Le bel aura du Festival de Jazz de Montréal
Dans la foulée des Francofolies, le Festival international de Jazz de Montréal a démontré une nouvelle fois que sa place était tout en haut de l’échiquier. Une 40e édition d’une grande richesse (500 concerts dont 200 gratuits) qui a fait s’entrechoquer les différents courants musicaux. Et si on avait déjà posé les pieds à Paris au moment du show des fabuleux Black Pumas, les emballements n’ont pas manqué. En témoigne ce tiercé de tête.
Clay and Friends
Déjà aux Francofolies, la semaine précédente en première partie de Tiken Jah Fakoly, on avait succombé. Clay and Friends inaugure ici l’extension du site du Festival de Jazz à Verdun. Prestation presque à domicile. Parce que Verdun, c’est le terrain de jeu des explorations et répétitions musicales des cinq gais lurons. L’attachement à ce quartier dynamique de Montréal joue même les prolongations dans le titre de leur dernier EP La Musica Popular de Verdun. Sur scène, Clay and Friends impressionne autant par sa joie que par son éclat. Entre Mike Clay – leader hyperactif aux idées bouillonnantes – et sa « gang », une complicité détonante. Elle crève les yeux, elle est contagieuse. Le groupe vous attrape par le col et ne lâche plus prise. Énergie affolante, tourbillon jubilatoire, souplesse radieuse dans les compositions. Il y a là la fuite des étiquettes et du monochrome pour ne tirer que les ficelles d’une musique où les genres se croisent harmonieusement. Il y là aussi, Mike Clay, voix agile et à la périphérie d’un flow hip-hop, chanteur d’une coolitude féline et d’une sensualité débraillée. Il y a là encore Adel, l’explosif et brillant beatboxer, ou des morceaux diablement excitants dont on est contraint de plonger la tête la première (« Going up the coast », « OMG », « Smoke signals »…). De l’urgence, des couleurs, de la classe, de la passion, de l’hédonisme. On ressort de là, ébaubi, totalement acquis à leur cause et gonflé à bloc. Le coup de foudre ne sera pas passager.
Blick Blassy
Toujours Verdun, lieu décidément aspirant. Il arrive sur les mots de Rubem Um Nyobé, héros de la résistance camerounaise assassiné il y a soixante-un ans. Lunettes imposantes et force tranquille, Blick Bassy ne passe pas par un round d’observation. Ses échos planent immédiatement dans un sublime envol. Intimité du plein air et célébration du bassa, sa langue maternelle. Proximité en majesté et puissance évocatrice du chant. C’est une âme de la mémoire vivante. Ne pas chercher de coutures à ses chansons de blues-afro contemporain, sensibles et envoûtantes. « Ngwa » irradie de sa profondeur caressante, « Mdopol » brille d’une éblouissante clarté. L’artiste camerounais ne se détourne jamais de ses mélodies de plénitude. Une main vers la protestation, une autre vers la lumière. Et, dans un même élan, les deux qui se joignent pour une sorcellerie d’amour.
Melody Gardot
Force d’avouer qu’on y est allé légèrement à reculons. Peut-être la crainte inconsciente d’un concert lénifiant et strictement cadré dans la très smart salle Wilfrid-Pelletier. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à ce que Melody Gardot se livre dans des embardées furieuses ou des dérapages incontrôlées. Mais on l’aura vue se trémousser sur « Who will confort me » pendant les solos des musiciens, s’adonner à des traits d’humour et, surtout, exceller dans l’interprétation. Maîtrise époustouflante en lyrisme, en rondeur, en suavité, en plaisir pur du son et des sens. Au firmament, « Morning Sun », formidable de variations et d’intensité. En plus de la formation guitare-contrebasse-batterie, une section de cordes à douze musiciens pour un jazz gracieux et sophistiquée. Ils sont au service de cet artiste à l’apparence de femme fatale et, en même temps, à l’élégance altière. Melody Gardot a reçu le prix Ella-Fiztgerald de la part des organisateurs. Personne pour contester cette distinction.