Les globe-trotters des Escales de Saint-Nazaire fêtaient leurs 30 ans, on y était
Fêtant ses 30 ans cette année, le festival des Escales de Saint-Nazaire a embarqué la ville industrielle vers de nouvelles contrées, de l’Australie au Japon en passant par la Hongrie ou la Grèce. Une édition magnifique, faite de voyages, de plaisir et de sourires.
Faire une dernière escale après une dense tournée des festivals qui a baladé Tsugi, et surtout les infatigables équipes de Tsugi Radio, sur les routes de France et de Navarre : voilà ce qui nous attendait le dernier week-end de juillet. Et quelle halte ! Quoi de mieux comme ultime étape qu’une massive fête d’anniversaire, celle des Escales de Saint-Nazaire ? Depuis trente ans, le port breton (oui, historiquement Saint-Naz’ est en Bretagne, désolée les Finistériens) accueille en son industriel sein ce festival placé sous le signe du voyage, avec une programmation maligne combinant grosses têtes d’affiche et découvertes internationales. De quoi attirer un large public (plus de 40000 tickets vendus), familial, bon enfant et motivé, attiré par les inévitables Clara Luciani, Oboy, Vladimir Cauchemar, Hatik, Deluxe ou Kungs, tout en plaçant au line-up des trouvailles recommandées par un réseau de festivals étrangers. Une nouveauté chez les Escales : traditionnellement, le festival s’attachait à une seule ville, comme une sorte de jumelage musical qui, à partir de cette année, se fait global, embarquant son public-aventurier aux quatre coins de la planète avec l’aide du MEG Montréal, du festival ougandais Nyege Nyege ou du Chilien Desierto Sonaro. Vous vous en doutez, c’est plutôt cette prog’ globe-trotter qui a tapé dans l’oeil de la rédac’.
Mais ne soyons pas snob. Impossible de bouder son plaisir devant Morcheeba, sa langueur dominicale, le sourire indéfectible de sa chanteuse et les tubes de Big Calm, qui fêtait ses 25 ans cette année (que d’anniversaires!). Ou devant la scénographie impressionnante de Woodkid, admirée depuis le haut de la grande roue installée à côté de la scène, au coucher du soleil. Ou encore avec Suzane, ses textes à crier le poing levé et ses coups de pied acrobatiques dans le patriarcat. Ou enfin avec La Femme, rejoint le temps d’un morceau par son ancienne chanteuse Clara Luciani, ouverture parfaite du week-end, « sur la plage, dans le sable »… ou plutôt sur le béton, aux pieds de bateaux aussi grands que des immeubles. En effet, que ceux qui cherchent une ambiance bucolique ne mettent jamais une tong à Saint-Nazaire. Ici le paysage est en acier, les arbres sont minuscules à côté des éoliennes attendant d’être amenées en mer, et le VIP, la salle de concert située juste en face de l’île accueillant le festival, est nichée dans un épais bunker. Mais les Escales arrivent à sublimer ce décor supra-indus’, à coups notamment de projections sur les bâtiments, et de par son placement, sur une île donc : traverser le pont qui mène aux concerts, c’est déjà le début du voyage.
Voyage qui nous emmènera d’abord jusqu’à Melbourne avec le festival NYE On The Hill, amarré aux cordes de Steph Strings. L’Australienne ose la formule la plus dépouillée qui soit : sur scène, il y a elle, sa guitare, sa voix, et c’est tout. On en entend qui baille d’avance dans le fond. Mais non, avec de faux airs de son compatriote John Butler, Steph se fait conteuse d’histoire, et maîtrise sa six-cordes folk ou blues comme s’il s’agissait de la chose la plus simple au monde. On remonte un poil au nord avec les Japonais de Minyo Crusaders. Enfin au nord… Ce groupe de dix musiciens redonne vie aux textes traditionnels du style nippon min’yo, en l’accolant aux rythmes tout à fait brésiliens de la cumbia. Improbable et tout à fait à l’image globalista des Escales, ce que ne reniera pas la Grecque Marina Satti, qui mélange les influences traditionnelles de son pays et du Moyen-Orient à un show chorégraphié, très pop-star en devenir. Quant aux Bohemian Betyars, ils badigeonnent une bonne couche punk pleine de grumeaux et de rayures sur leur folk hongroise et tzigane – une recommandation du Sziget qui aura créé quelques pogos sous la voûte en bois de la scène de l’Estuaire. Avant de terminer à New-York avec les sélections impeccables du DJ Eli Escobar et de danser dans le Club 360, son ambiance de jungle et son DJ-Booth placé au milieu des fêtards. À noter aussi bien gros dans son livre de souvenirs : le concert de l’étonnant Wu-Lu, qui a réussi à la fois à vider la piste et à enchanter les quelques courageux qui ont bien voulu rester. Comme si le début assez inaccessible de ce concert hip-hop-jazz-punk hybride servait à repérer les plus acharnés, pour leur offrir ensuite, enfin, un magnifique moment de transe.
Mais parce que nous sommes peut-être plus chauvins qu’on ne le pensait, c’est une Française qui nous a retourné le coeur lors de cet anniversaire. Des néons colorés montés sur des bras robotiques (une des plus jolies scénographies de l’été, signée par le collectif Scale), des cloches tubulaires, de la batterie, du marimba, et des synthés et machines bien sûr, pour une musique électronique fine et racée, appelant à la danse autant qu’à l’évasion… Merci, Lucie Antunes, vraiment (Lucie que l’on retrouvera à Caen le 24 septembre dans le cadre des 15 ans de Tsugi). Et merci à la plus belle des escales, ce festival qui ne fait pas ses trente ans, ou plutôt qui en a la maturité – une organisation au poil, pas de files d’attente, de la bonne bouffe, de la bière pas chère, un public adorable, un line-up généreux et décalé – sans jamais sentir la naphtaline. Sans oublier non plus son environnement, cet océan omniprésent, cette industrie source d’emplois mais impactante, capable de produire des éoliennes comme des bateaux de croisière de luxe : sur le site pouvait se croiser des militants de Sea Shepherd et de SOS Méditerranée, tandis qu’était projeté en après-midi Bigger Than Us, sept portraits de jeunes prêts à changer le monde.
Comme dirait Denis Péan du groupe Lo’Jo, invité dans le cadre de la création de 20Syl autour d’artistes de Loire-Atlantique venus souffler les bougies du festival, un patchwork local fleurant bon les années Hocus Pocus : « Les Escales… Toutes les chansons sont des escales. Toutes les chansons sont des ports où l’on attache nos pertes, nos peines et nos regrets ». Après ce dernier week-end de la saison, on a envie de rajouter : nos plaisirs, nos danses et nos amours.