« L’idée n’est pas de s’approprier l’underground, mais de lui offrir un nouvel espace à conquérir. »
Organiser une exposition sur la musique peut vite tourner au ratage, après tout il n’existe rien de moins visuel que la musique. Au-delà des artworks et des photos de concerts, la musique n’est par définition, pas un art visuel. Et pourtant avec Paris Musique Club, la Gaîté Lyrique et le collectif Scale ont réussi un véritable tour de force : rendre la musique aussi intéressante à regarder qu’à écouter.
Projet fantasmé depuis 2010 par l’équipe de la Gaîté Lyrique, l’exposition Paris Musique Club voit le jour dans un contexte des plus favorables, à un moment où la musique électronique et la nuit parisienne n’ont jamais été aussi tendance, au point même d’attirer la Red Bull Music Academy pour sa session 2015.
Avec six installations pensées par le collectif Scale, mais aussi par Chloé et l’Ircam, Paris Musique Club joue la carte de l’art numérique au service de la musique. Le visiteur pourra donc compter sur du mapping, des projections à 360° et des architectures lumineuses, toutes interactives et ludiques. Mais ce qui fait l’attrait de cette exposition réside également dans son caractère évolutif. Jusqu’au 31 janvier, 12 collectifs Parisiens seront invités à prendre leurs quartiers au sein même de l’expo afin de présenter leurs univers et de laisser libre cours à leur imagination, au milieu des installations. Eclectique, le plateau rassemble tout de même Born Bad Records, ClekClekBoom, Antinote, In Paradisum, Sonotown, Infiné, Brut Pop, Mawimbi, Potemkine, Collectif Mu, Barbi(e)turix et La Souterraine.
Un programme dense et inédit que Vincent Cavaroc, le commissaire de l’exposition, a pris le temps de nous expliquer, de sa génèse à son contenu.
Peux-tu nous expliquer la génèse de PMC ?
L’événement déclencheur a été l’annonce de l’arrivée de la Red Bull Music Academy à Paris. Depuis l’ouverture de la Gaîté, nous voulions faire une expo sur la musique, mais comme toujours il fallait que l’on trouve un angle original et novateur. Nous sommes au croisement des arts numériques et des musiques actuelles alors nous sommes partis de ce postulat pour imaginer PMC. Le pitch de départ a donc été de créer une expo autour des dispositifs qui permettent de faire de la musique un art multisensoriel et interactif. À ce moment-là, nous avons tout de suite pensé à travailler avec le collectif Scale. On a une relation particulière avec eux, ils ont fait leurs premiers pas dans la grande salle de la Gaîté dès les premiers jours de son ouverture en collaborant avec Carl Craig, Mortiz Von Oswald et Francesco Tristano et depuis on ne s’est jamais quittés. Ce sont des gens qui connaissent parfaitement nos dispositifs et dont la démarche colle parfaitement avec la nôtre, mais qui n’avaient jamais fait d’exposition. L’idéal.
Pour nous, ils ont donc créé 6 installations qui ont chacune une notion d’interactivité et de recherche visuelle. Pour plusieurs d’entre elles ils sont partis de vrais instruments, de pianos ou de batteries qui, une fois actionnés par le visiteur lui-même, donnent vie à des sculptures de leds ou déclenchent des systèmes de mappings. Cela revient à réinterpréter le concept d’orchestre ou de groupe à l’heure de la robotisation et du numérique. Toutes ces installations sont liées à des créations musicales originales composées par Bambounou, Arnaud Rebotini, Étienne Jaumet, Bachar Mar Khalifé et Ramir Mar Khalifé (Aufgang), Chloé et Moritz Von Oswald.
