Manu le Malin : “H.R. Giger m’a vraiment nourri en tant qu’artiste”
Comme vous l’avez sans doute appris, Hans Ruedi Giger, l’homme qui a façonné toute la direction artistique d’Alien mais dont l’oeuvre générale a contribué à la reconnaissance d’un véritable mouvement esthétique, est décédé la semaine dernière. Manu le Malin, incontournable patron de la scène hardcore en France et également apôtre techno sous le nom de The Driver, est probablement l’un de ses plus grands fans français. Il lui tire sa casquette en quelques mots, avant de composer son DJ bag pour le Weather Festival.
Tsugi : Comment as-tu réagi lorsque tu as appris la mort de H.R. Giger ?
Manu le Malin : Honnêtement, j’ai été sonné. J’ai eu besoin de me lever tôt toute la semaine dernière, c’est un ami qui me l’a appris en m’envoyant un texto dans la matinée de mardi. Sur le coup, je n’ai pas bien réalisé. Giger est quelqu’un dont je suis les travaux depuis très longtemps, bien avant que je ne me mette à mixer, je suis extrêmement attaché à cette esthétique. J’ai un rapport particulier avec la mort, sûrement parce que j’ai eu l’occasion de perdre pas mal d’êtres qui me sont chers au long de ma vie, du coup je suis pudique avec ça. Sur mes pages Facebook, je me suis contenté de mettre un petit mot, plutôt que de ressortir des tas de photos. J’ai eu beaucoup de témoignages de sympathie, mes soeurs qui habitent aux USA m’ont envoyé un message de condoléances… C’est seulement quelques jours après, chez moi au calme, que j’ai compris qu’il était vraiment parti. Tiens, à l’heure où je te parle, j’ai des bouquins de lui à portée de main, ça peut paraître un peu mystique, mais c’était vraiment quelqu’un qui m’a nourri en tant qu’artiste.
Tu as eu l’occasion de le croiser, notamment pour l’enregistrement de Biomechanik 3 ?
Ma première rencontre avec lui remonte à bien avant. C’était en 1997, je me rappelle avoir appris qu’il venait à Paris pour une séance de dédicaces de son dernier bouquin à la librairie Arkham (célèbre établisement de la rue Soufflot à Paris aujourd’hui fermé, ndlr). Je me suis donc pointé avec le livre sous le bras, et également avec un CD de Biomechanik, le premier du nom, que je venais tout juste de sortir. Dans la file d’attente, un type vient me voir, il s’agissait de son attaché de presse francophone, qui m’avait reconnu. “Vous êtes Manu le Malin, non ? Venez, on peut couper la file si vous voulez”. Moi, ça m’a gêné, je ne me voyais pas passer devant tout le monde alors que j’était déjà un peu retourné à l’idée d’arriver devant lui… Par contre, il m’a proposé de rester à un petit apéro privé juste après la dédicace, en plus petit comité, ce qui m’a permis de le rencontrer en vrai face-à-face… J’étais tétanisé, j’ai balbutié deux-trois mots d’anglais, et j’ai réussi à lui donner mon fameux CD. Je ne l’ai revu que quelques fois depuis…
Comment est venue l’idée de te filmer en train de mixer dans son musée à Gruyères en Suisse ?
En fait, c’est Antoine Kraft qui a lancé l’idée. J’avais déjà sorti deux épisodes de Biomechanik et je n’avais vraiment pas prévu d’en faire un troisième, j’avais vu ça comme un diptyque dès le départ. Bref, je tournais un peu en rond à cette époque, et Antoine m’appelle en disant “vas-y, il faut qu’on te bouge, on en fait un troisième”. Mouais, non, pas envie. “Tu sais quoi, on n’a qu’à le faire chez Giger, et on capte le truc en vidéo pour faire quelque chose de lié à son univers”. L’idée était séduisante mais infaisable selon moi, je pensais qu’ils allaient refuser, j’ai laissé Antoine tenter le coup. Et ils ont dit oui, et là je me suis dit “OK, je lui dois une fière chandelle à mon pote”.
Monsieur Giger n’a pas pu être là pour l’enregistrement, il était retenu à Zurich, mais on s’est dit une fois là bas que c’était tout de même le moment de demander à son équipe s’il était possible d’utiliser une création de lui pour illustrer l’objet qui finirait en bacs. Forcément, ce n’était pas une création originale, mais il a accepté de poser sa signature sur la maquette de la pochette, qui reprenait une de ses oeuvres. Je crois que c’est un des trucs dont je suis le plus fier, sachant que Giger n’a pas réalisé beaucoup de pochettes d’albums… Une fois le coffret édité, j’ai tenu à lui en amener une copie personnellement. Je me rappelle que lorsque je lui ai donné l’objet, il a tout de suite prononcé des mots en allemand à son attaché de presse qui m’a traduit : “il trouve étrange qu’il n’y ait aucune inscription, aucune mention de votre nom, comment comptez-vous le vendre ?”. Bon, je lui explique le coup du film plastique avec l’autocollant avec mon nom dessus quand on le trouve en rayon, pour pouvoir apprécier un objet vierge de toute inscription une fois déballé… Et puis pour être honnête, je me voyais mal écrire Manu Le Malin en gros sur un création de Giger. On lui explique… Il ne dit rien, et il me regarde avec un sourire approbateur et entendu. J’espère qu’il a apprécié la démarche, en tout cas.
Tu as récemment sorti un maxi sous ton alias The Driver avec Electric Rescue sur Astropolis Records. Tu te vois te remettre à la production ?
C’est vrai qu’avant ce maxi, je n’avais rien sorti depuis huit ans… Les gars d’Astro m’ont vraiment aidé à me sortir de mes doutes il y a quelques années, et ils ont eu une réelle envie de développer ma facette The Driver, davantage que celle, plus hardcore, de Manu le Malin. Je me vois avant tout comme un DJ, mais si je me remets à produire, ça sera naturellement chez ces gars-là. On a développé une confiance et une amitié réciproque, ils bossent à mon rythme, ils ne m’imposent rien si ils sentent que je ne ne suis pas prêt… Eux-mêmes seraient du genre à prendre contact avec d’autres labels pour que je puisse sortir quelque chose chez eux, tu vois ? Bref, pour répondre à ta question, je bosse toujours, je n’ai rien de prévu pour le moment, mais sait-on jamais. On va déjà essayer de souffler les 20 bougies du festival avec la manière.
The Wolves (Astropolis Records)
Le 7 juin au Weather Festival (Paris)
Le 5 juillet à Astropolis (Brest)
Réécoutez le podcast 315 : The Driver & Electric Rescue