérer notre chambre dans une heure et demi. Puis prendre le bus…
Ben Klock en conclusion énergique