L’album oublié d’Aphex Twin et μ-Ziq : Expert Knob Twiddlers, collaboration méconnue
Chronique d’un disque oublié mais adoré, celui de Mike & Rich, Expert Knob Twiddlers, collaboration méconnue entre Aphex Twin et μ-Ziq. Article issu du Tsugi 133, toujours disponible en kiosque et à la commande en ligne.
« Musique et humour peuvent-ils faire bon ménage ? », vous avez deux heures, thèse, antithèse, synthèse. À vos stylos. Enregistrée en 1994, sortie en 1996 et rééditée avec des inédits en 2016, cette collaboration méconnue entre Richard D. James (Aphex Twin) et Mike Paradinas (μ-Ziq) est l’introduction idéale à une thèse de troisième cycle sur le sujet inépuisable de la rigolade en partition. Dès la pochette, pastiche d’une publicité pour un célèbre jeu de société des années 1970 (le Dix de chute de chez MB), les deux zinzins de l’electronica annoncent la couleur et assument la dimension ludique de leur entreprise. Rien n’est trop sérieux. Le principe du jeu lui-même semble être la clef du disque. On ne sait pas bien qui a fait quoi, mais on imagine que chacun des deux producteurs a déposé sa petite pièce à tour de rôle, influençant de manière aléatoire l’architecture générale. L’album lui-même, loin de l’épuisante cavalcade de breakbeat attendue, est en réalité très amusant et agréable à écouter.
Rassurez-vous, bien entendu, Expert Knob Twiddlers est rempli d’étranges mélodies, de boucles en folie, de rythmes déstructurés et de sons extraterrestres légèrement inquiétants, mais malgré ses imprévisibles sautes d’humeur, l’ambiance générale du disque reste positive, chaleureuse et même le plus souvent joyeuse. Les samples passés au mixeur ont l’air de venir des années 60, les quelques voix concassées entendues ici et là d’une vieille comédie télévisée et le morceau « Eggy Toast », avec ses bizarres percussions caribéennes et sa basse en suspension, fait songer à la bande originale de La Soif du mal, le plus poisseux des films noirs d’Orson Welles. On n’est pas dans l’univers cauchemardesque de « Come To Daddy », ni dans un assourdissant défouraillage drill’n’bass, mais dans une sorte de version malade de l’easy-listening (qui connaissait d’ailleurs à l’époque de cet album un improbable retour en grâce via le succès du groupe parodique britannique The Mike Flowers Pops). Une piste que confirme le très sirupeux « Bu Bu Bu Ba » qui clôture l’album dans sa version originale. Bien plus « fun » que la plupart des productions d’Aphex Twin et Mike Paradinas en solo, cette improbable collaboration mérite d’être redécouverte pour ce qu’elle est, rien de moins qu’une des pierres angulaires de l’electronica des années 90.
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Article issu du Tsugi 133, toujours disponible en kiosque et à la commande en ligne.