Livestreams : qu’en pensent vraiment les clubbeurs ?
Clubbing à domicile, livestream… Les alternatives au live, qui ont explosé lors du premier confinement, ne cessent de saturer nos fils d’actualité. Mais ont-elles réellement conquis les clubbeuses et clubbers ? Quelle consommation en font celles et ceux qui, jadis, se rendaient à un concert ou à une soirée au moins une fois par semaine ? À l’aube d’un nouveau confinement national et d’une potentielle nouvelle vague de concerts et DJ sets en livestream, nous sommes allés à la rencontre du public pour connaître son avis sur ce pansement 2.0.
Si le livestream s’est largement démocratisé pendant le confinement de ce printemps, on a tendance à oublier que ce palliatif virtuel existe déjà depuis un moment, notamment avec Boiler Room dès 2010, des soirées club filmées puis misent en ligne sur Internet, ou encore utilisé par les webradios comme Tsugi Radio, Rinse France ou Le Mellotron, pour promouvoir les DJ sets de leurs invités. Léna, 22 ans, avait pour habitude de consommer régulièrement de livestreams. Pratiquant elle-même le mix, elle a profité de l’engouement récent pour ce support pour s’approprier le concept et diffuser des lives de son collectif. “Ca permettait de faire découvrir, à celles et ceux qui n’étaient jamais venu·e·s à nos soirées, notre univers et nos sets.”
« Comme tout le monde, je me suis dit que le livestream allait être un super moyen de garder le lien entre les artistes et le public. »
Idem pour Ronan, 49 ans, également membre d’un collectif : “Lorsque j’ai vu la naissance de pages comme Coro Rave en mars dernier, j’ai trouvé ça génial ! Comme tout le monde, je me suis dit que le livestream allait être un super moyen de garder le lien entre les artistes et le public”. Une solution qui a, en effet, ravi plus d’un·e (pendant un temps du moins), car pour Brendan, 23 ans, quand on aime se rendre en soirées électroniques, on aime aussi passer du temps seul chez soi, à écouter, fouiller à la recherche de sons qui rappellent les sensations ressenties en club ou en teuf. “C’est ce que j’aime justement en lançant un livestream : reconnaître l’excitation qui te gagne au moment où tu te prépares, avant de partir en soirée.” À défaut de pouvoir retrouver l’énergie de la fête, les accros de la musique se retrouvent donc derrière leurs écrans, à la recherche de sensations et de nouvelles expériences. “Tu bois ta bière, t’es cool, un peu comme tu écouterais un bon disque dans ton salon”, explique Ronan.
Le livestream, un plaisir solitaire comme un autre ?
Mais tout le monde ne partage pas toujours ce même enthousiasme. Pour Jérémy, 23 ans, fidèle raver, il y a une certaine tristesse à se retrouver seul devant un live qui, à la différence d’un album, est conçu pour exister et être partagé sur scène. “C’est pour cette raison que je n’ai cliqué sur aucune notification ou vidéo qui défilait dans mon fil d’actu. Je préfère traîner sur SoundCloud à la recherche de sons propres et nets que de regarder une vidéo à la qualité, la plus souvent, mauvaise.” D’ailleurs, du côté des organisateur·ice·s d’événements, certain·e·s ont refusé l’alternative du livestream, comme Yannick Rouillon, 30 ans, responsable de la communication du Sziget Festival. “Nous avons ressenti une réelle déception après l’annulation du festival, alors nous avons choisi de ne pas proposer de livestreams afin de ne pas frustrer davantage les festivalier·e·s.”
« Le live n’a plus aucun intérêt quand on ne le vit pas debout, bien entouré·e·s, avec les oreilles qui bourdonnent et les yeux émerveillés par les lumières. »
En effet, pour certain·e·s féru·e·s de soirées et de festivals, il a été, dès le départ, hors de question de se consoler dans les bras d’Internet. “Le live n’a plus aucun intérêt quand on ne le vit pas debout, bien entouré·e·s, avec les oreilles qui bourdonnent et les yeux émerveillés par les lumières” témoigne Amandine, 25 ans. “Le livestream, je ne pense pas qu’on le consomme pour combler le manque de soirées, parce que c’est impossible. Personnellement, je le fais davantage pour soutenir les copains et copines qui font ça chez eux” commente Enora, 21 ans. À cela s’ajoutent les difficultés de concentration : “Contrairement au podcast, il n’y a pas la possibilité d’avancer ou de réécouter un passage. J’avoue que j’ai beaucoup de mal à en regarder en entier.”
Saturation de l’offre
En tant qu’artiste, Léna le reconnaît : le livestream est devenu un outil indispensable pour garder le moral pendant la crise, notamment face aux annulations successives des dates… “et puis, lancer la caméra et se retrouver en direct, c’est plus fort en adrénaline que d’enregistrer un podcast où l’on peut jouer plusieurs fois la même transition”, ajoute-t-elle. En tant que consommatrice, en revanche, le discours est différent : “Certes, il y a quelques livestreams que j’ai adorés comme ceux de Rebeka Warrior et de Vitalic lors du festival en ligne “Paris is Boiling”, via Mixmag, mais dans l’ensemble, je ne suis pas conquise par le concept. Aussi paradoxal que ça puisse l’être, je suis même plutôt saoulée de constater qu’on se retrouve tou·te·s à faire de la e-scene, bien que je comprenne l’intérêt et que je le pratique moi-même.”
