L’album du mois : « Happy Earthday » de Bjarki
Bjarki serait-il un garçon trop impatient ? Un type qui n’a aucun plan de carrière? Ou alors quelqu’un de très malin et de bien plus ambitieux qu’il veut bien le laisser croire? Happy Earthday, son premier véritable album ne paraîtra pas le 22 avril – date officielle de la journée de la Terre – mais deux mois plus tôt. Sur le plan purement marketing, une sortie concomitante aurait sans doute constitué une belle opération. D’autant que l’Islandais a cette fois-ci commis une infidélité à трип – le label de Nina Kraviz qui l’avait découvert – pour signer chez les Allemands de !K7. Une structure bien mieux installée et aux moyens de promotion plus importants.
À vrai dire, ce n’est ni la première ni la dernière fois que Bjarki Rúnar Sigurðarson nous désarçonne dans la manière de gérer sa carrière. Voilà un artiste qui a signé “I Wanna Go Bang”, gros tube de techno simpliste mais efficace et qui, plutôt que de capitaliser en faisant la tournée des grands clubs et des festivals, a fait le choix d’une relative discrétion. Refusant même de jouer au Berghain et de participer à une Boiler Room, ce que n’importe quel autre de ses confrères aurait accepté sans condition. Et, plutôt que d’enchaîner des maxis de techno percutante pour clubs moites, il publie en 2016 trois rétrospectives de ses archives personnelles qui le voient esquisser un tout autre destin. Celui d’un musicien qui a plus en perspective la trajectoire d’un Richard D. James – qu’il prétend n’avoir découvert que sur le tard, encore un coup de bluff ? – que celle d’un Adam Beyer.
Pensé comme un album concept, Happy Earthday est sans doute son œuvre la plus personnelle et la plus contemplative à ce jour. Un disque d’électronique à la fois introspective et tournée vers la nature, vers des paysages sonores fluides évoquant les différents éléments. Il se permet d’introduire ici et là des “field recordings” venant nous surprendre et nous amuser au détour d’un morceau de jungle atmosphérique – “(.) (.)” – ou de breakbeat ambient – “Healthy Texting”. Car de techno il n’en est quasiment plus question ici. À peine est-elle convoquée sur “Cereal Rudestorm”, piste de proto-trance ludique parmi les plus optimistes de cet album. Ailleurs, les sentiments expriment plus volontiers la mélancolie et une sourde inquiétude – “AN6912” aux rythmiques aphexiennes –, qui hantent une bonne partie de l’album. Difficile de ne pas être émus par la beauté de certaines plages purement ambient comme “Sprinq 3-2”, l’un des sommets de ce disque, où flottent aussi les nappes généreuses de Boards Of Canada.
C’est à une ballade entre ciel et terre mais aussi plus prosaïquement à travers la scène ambient/IDM du milieu des années 90 que nous convie Bjarki. Celle encore très spontanée, intelligible et mélodique, pas si éloignée que cela de l’abstract hiphop, avant que l’aspect technique et “glitch” ne vienne prendre le dessus. Artiste instinctif, travaillant dans l’urgence et la spontanéité – c’est en tout cas ce qu’il prétend –, Bjarki ne réinvente certes pas le genre mais en propose une vision très personnelle, organique et surtout extrêmement séduisante. Et c’est bien là l’essentiel.
Ecoutez Earthday de Bjarki :
Et si vous êtes plutôt Spotify :