Live report : Caroline Polachek à Pleyel, « welcome to her island »
Le 14 février dernier, jour des amoureux et amoureuses, Caroline Polachek sortait son second album sous son nom civil, Desire, I want to turn into you. Quelques petits jours plus tard, l’autrice-compositrice s’emparait de la scène de la majestueuse salle Pleyel pour défendre ce nouveau projet. Volcan et colline en fond, elle nous a entraîné·es pendant deux heures à travers les différents paysages de son île du désir.
La fashion week homme de Paris s’est terminée il y a quelques semaines, pourtant ce samedi devant la salle Pleyel, l’impression est tout autre. Les fashionistas et autres cool kids de Paris se pressent dans le hall blanc immaculé de l’auditorium. Mesh tops, corsets, cravates, vestes en cuir, manteaux afghans, maquillages structurés et paillettes, c’est à qui décrochera le prix du plus bel ensemble. Pas de défilé à l’intérieur des lieux, mais le concert très attendu – affiché complet- de l’américaine Caroline Polachek qui a sorti son deuxième album sous son nom civil, Desire, I want to turn into you le jour de la Saint-Valentin. Voilà dix ans maintenant que l’artiste navigue dans les confins de la pop.
Car si pour certain·es, Caroline n’est autre que la musicienne avant-gardiste, révélée sur Tiktok grâce à la chorégraphie délicieusement kitsch, et romantique de son single « So hot, it’s hurting my feeling« , pour d’autres c’est celle qui a fait bouger les fesses des ados lors de la période indie sleaze avec son duo Chairlift et qui collabore depuis avec des artistes de renom (Beyoncé, Charli XCX, Travis Scott…). Logique donc de retrouver dans cette foule de girls and gays aux goûts toujours impeccables, celui qui a co-produit « Sunset » son single à l’ambiance de vacances espagnoles : le producteur et auteur-compositeur Sega Bodega.
Lorsqu’on débarque enfin à l’intérieur de la salle, c’est une atmosphère de club huppé qui s’empare de nous. Sur scène, la DJ new-yorkaise DOSS mixe dans la pénombre, des rayons violets éclairant la fosse déjà dansante. Un échauffement efficace pour embarquer sur l’île du désir de Caroline. Et puis à 21 h tapante, sur le grand écran apparaît un minuteur à l’esthétique semi-elfique, semi-médiéval. Le public chante alors en coeur le décompte. « 3, 2, 1, 0 ». La voix de Polachek s’élève, c’est son récent tube « Welcome To My Island » qui résonne. Naturellement, le public s’essaye à reprendre ses vocalises – il essaiera beaucoup ce soir-là, sans succès. Les contours du l’île du désir apparaissent enfin. Un volcan et une petite colline faisant référence au clip de « Welcome To My Island » où l’artiste se métamorphose en montagne à chambre magmatique.
Caroline traverse alors la scène vêtue d’un ensemble noir moulant et de hautes bottes mêlant des références romantiques, chevaleresques et 70’. Durant les deux heures de concert, elle occupe la scène, tournoyant, enchaînant des chorégraphies simples mais terriblement efficaces, en atteste son interprétation de « Bunny is a rider« . On ride avec elle à travers la ville. Avec les jeux de lumières, elle devient une ombre longiligne qui s’articule de manière géométrique.
Tout d’un coup, on comprend un peu mieux le prix de cette performance (entre 40 et 50 euros). Caroline Polachek a pensé son projet dans son ensemble et n’a pas lésiné sur son budget. Décors, lumières, animation visuelle, fumée, l’expérience est totale. Celle qui avouait au média américain Vulture faire sa tournée européenne à perte a réussi son pari. L’autrice-compositrice nous transporte d’univers en univers. Sur « Sunset », on traverse un décors aride et étrangement inhospitalier, sur « Blood and Butter » on se déhanche dans une clairière enchantée où Kate Bush ou Björk auraient pu auparavant virevolter, sur « Crude Drawing of an Angel » on s’aventure dans l’univers brumeux et mystique des soeurs Halliwell, sur « Door« , on quitte avec nostalgie une ville d’un animé japonais.
En plus de nous impressionner par son sens du détail (la porte arts-déco issue de l’imaginaire de son premier album apparaît notamment à chaque fois que celle-ci entonne « pang » du titre éponyme, relève Kahina At Amrouche à côté de nous), Polachek nous captive par sa performance vocale que la sonorisation de la salle Pleyel sublime. Plusieurs fois elle tutoie les cieux et se change en femme vocodeur.
L’interprétation de « I believe » présent sur Desire, I want to turn into you nous touche directement au coeur. Le morceau est dédié à son amie, l’artiste et productrice visionnaire SOPHIE décédée il y a deux ans. C’est dans un arc-en-ciel de lumière et sur fond de nuages célestes qu’elle chante à genoux, les mains pointées vers le ciel, telle une prière, leurs retrouvailles : « I don’t know, but I believe / We’ll get another day together / Violent love, feel my embrace »*.
Plus tard sur « Butterfly Net« , Caroline Polachek se transforme en Madone touchée par la grâce dans une église orthodoxe, avant de devenir la « Mother » de tous sur « Billions » où, en fond, des spermatozoïdes semblent se diriger sur elle. La première partie du concert se conclue avec le -désormais- classique « So hot, it’s hurting my feeling ». Évidemment la foule s’empresse de reprendre la chorégraphie avec elle.
Enfin, Polachek met le feu à son île sur laquelle elle nous a accueillis et guidés dans un français quasi-parfait entre chaque chanson. « Smoke » retentit. Le magma du volcan se met à luire. Des flammes apparaissant sur le grand écran et la fumée envahit la salle. Il est temps pour nous de prendre le large. Sur notre embarcadère retour, on se dit qu’on a un vécu l’un des shows les plus cohérents et forts de ce début d’année.
*« Je ne sais pas, mais je crois / Nous aurons un autre jour ensemble / Amour violent, sens mon étreinte »