« N’importe qui s’improvisait DJ… J’ai fait une overdose. »
Pour Ronan, la désillusion a été progressive. “Après la grosse vague des mois de mars, avril et mai, tous les murs de mes réseaux restaient saturés de propositions. N’importe qui s’improvisait DJ… J’ai fait une overdose.” C’est donc à partir du mois de juin, que ce clubber invétéré a arrêté de cliquer systématiquement sur les notifications. “J’ai préféré établir une sélection d’artistes et de plateformes. Aujourd’hui, je continue de garder un œil sur celles de HÖR à Berlin, de Rinse, du Rex et sur l’activité de Gilles Peterson.”
De la musique malgré les clubs fermés, mais à quel prix ?
Dans ce contexte, plusieurs plateformes ont vu le jour, proposant des livestreams payants ou de nouveaux concepts interactifs pour continuer à faire vivre la fête, comme Shotgun Disdancing, technoclub.net, DJing, ou les festivals We Love Green et Exit 2020, pour pallier leurs annulations physiques. Malgré sa réticence, Léna a tout de même tenté quelques expériences. “J’ai une fois accepté l’invitation d’une amie sur Zoom. On pouvait voir les gens danser, c’était plus intimiste que les livestreams que j’avais pu regarder jusqu’alors sur Facebook. J’ai aussi essayé « Berlin.club« . On pouvait cliquer sur des onglets » WC », ou « Bar ». Une pinte achetée correspondait à un don pour une association. C’était marrant, mais ça reste des expériences, rien de plus. »
« Je suis prêt à mettre quinze euros par séance de stream. Quand on pense à l’argent que l’on dépensait avant en soirée, ça reste dérisoire. »
À la question « es-tu prête à payer pour consommer du livestream ? », la réponse est nuancée. « S’il y a une rémunération directe de l’artiste, pourquoi pas ? Mais s’il s’agit de grands groupes, comme Minecraft, qui avait réalisé son festival en ligne pendant l’été, non merci. Ma curiosité est piquée mais l’expérience devient un peu chère.” En revanche, quand on se considère “consom’acteur” comme Ronan, il paraît naturel de payer pour avoir accès à la musique. “Je suis prêt à mettre quinze euros par séance de stream. Quand on pense à l’argent que l’on dépensait avant en soirée, ça reste dérisoire. Et puis, il s’agit surtout d’une logique de consommation équitable.”
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Avec le confinement, les concerts dans les jeux vidéo se multiplient
Léna, toujours désapprobatrice, a du mal à s’imaginer revoir le budget qu’elle consacre déjà à la musique (matériel, disques…). “Le budget qui pourrait se créer pour regarder des lives en solo part plutôt dans les bars, où il y a une interaction réelle, où on sent le partage et la fête.” “Et puis si on continue dans la logique de consommation équitable, il existe d’autres alternatives”, ajoute Baptiste, 25 ans. “Personnellement, je continue de commander et d’acheter tous mes disques sur Bandcamp qui reverse, à certaines dates, 100% des ventes aux artistes.”
Davantage de vidéos-souvenirs que de livestreams (et un peu, beaucoup de colère)
Pour beaucoup, donc, le livestream reste occasionnel et le restera. Après huit mois sans avoir mis les pieds dans un club ou une salle de concert, ce public est avant tout en quête de souvenirs et d’émotions. Depuis quelques semaines, Amandine confie avoir une nouvelle habitude, celle de fouiller dans les archives de son téléphone portable à la recherche de souvenirs de festivals, de soirées, de concerts. “Je n’ai jamais été aussi nostalgique devant des vidéos. Elles me rendent plus triste que ma propre rupture d’il y a deux semaines !” avoue-t-elle.
« On est tellement attaché·e·s à nos souvenirs qu’on accepte difficilement de mettre nos vieilles habitudes au placard. »
Même réflexe pour François, 29 ans. “En scrawlant dans mon fil d’actu, ce sont sur ces vidéos d’amateur·ice·s, filmées par une personne qui se trouve dans le public, avec une qualité dégueulasse, sur lesquelles je m’arrête, pas sur un livestream tout propre où l’on voit uniquement le DJ. Dans le live, c’est vraiment la foule qui me manque.” “Il va falloir creuser des caves pour retrouver la fête, ce n’est plus possible, déplore Amandine. Ce qui nous manque, c’est la vie tout simplement. La musique n’existe qu’en touchant le public de plein fouet, pas à travers un écran.”
De la nostalgie, quand il ne s’agit pas d’aigreur, voire carrément de haine. Dans une logique de bouc émissaire, certain·e·s semblent déporter leur colère vers cette solution de substitution, ce pansement 2.0 que sont les livestreams. À l’annonce du deuxième confinement, mercredi soir, les commentaires et les memes, portant les livestreams en dérision, ont d’ailleurs fleuri sur la toile. « On est tellement attaché·e·s à nos souvenirs qu’on accepte difficilement de mettre nos vieilles habitudes au placard, reconnaît Nina, 25 ans. Vivement que la véritable bamboche reprenne ! »