đ La fascinante histoire du phĂ©nix gabber Thunderdome
Ă la fois grand-messe hardcore toute en dĂ©mesure et sĂ©rie de compilations vendue jusque dans les supermarchĂ©s français, Thunderdome est lâincarnation de la scĂšne gabber hollandaise. Depuis 1992, le concept a pourtant connu moult pĂ©ripĂ©ties et failli disparaĂźtre avec perte et fracas. Pour finalement ne jamais dĂ©mentir sa plus cĂ©lĂšbre devise : âHardcore Will Never Die.â
Article issu du Tsugi 131 (mai-juin 2020), disponible Ă la commande en ligne.
Nous mettons en ligne cet article du magazine Ă lâoccasion du FAME Festival 2021 (du 18 au 25 fĂ©vrier) et la projection en ligne du film Thunderdome Never Dies de Ted Alkemade.
Samedi 26 octobre 2019, prĂšs de 50 000 fĂȘtards sont rĂ©unis au son de la techno hardcore au Jaarbeurs dâUtrecht â un immense parc expo. Un record absolu pour une soirĂ©e indoor de ce type, battant celui dĂ©tenu par⊠la prĂ©cĂ©dente Ă©dition de Thunderdome deux ans auparavant. Des superlatifs, le concept nâa cessĂ© dâen accumuler, notamment via ses millions de compilations vendues Ă travers le monde durant toutes les annĂ©es 90. Contrairement Ă la France, oĂč le hardcore a longtemps Ă©tĂ© une affaire dâunderground et de raves plus ou moins clandestines, les Pays-Bas ont tout de suite su flairer et exploiter son potentiel commercial. Avec Thunderdome et sa sociĂ©tĂ© mĂšre ID&T comme porte- Ă©tendard incontestables. âThunderdome, câest la marque qui reprĂ©sente le mieux le mouvement gabber. Ils ont rĂ©ussi Ă crĂ©er un niveau de fanatisme assez dingueâ, nous confie Paul Orzoni du collectif Casual Gabberz, qui a dĂ©cidĂ© au dĂ©but des annĂ©es 2010 de redonner ses lettres de noblesse Ă cette culture un peu mĂ©prisĂ©e en France.
Tout commence Ă la fin de 1991 lorsque trois amis de la rĂ©gion dâAmsterdam, Irfan van Ewijk, Duncan Stutterheim et Theo Lelie â dâoĂč le nom ID&T â sâassocient pour organiser un rĂ©veillon sur fond de house music. Ils aiment ces nouveaux sons Ă©lectroniques qui se diffusent alors dans toute lâEurope, mais beaucoup moins lâambiance des clubs. Eux prĂ©fĂšrent les grands rassemblements, les hangars, et surtout, ils ont de lâambition. âNous avions dĂ©butĂ© avec le rĂȘve dâorganiser les plus grands Ă©vĂšnements du pays, mais jamais nous nâaurions pensĂ© que cela deviendrait aussi Ă©norme. Et surtout que cela resterait pertinent pendant tant dâannĂ©esâ, avoue aujourdâhui Irfan. Leur premiĂšre vĂ©ritable soirĂ©e se dĂ©roule en juin 1992, pour fĂȘter la fin de lâannĂ©e scolaire. IntitulĂ©e The Final Exam et organisĂ©e sur le modĂšle des grandes raves britanniques elle rĂ©unit prĂšs de 12 000 personnes â dĂ©jĂ au fameux Jaarbeurs dâUtrecht. Un grand succĂšs marquĂ© toutefois par un premier incident. Theo est en effet Ă©jectĂ© de la jeune entreprise dĂšs cet Ă©vĂšnement fondateur pour ne pas sâĂȘtre assez impliquĂ© dans les tĂąches dâaprĂšs-soirĂ©e.
