Le bel éclat des Francofolies de Montréal
Fédératrice, éclectique, audacieuse, la 30e édition des Francofolies de Montréal n’aura laissé personne sur le carreau. De la gratuité à foison (150 concerts sur les quelque 200 programmés), une organisation impeccable et un fourmillement jubilatoire. Retour sur nos coups de cœur.
La claque Hubert Lenoir
Elle n’en finit pas de galoper, la rumeur. A peine le pied posé sur le sol montréalais, le nom circule. Il est sur toutes les lèvres. On nous harangue que c’est la sensation du moment, qu’il a une personnalité hors du commun, qu’il joue sur l’ambivalence sexuelle. Suffisant pour attiser notre curiosité et se pencher davantage sur le dit phénomène. On apprend alors qu’Hubert Lenoir – 23 seulement au compteur – sévit depuis quatre ans au sein de The Seasons, formation qui a assuré l’ouverture des concerts de Louise Attaque dans nos contrées (ça nous servira de leçon de zapper parfois les premières parties). On apprend aussi qu’il a publié son album concomitamment à la sortie du livre de sa petite-amie-manageuse Noémie D. Leclerc. Les deux objets s’appellent Darlène. Puis on a résisté aux vidéos circulant sur la toile. Ne pas gâcher l’effet de surprise. Rendez-vous donc pris au Club Soda pour le découvrir en chair et en os. Angèle, autre buzz en provenance de Wallonie, lance les hostilités. Espiègle, charmeuse, oscillant entre un retranchement derrière son clavier et le devant de scène, elle déroule notamment chansons déjà enchanteresses (« La Loi de Murphy », « Je veux tes yeux ») et reprise touchante (« Bruxelles » de Dick Annegarn). Puis voilà Hubert Lenoir qui débarque dans une salle archi-bondée. Taille à la Prince, maquillé comme la fiancée, visage androgyne. Agile, affranchi, culotté. Un demi-morceau suffit à comprendre que ce qui se passe là n’a rien de commun. Hubert Lenoir a un charisme autant criant qu’extensible. Et un penchant certain pour l’exhibitionnisme puisque il marque une longue pause pour dévoiler la fleur de lys tatouée sur sa fesse gauche. L’euphorisant « Fille de personne II », bombardé actuellement sur les ondes du Québec, n’est pas encore arrivé à son terme. Pas de round d’observation avec cet enfant du désordre. Il va chanter torse nu, escalader à bout de bras la rampe du premier étage au cours de l’époustouflant pont mélodique de « Ton hôtel », se lancer dans du body-surf sur mains. Tout cela ne serait accessoire s’il n’avait pas dans sa besace de fringantes chansons. Hubert Lenoir s’embarque, avec la vitalité pure de l’insouciance, dans des percées glam rock, jazz psyché et rock progressif. Il dit en fin de concert : « Pensez librement ! Ne vous laissez pas avoir par de vieux concepts ! Tout est à refaire. Le monde est à nous ». Prise de parole de la même teneur que son compatriote Xavier Dolan au Festival de Cannes. Branle-bas de combat d’excitation à la sortie. Des boites de production françaises, présents sur place, réclament urgemment à rencontrer sa manageuse. Des attachées de presse se manifestent pour s’en occuper. Pendant ce temps-là, l’éveilleur de convoitises rafle le prix Félix Leclerc ainsi qu’une bourse de 30 000 dollars. C’est bel et bien sa semaine. Carton plein mérité.
Les bonnes vibes de la Belle-Province
Toujours au Club Soda, Bernhari. Qui précède un Arthur H qui jouit ici d’une belle reconnaissance. Le Montréalais aux allures de romantique maudit a noué une solide amitié – et bouclé au printemps des premières parties – avec la bande des Feu! Chatterton. En formule violon-basse-clavier, il revient à l’essence même de ses morceaux. Plongée grandiose entre odyssée aérienne et palpitation des âmes tourmentées. Il y a dans la voix de Bernhari des échappées incantatoires à la Christophe. Même clarté mélodique surréelle aussi que son aîné. Et le majestueux enchaînement final « Au nord de Maria/Krychkova » jaillit tel un bouquet d’étoiles filantes.
Le groupe Galaxie continue, lui, de refuser toute idée de hiérarchie dans le bouillonnant MTELUS de la rue Sainte-Catherine. Un magma de sons et d’énergies qui défie toutes les lois de la gravité. Rage folle des guitares, mâchoires serrées du chanteur Olivier Langevin, chorégraphies sexy en diable et puissantes mélodies pour sensations fortes. Ça déménage et on en sort fièrement essoré.
