Kappa Festival : un avant-goût d’Ibiza
Soyons honnête, on ne peut pas dire que l’Italie brille par la renommée de ses festivals électro même si -et l’histoire nous l’a prouvé- de l’euro disco en passant par l’italo-disco, des mixes de Daniel Baldelli au producteur prodige qu’est Moroder, la botte européenne a joué un rôle immense dans la construction et l’explosion de la house music. Avec le Kappa festival, drivé par la célèbre marque de sportswear, qui fêtait cette année ses six ans d’existence dans un gigantesque complexe post-industriel situé en bordure de la ville dans le fameux Parco Dora, repaire des skaters, c’est comme si l’Italie cherchait à se rappeler à notre bon souvenir avec un line-up étalé sur deux jours, de midi à minuit, et qui alignait les têtes d’affiche. Jugez un peu : The Martinez Brothers, Amelie Lens, Apparat, Solomun, DJ Tennis, Eric Prydz, Stacey Pullen, Luciano, Robert Hood, Fatboy Slim, Motor City Drum Ensemble, Kink, Jamie Jones, Seth Troxler, Derrick May, Jackmaster, Larry Heard, Rødhåd… bref, un mélange plutôt osé entre old-school et new-school, vétérans et jeunes pousses, techno et house, dont on cherche encore la logique conductrice.
Samedi dès 14h nous voilà devant une des nombreuses entrées, le parc est bordé de barrières métalliques pour éviter les fraudeurs, les clubbers arrivent petit à petit et dès l’entrée passée, on est ravi d’être accueilli par des chiens renifleurs, qui ne lâchent pas d’une semelle certains festivaliers, amenés ensuite discrètement pour être fouillés. Une procédure de sécurité dont l’efficacité nous interroge encore vu l’état titubant, pupilles écartelées, de certains croisés au cours de nos pérégrinations en long et en large, à travers le parc industriel gigantesque et les différentes scènes (quatre au total). Parmi elles l’immense Jäger Stage, grande halle en métal ouverte à tous vents et modifiée cette année pour accueillir 5000 personnes de plus, et où vont se succéder toutes les grosses pointures du festival… des Martinez Brothers à Solomun en passant par Stacey Pullen, Fatboy Slim ou Luciano.
Vu la chaleur et les vaporisateurs d’eau plus que bienvenus, l’ambiance vestimentaire est au court. Mecs en shorts et torse nus, filles vêtues de maillots de bain et juste protégées de robes en chaînes en or, bandanas dans les cheveux et casquettes à l’envers, tatoos immenses de rigueur, on se croirait parfois à un after à Ibiza, à la fois par la jeunesse des participants, leur état d’ébriété et leur propension à faire des selfies. Pour le reste difficile de suivre, sans s’agacer les oreilles, les sets des DJ’s qui jouent sur la scène principale. Sonoriser un immense hall comme le Jäger Stage ne semble pas être simple et le son est souvent étouffé, réduit à ses seules basses, en une sorte de magma sonore dont les drops incessants font réagir les clubbers comme une vague humaine. C’est donc sur les petites scènes qu’on trouvera plutôt son bonheur le long de ces deux journées caniculaires : Amélie Lens qui, fidèle à elle-même, tabasse techno déchainant la foule, DJ Tennis toujours aussi fluide dans sa manière de mixer et de placer judicieusement les classiques, la découverte Giorgia Angiuli qui mélange dans le même élan DJ set et compos live tout en prenant le micro pour chanter, l’excellent Hot Since 82 et le toujours magique Larry Heard. Même si notre coup de cœur absolu de ces deux jours d’abus en tous genres restera les 8 heures (de 16h à minuit, soit le timing parfait) de Josh Milan, qui nous a fait revivre l’esprit des soirées mythiques Body & Soul de New York avec une sélection de raretés disco, house et garage tellement brillante qu’on en a fait bugger notre Shazam.
Pour le reste, on reprochera au Kappa festival son gigantisme (30.000 clubbers cette année) qui donne parfois l’impression d’être dans une gare un jour de départ en vacances, son nombre délirant de DJ’s (plus de 60 sets sur deux jours) qui oblige à faire des choix cruciaux, son parcours interne qui relève parfois du labyrinthe, ses tarifs (six euros le gobelet de bière), le peu de cas que fait le festival du recyclage et surtout son côté Ibiza « mate-moi », avec l’impression tenace que les gens sont plus là pour se prendre en photo que profiter de la musique et danser. Mais pour finir sur une note d’espoir on se souviendra avec émotion de ces classiques, comme « Cafe Del Mar » d’Energy 52, « Domino » d’Oxia, « Enjoy The Silence » de Depeche Mode ou « Hard Life » d’Undeground Resistance qui, jetés au bon moment sur le dancefloor ont ponctué ces deux jours, de quelques secondes de grace.