« On sâimaginait lâeffet que produirait ici le fait de jouer des gros kicks : un bruit de tonnerre.«Â
La naissance d’une culture
Fort de cette rĂ©ussite, le dĂ©sormais duo prĂ©voit dâinvestir en octobre de la mĂȘme annĂ©e le Thialf, une patinoire de la ville dâHeerenveen. Il leur faut un nom pour cette soirĂ©e, mais contrairement Ă ce que lâon pourrait croire celui-ci ne vient pas du troisiĂšme volet des films Mad Max (Beyond Thunderdome avec Mel Gibson et Tina Turner, ndr). âOn se doutait que les gens feraient le rapprochement, mais en visitant lâendroit avec Duncan, on a eu lâimpression de marcher sous un immense dĂŽme. On sâimaginait lâeffet que produirait ici le fait de jouer des gros kicks : un bruit de tonnerre (thunder en anglais, ndr)â, sâamuse Irfan. Car au Pays-Bas, la âhouse nationâ est en train de se scinder en deux camps irrĂ©conciliables. Du cĂŽtĂ© de Rotterdam, et du club Parkzicht en particulier, le DJ Rob Janssen trouve que les choses commencent Ă tourner en rond. Il accĂ©lĂšre alors les disques house, rajoute un pied plus puissant avec une TR-909 et demande au public de taper dans ses mains. DâoĂč le fameux âclapâ que lâon retrouvera ensuite dans de nombreuses productions.
Les adeptes de ce nouveau genre, issus des classes populaires, sont rapidement dĂ©signĂ©s sous le sobriquet gabbers â âpotesâ en argot nĂ©erlandais â avec un look bien Ă eux : baskets, jogging de la marque Australian et crĂąne rasĂ©. Tout le reste, de la deep house Ă la techno de Detroit en passant par la trance allemande, est alors relĂ©guĂ© dans un fourretout un peu rĂ©ducteur : la âmellowâ. Pour le Français David Jamard, journaliste au sein des dĂ©funts webzines Hardcore Concept et Signal Zero â aujourdâhui membre du duo techno Minimum Syndicat, âle gabber Ă lâorigine est un peu une Ă©volution de la techno belge avec ces sons de synthĂ©s caractĂ©ristiques, les hoover. Le reste de la scĂšne hardcore mondiale va, elle, plus se tourner vers lâindustriel ou crĂ©er ses propres sonsâ. Alors que The Thunder Dome ne devait ĂȘtre quâune soirĂ©e sans lendemain, au vu de son succĂšs, le nom est finalement conservĂ©. Le fameux logo du sorcier est lui aussi pĂ©rennisĂ©, une oeuvre que lâon doit aux graffeurs français Bando et Mode 2. âNotre graphiste Eric Keijer lâavait repĂ©rĂ© dans un bouquin de street-art. On se lâest appropriĂ©â, reconnaĂźt Irfan.
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Grandeur et décadence
1993 est sans doute lâannĂ©e la plus faste pour Thunderdome avec lâorganisation de sept grands Ă©vĂšnements. ID&T se lance aussi dans la production discographique pour soutenir les DJs de sa dream team : Guizmo, The Prophet, Buzz Fuzz et Dano. Mais la jeune sociĂ©tĂ© se fait doubler par le label nĂ©erlandais Arcade, spĂ©cialisĂ© dans les compilations, qui publie de son cĂŽtĂ© une sĂ©rie intitulĂ©e⊠Thunderdome. ConsidĂ©rant que cela participe Ă la promotion des soirĂ©es, il ne prĂ©voit pas de reverser le moindre centime Ă ID&T. Le conflit dure plusieurs mois. âOn a obtenu un accord de licence sur le marchĂ© allemand pour nos productions. Cela a mis un coup de pression Ă Arcade et facilitĂ© les nĂ©gociationsâ, se souvient Irfan. Les deux parties se mettent dâaccord et produisent ensemble les compiles Ă partir du volume V. Ils les exportent, notamment en France oĂč ils se font remarquer par des publicitĂ©s tĂ©lĂ©visĂ©es parodiant des films dâhorreur. Le merchandising tourne Ă plein rĂ©gime en utilisant cette imagerie avec du textile, des boissons Ă©nergisantes et mĂȘme des prĂ©servatifs.