Lorsque Daniel Bélanger prend possession de la scène extérieure (et gratuite) de la Place des Arts, une marée humaine l’attend. S’il a toujours renoncé à s’exporter, l’homme se contente des élans de célébration à domicile. De la variété haute gamme, généreuse, bien écrite et une succession de chansons dont la plupart ont valeur d’hymnes. Frémissements énamourés de la foule au moment de « Rêver mieux » et instant de communion-chorale pour « Sèche tes pleurs ».
Mieux vaut ne pas traîner derrière soi de vives plaies amoureuses avant d’assister au spectacle de Pierre Lapointe. Sorcier des sentiments humains, ce dernier navigue sur un courant de mélancolie abyssale. Rien de plombant pourtant. Parce que ses chansons ont presque toutes la force de la consolation. Juste un marimba, un piano ainsi qu’un décor de néons pour encercler le trio. Lapointe désamorce la tristesse par de savoureux intermèdes. Définitivement un indispensable et précieux compagnon de route.
Au gré de nos déambulations de scène en scène, on se sera aussi laisser attraper par la créativité hybride du doux-dingue Philippe Brach, l’élégance des arrangements d’une Klô Pelgag accompagnée d’un orchestre symphonique, la noirceur vénéneuse d’Antoine Corriveau ou la pétillance pop de Paupière. Enfin, carburation au super pour le hip-hop québécois. Il se sera taillé une place majeure dans la programmation. Le flow mordant des Dead Obies et l’explosivité décomplexée d’Alaclair Ensemble nous auront ainsi pris d’assaut.
Eddy de Pretto et Clara Luciani célébrés
La déferlante Eddy de Pretto s’étend jusqu’à Montréal. Programmé initialement à l’Astral, salle de 450 âmes, le concert du parisien s’est vu déplacer au MTELUS dont la capacité est multipliée par cinq. Aucune difficulté pour lui à faire le plein. Radios et presse de la Belle-Province se l’arrachent. Les spectateurs marchent dans ses mots. Ils connaissent leurs leçons. Scénographie minimaliste mais Eddy de Pretto occupe parfaitement l’espace. Il ne desserre jamais ses étreintes crues. Son batteur, précis et complice, ne lève pas la tête. Les chansons sont reçues avec un enthousiasme frémissant. C’est un triomphe. Comme celui-ci de Clara Luciani. Il faut dire qu’elle ne cesse d’épater, la divine brune longiligne. Une aisance scénique éblouissante, une palette émotionnelle nuancée et attrape-coeur. Femme éplorée par les émois du cœur puis revancharde. Femme habitée et qui affine son art. Elle dégoupille en fin de parcours son éclatante « Grenade ». Et on perd alors toute notion d’espace-temps.
Celui qui aura réussi également son opération séduction outre-Atlantique, c’est Gaël Faure. D’abord, en salle, en support de Juliette Armanet. Puis propulsé le lendemain, en plein air sur la grande scène, il aura prouvé à ceux qui en doutent encore qu’il embrasse une courbe ascendante. La voix fait des merveilles et les morceaux ont une fière allure. De beaux lendemains en perspective.
En collectif, ça vibre aussi
Il faut avouer que, sur le papier, on n’était franchement pas emballé. Se coltiner des chansons de Luc Plamondon en clôture du festival, ce n’était pas le finish fantasmé. Gros flip même à l’idée d’entendre des extraits de la scie Notre-Dame-de-Paris. Non seulement, on y a échappé car absente de la set-list mais surtout l’enchantement a vite balayé la crainte. Parce que le casting s’est révélé être sacrément à la hauteur. Parce qu’il y a eu de véritables moments de grâce : époustouflante Martha Wainwright (« Le parc Belmont »), haletante Betty Bonifassi (« Oxygène »), tour de force d’Ariane Moffatt (« SOS d’un terrien en détresse »), vibrant final collégial (« L’hymne à la beauté du monde »). Parce que les arrangements de Jean-Phi Goncalves n’ont pas manqué de panache.
Plus tôt dans la soirée, un salut à Jacques Higelin. Concocté par Yann Perreau et sous les yeux d’un Arthur H qui jouait les prolongations pour l’occasion, l’hommage s’est révélé également d’une excellente facture. Encore une fois irrésistible, Hubert Lenoir s’est accaparé avec brio « Boxon » et « Beau beau ou laid ». Catherine Major s’est joliment extirpée des chausses-trappes de « Champagne ». Quant à Yann Perreau, il a injecté tendresse diffuse (« Y’a pas de mot ») et fougue indomptable (« Paris-New York, New York-Paris »). Foutraque, délirant, vivant. Comme Higelin aurait aimé.
Meilleur moment : Hubert Lenoir. On n’a pas fini de parler de lui.
Pire moment : Brel Symphonique. Est-ce qu’on peut apprendre à la chanteuse Bia le sens de la chanson « J’arrive » ?