L’album oublié : The Shamen – En-Tact
Extrait de Tsugi 95 (septembre 2016)
Ne jamais sous-estimer l’impact de l’acid-house sur la scène rock indie à la fin des années 80 au Royaume-Uni. Comme beaucoup (entre autres Primal Scream ou Happy Mondays), les Écossais de The Shamen se prennent l’explosion en pleine tronche. En 1987, d’aimable groupe psychédélique basé à Édimbourg, The Shamen mue en moins de six mois pour devenir l’un des espoirs de la jeune génération indie-dance. Mais alors que ses congénères de Pop Will Eat Itself ou Jesus Jones s’évertuent à trouver un équilibre entre machines et guitares, le groupe mené par Colin Angus veut aller plus loin, quitte à se délester de ses membres originaux. Seul à la barre, assisté d’un nouveau bassiste, Will Sinnott, Angus réinvente The Shamen, publie deux albums (In Gorbatchev We Trust et Phorward) où 808 et 303 sont les maîtresses d’une rencontre entre vocaux et électronique, puis décide de se délocaliser à Londres pour intégrer ces effervescentes raves.
En 1990, la gloire frappe à la porte du groupe. Signé sur One Little Indian, le duo, rejoint par un MC à la voix nasillarde nommé Mr C., décroche la timbale avec « Pro>Gen », qui se rapproche du top 50. La fois d’après sera la bonne. « Make It Mine » entre dans le top 50, « Hyperreal » dans le top 30, « Move Any Mountain » (remix de « Pro>Gen » par la superstar Paul Oakenfold) dans le top 5. Will Sinnott ne connaît malheureusement pas longtemps la joie des charts. Apparemment chargé comme une mule, il se noie à Tenerife pendant le tournage du clip. Au moins aura-t-il pu apprécier l’accueil réservé à l’album En-Tact en octobre 1990. Intelligemment produit, En-Tact est le pur produit d’une époque où la pop se pare de beats électroniques, de sons d’ordinaire réservés aux raves, de refrains rappés plus ou moins consistants mais terriblement accrocheurs… Sans que personne y trouve à redire. Entourés d’une fine équipe de collaborateurs (Jah Wobble, Ian Tregoning, Steve Osbourne ou encore Orbital), Angus et Sinnott ont mené au niveau supérieur la pop-house de S’Express et autres Beatmasters, mixant imagerie bariolée, thématique psychotrope (« Hyperreal »), expérimentations tribales (le très long « Evil Is Even »), instrumentaux hypnotiques (« Lightspan ») pour dessiner les contours d’une musique populaire moderne. Cohérent de bout en bout, En-Tact n’accuse pas ses 26 ans d’âge, à l’inverse de ce qui va suivre deux ans plus tard (et rencontrer un immense succès). Mais c’est une autre histoire.
En-Tact (One Little Indian), sorti en 1990.