En tant que programmateur, je suis obsédé par l’idée de créer des lieux de vie. Une expo qui ouvre à 12h et qui ferme à 18h en semaine, pour moi ça n’a pas de sens, surtout quand la vie nocturne en est le thème. Pour nous adresser à un public disponible, on a décidé d’ouvrir du jeudi au vendredi de 17h à minuit et le week-end de 12h à 19h. Mais surtout en continuité de l’esprit d’interactivité et de lieu de vie, nous avons pensé à un enchainement de résidences de collectifs Parisiens qui représentent la vie musicale et nocturne actuelle. Au sein même de l’espace d’expo nous avons donc créé un club, avec un bar, une scène, la possibilité de faire des rencontres, des Dj sets, des booms pour les gamins, des masterclasses etc. Cet espace sera chaque semaine mis à la disposition d’un de ces collectifs qui y organiseront leurs évènements afin de présenter leur travail et leur démarche au public. Born Bad Records a ouvert le bal, ClekClekBoom, La Souterraine, le Collectif Mu, Antinote, In Paradisum, Brut pop, Infiné, Potemkine, Sonotown, Barbi(e)turix et Mawimbi prendront la suite. Le jeudi, chaque collectif se présentera au public, en récit, en musique ou en vidéo, un peu à la façon d’une lecture RBMA qui se finirait par un Dj set. Le vendredi est dédié au live. Dans la petite salle, les collectifs auront carte blanche pour créer une programmation qui leur ressemble avec une projection à 360° etc. Le samedi est dédié aux enfants et le dimanche, l’ambiance est plus chill avec des masterclasses etc. Il n’y a aucun moment où le visiteur ne pourra pas tomber sur quelque chose de l’ordre de l’évènementiel, un peu comme dans un festival.
Comment as-tu choisi les collectifs qui participent à ces cartes blanches ?
Ça s’est passé assez naturellement, un peu comme quand un étudiant imagine son sujet de thèse ? Au départ il prend un sujet hyper large et finalement l’affine pour rendre le projet moins flou. Nous on est partis de la scène française, mais nous nous sommes vite recentrés sur Paris, qui concentre finalement une grande diversité de démarches artistiques des plus intéressantes. Après on a chois les collectifs en observant leur manière d’appréhender le monde de la musique aujourd’hui. En gros l’idée c’était de ne garder que les projets les plus novateurs et inventifs qui donnent un nouveau souffle à une industrie en berne. Toutes ces structures sont hybrides, elles éditent toutes du contenu, que ce soit des disques ou des fanzines/webzines, elles organisent des soirées, gèrent des boites de coms, de booking et même des clubs.
L’idée de Paris Musique Club est de valoriser les effets visuels. C’est une façon de mettre en valeur une pratique souvent placée en retrait ?
Il y a une petite dizaine d’années, le Vjing est devenu ringard. Les gens se sont lassés de ces espèces de fonds d’écrans de macs animés alors les musiciens se sont mis à collaborer avec des plasticiens, des vidéastes ou des designers pour créer des scénographies qui font sens naturellement. La signature du musicien est toujours mise en avant, mais tous les festivals s’équipent désormais de scènes scénographiées avec du mapping etc. Une quinzaine de collectifs et d’artistes en France sont à l’origine de toutes ces apparitions, mais le public ne les connait quasiment pas. Avec cette expo, l’idée est de célébrer ces collaborations artistes sonores / artistes visuels mais, pour la première fois, en se plaçant du côté de l’artiste visuel.
Paris est en pleine effervescence musicale. C’est pour ça que Paris Musique Club arrive aujourd’hui ?
Paris s’est imposé à nous lors de la réflexion autour de l’expo, mais c’est vrai qu’il y a 4/5 ans, on ne se serait peut-être pas centrés autour de la capitale, on était encore dans cette mouvance de « la nuit se meurt » etc. Chaque année, la Gaité invite une ville à investir son espace et comme on l’a fait avec Istanbul ou Tanger l’année dernière, au final, Paris est notre ville invitée. Plein d’indicateurs montrent que la scène parisienne a gagné en vitalité alors oui, je pense que cette dynamique positive nous a inspirés pour monter Paris Musique Club. Après tout, on met à l’honneur les auteurs de ce regain de vitalité.
Comment pense-t-on une exposition sur la musique, qui n’a habituellement rien de visuel ?
La musique est l’art de la scène qui demande le moins d’explications. Que ce soit en danse ou en théâtre, avant de monter sur scène tu écris au minimum un pitch pour expliquer où tu veux en venir, tout justifier et revendiquer. En musique ce n’est pas le cas, tu montes sur scènes et tu fais ton truc, c’est tout, du coup le public n’est pas habitué à avoir systématiquement une explication autour d’une démarche.