Mais lâĂ©chec du festival Mysteryland en 1994 menace dâun nouveau coup dâarrĂȘt. Les comptes dâID&T sont dans le rouge. âLes ventes de CDs nous ont permis de surmonter ça et de nĂ©gocier des crĂ©dits. Avec Duncan, on avait des visions diffĂ©rentes alors on sâest sĂ©parĂ©s. Je suis revenu deux ans aprĂšsâ, explique Irfan. Car la scĂšne gabber, elle, se porte trĂšs bien et un nouveau genre, le âhappy hardcoreâ est en train dâenvahir les charts des Pays-Bas. En 1995, le morceau âI Wanna Be A Hippyâ des Anglais Technohead devient numĂ©ro un du Top 50 pendant plusieurs semaines. Et 25 % des jeunes NĂ©erlandais se dĂ©clarent ĂȘtre gabbers. Une lame de fond qui nâest pas sans crĂ©er des tensions dans le pays entre âpuristesâ et amateurs de âhappyâ. âQuand certains morceaux trop cheesy Ă©taient jouĂ©s, des gens se barraient du dancefloor. Ăa a Ă©tĂ© un point de ruptureâ, explique David Jamard. ParallĂšlement des jeunes skinheads infiltrent les soirĂ©es, oĂč lâambiance devient de plus en plus pesante. Une campagne de presse dĂ©crit une musique dĂ©moniaque destinĂ©e Ă des hooligans dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s et dĂ©foncĂ©s. Câest dĂ©jĂ le dĂ©but de la fin pour la premiĂšre gĂ©nĂ©ration gabber. En 1999 et 2000, au vu de la sinistrose ambiante, les Ă©ditions de Thunderdome sont annulĂ©es. Un coup dur.
« Ils ont compris quâil fallait dĂ©ringardiser le truc. »
Renouveau et objet patrimonial
En coulisse chez ID&T, on sâinterroge aussi sur lâimage vĂ©hiculĂ©e par Thunderdome, perçue comme sombre, violente et antisystĂšme. Dâautant que lâentreprise organise depuis quelques annĂ©es des Ă©vĂšnements trance voulus comme plus positifs. Lâaffaire aurait pu en rester lĂ et le concept enterrĂ© pour de bon. Mais câĂ©tait sans compter sur lâarrivĂ©e dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration dâartistes revenant aux sources du gabber, avec une musique plus lente et industrielle. âCela nous a motivĂ©s Ă relancer la machine, mais de maniĂšre plus modesteâ, poursuit Irfan. âIl y a ces morceaux Ă 160 BPM qui sont arrivĂ©s des Pays-Bas avec des kicks Ă©normes, des sons de synthĂ©s rave. Des artistes comme DJ Promo ou The Outside Agency, explique David Jamard. Thunderdome a complĂštement changĂ© dâimage en se dĂ©barrassant des chauves-souris et autres momies. Ils ont compris quâil fallait dĂ©ringardiser le truc.â RevitalisĂ©es, les soirĂ©es devenues âfestivalâ se poursuivent au rythme dâun gros Ă©vĂšnement annuel jusquâen 2012. AnnĂ©e oĂč ID&T dĂ©cide dâorganiser lâultime Ă©dition, intitulĂ©e comme la toute premiĂšre The Final Exam. Arguant que âla passion nây est plusâ, il sâagit surtout pour eux de prĂ©parer le rachat par SFX Entertainment, un mastodonte de lâEDM amĂ©ricaine, le hardcore faisant tache au sein de cette nouvelle orientation. Mais, une fois de plus, Thunderdome va ĂȘtre doucement ramenĂ© Ă la vie. François Maas, un employĂ© dâID&T, commence par organiser des âfans daysâ en petit comitĂ©.
âLorsque je prĂ©parais lâexpo sur le gabber (en 2014 au Point Ă©phĂ©mĂšre Ă Paris, ndr), François me recevait discrĂštement, dans des petites salles du siĂšge dâID&T, explique Paul Orzoni. Jâavais lâimpression quâil faisait ses trucs en cachette.â Au vu de lâengouement, ID&T accepte de dĂ©lĂ©guer Ă François Maas lâorganisation de nouvelles soirĂ©es via une structure spĂ©cialement crĂ©Ă©e pour lâoccasion : Thunderdome BV. Ironie de lâhistoire, ces Ă©vĂšnements battent de nouveaux records historiques de frĂ©quentation. âThunderdome aujourdâhui, câest un mĂ©lange de gĂ©nĂ©rations. Il y a des sets old-school, mais aussi du âuptempoâ qui est le style du moment et qui plaĂźt aux plus jeunesâ, poursuit Paul, qui espĂšre bien organiser une projection française du film retraçant la saga Thunderdome, sorti lâautomne dernier aux Pays-Bas. Car, Ă lâinstar de nombreux autres avatars de la techno, Thunderdome appartient dĂ©sormais au patrimoine Ă©lectronique. Il est passĂ© Ă la postĂ©ritĂ©.
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