L’album du mois : « Polymer » de Plaid
Ne pas être à la mode reste le meilleur moyen d’éviter de devenir ringard. Ce n’est sans doute pas ce qui a motivé Plaid durant sa longue carrière, mais c’est ce qui a permis au duo anglais de traverser presque trois décennies sans égratignures, creusant depuis ses débuts un sillon qui lui est propre, musique post-rave soucieuse d’être à la fois défricheuse et mélodique, née dans l’ombre d’Aphex Twin et Autechre, compagnons de label plus médiatisés. Évidemment, se tenir à l’écart des tendances ne garantit pas de s’épargner quelques reproches. Il y a trois ans, The Digging Remedy avait ainsi été accueilli plutôt tièdement par une bonne partie des critiques, s’accordant à dire que le duo avait fini par s’enliser dans sa zone de confort. Trop facile, trop mélodique, peut-être. À la fin des années 90, dans les colonnes de Libération, Ed Handley et Andy Turner notaient déjà : “Il y a toujours le risque de composer une musique idyllique au point qu’elle semble naïve et idiote. Mais dans le fond qu’y a-t-il de mal à vouloir exprimer le simple bonheur ? Les musiques européennes se concentrent peut-être trop sur les aspects négatifs de l’existence.” Ont-ils tenu compte malgré tout de ces retours mitigés ? Polymer, leur dixième album, se révèle en tout cas plus tortueux et tranchant que le neuvième, rapidement porté par des beats saccadés qui rappelleront l’époque où l’on accolait le qualificatif “intelligent techno” à leurs productions. Presque dansant parfois, même si on n’ira pas jusqu’à parler de “bangers”, comme l’a fait le communiqué de presse annonçant la sortie du disque, pour évoquer les quelques titres qui furètent du côté de la drum’n’bass et du dubstep (“Ops”, “The Pale Moth”, “Dancers”, “Nurula”). Pour autant, la réussite de ce disque ne tient pas à son simple aspect plus remuant. La qualité principale du duo anglais réside encore et toujours dans sa capacité à façonner des mélodies lumineuses et oniriques. La qualité de cet album est de ne pas les offrir trop promptement. Elles sont d’autant plus appréciées quand elles débarquent au bout d’un passage retors, comme sur “Los” et “Maru”, ou lorsqu’elles encadrent un morceau comme “Recall”, parenthèse industrielle et saturée entre deux titres graciles. Souffler le chaud et le froid pour donner du relief à une œuvre, la recette n’a rien d’extraordinaire, mais il est heureux que Plaid l’ait retrouvée. Elle reflète aussi la thématique de l’album, qui doit son nom à la macromolécule composant le plastique, la soie ou le silicone. Les polymères se constituent par l’enchaînement répété d’un même motif, peuvent être naturels ou synthétiques, s’avérer utiles ou néfastes. On aura deviné où Ed Handley et Andy Turner ont voulu en venir. Mais que les cancres et les littéraires soient rassurés, nul besoin de s’intéresser à la chimie macromoléculaire pour savourer ce disque riche et captivant.