À partir de là, il nous a fallu tout simplement choisir un angle pour transposer visuellement un art qui ne l’est pas et expliquer une démarche qui ne l’est que rarement. Si on avait été la Cité de la Musique, on aurait choisi l’angle historique, on aurait exposé les objets technologiques qui ont envahi la musique à une époque donnée. En tant que Gaîté Lyrique, il était évident qu’il nous fallait être plus modernes, on n’est pas un musée historique ou technique, on est autre chose. Sans vraiment pouvoir définir de cadre au final, le concept assez indéfinissable qui entoure Gaîté nous a permis de nous en sortir. La musique à la Gaîté, c’est le live, et le live c’est visuel, voilà notre point de départ. On a toujours été attachés à ne pas faire d’événements statiques, l’interactivité est hyper importante. Il fallait donc que le public puisse interéagir avec l’expo. On a donc décidé d’immerger le public dans la musique et d’utiliser les artifices du live pour le plonger dans cet univers, un univers qu’il peut contrôler évidemment.
Le collectif Scale est au centre de l’expo. Pourquoi les as-tu choisi, eux ?
On s’est très rapidement tournés vers eux, on connaissait leur travail puisqu’ils sont souvent venus à la Gaîté, ils sont donc familiers avec nos outils. D’autre part, il s’agit d’un collectif parisien, ce qui fait sens par rapport à la sélection d’invités et au nom de l’expo; et ce sont des artistes émergents, ce qui les inscrits dans notre vocation de découverte et de développement de talents. Et puis, tout simplement, parce que leur baseline, c’est exactement la même que celle de la Gaîté : musique et numérique.
Vu que Paris Musique Club se tient à la Gaîté en même temps que la résidence Red Bull Music Academy, y aura-t-il un lien entre les deux évènements ?
Il s’agit de deux entités différentes même si nous collaborons, et que RBMA coproduit PMC. Mais nous allons essayer de faire communiquer les deux évènements en créant de petits impromptus avec des musiciens qui viennent participer à des lectures ou certains étudiants de l’academy durant lesquels ils pourront disposer de l’espace PMC. À titre d’exemple, on peut imaginer Gonzales jouer sur le piano qui déclenche une sculpture de leds de 200 mètres ou la batteuse de Prince prendre possession des 32 toms et caisses claires d’une autre installation. Si ça arrive, ce ne sera annoncé nulle part, il faudra être là au bon moment.
Dans une interview accordée à Brain, les membres de Scale révèlent que le collectif n’existe que sur leur temps libre. Comment se fait-il que l’entité qui représente cette approche visuelle et numérique de la musique ne puisse pas vivre de son art ?
En fait c’est un peu un choix de leur part. Tous les membres ont des profils très différents, certains viennent de l’Ircam et sont chefs de l’informatique, ingés sons ou vidéastes. Ils savent qu’à eux 6 ils peuvent tout faire dans leur domaine, et garder leurs métiers alimentaires leur permet de ne pas se mettre la pression pour tenter de rendre le projet viable et de rester frais et inventifs.
Tu n’as pas eu peur que le côté institutionnel de la Gaîté repousse ces figures de l’underground ?
Si. J’ai eu très peur que les gens croient que l’on essaie de s’approprier l’underground parisien pour l’exposer comme une bête de foire. Mais en même temps on est assez habitués à accueillir les cultures novatrices et souterraines. Mais ce qui nous a légitimés avec PMC c’est surtout que des entités comme Born Bad qui sont très à cheval sur leur indépendance et leur image ont accepté tout de suite de participer au projet. Les concerts ont une jauge de 150 personnes et l’accès est très facile, l’entrée n’est pas chère et on a même fait une carte de membre à 17 € qui donne accès à tous les évènements de l’expo pendant 3 mois et demi. L’idée n’est clairement pas de s’approprier l’underground, mais plutôt de lui offrir un nouvel espace à conquérir.
Paris Musique Club se tient à la Gaïté Lyrique depuis le 24 octobre et restera ouvert jusqu’au 31 janvier. Plus d’infos ici.